Pénurie d’organes… et de spécialistes en néphrologie

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Malheureusement beaucoup d’autres n’ont pas encore cette chance, faute de greffons disponibles ! Aujourd’hui, grâce aux progrès réalisés dans le domaine des transplantations, des médicaments et grâce à la compréhension et la solidarité des citoyens, leurs chances de survie sont meilleures ; la transplantation d’organes est devenue courante. Mais sa pratique dans notre pays reste infime.

En Algérie la transplantation la plus fréquente est celle du rein et accessoirement la greffe de la cornée. Par contre aucune autre greffe n’a été enregistrée pour les autres organes. L’Algérie a connu trois étapes dans le domaine de la transplantation rénale : la première remonte aux années 80, plus précisément au 14 juin 1986 qui a connu la première transplantation rénale venant d’un donneur vivant. Cette opération s’est déroulé à l’hôpital Mustapha. L’Algérie avait des potentialités matérielles et techniques, ainsi que des spécialistes en néphrologie qui ont assuré ces transplantations.

Dans les années 90, La société algérienne a connu la période la plus difficile de son histoire. Les grands spécialistes du corps médical : néphrologues, anesthésistes, chirurgiens, se rendaient dans des pays étrangers. Un immense recul de la transplantation rénale a été enregistré durant ces années. Par la suite et depuis l’an 2000 jusqu’à l’heure actuelle un programme de transplantation rénale a été réactivé par la tutelle, ce qui a donné le chiffre de 116 greffes effectuées, en 2007, à partir d’un donneur vivant. Une chose est sûre, et comme le précise le secrétaire général de la société algérienne de néphrologie le professeur Rayane, ceci est un record ! «L’année dernière l’Algérie a fait 116 greffes, c’était un record. On aurait aimé que ce chiffre soit constant. Pour l’année en cours il y a eu seulement 80. On n’est pas loin de la fin de l’année et il nous reste 40 greffes à faire pour arriver au chiffre de l’année précédente, ce qui prouve que l’on sera en retard par rapport aux 116 greffes réalisées l’année dernière. Mais on dépassera les 100 et c’est tout de même pas mal.»

Espoir d’une nouvelle vie

Le besoin d’organes augmente plus vite que l’offre et pour certaines personnes, surtout les jeunes, le temps presse. En Algérie, il y a une pénurie grave de donneurs. Le problème est critique !

La médecine a prouvé maintes et maintes fois que les transplantations réussissent, le taux de réussite dépasse 75% dans les cas de transplantations rénales, mais des milliers de personnes attendent toujours et mille autres se joindront à elles cette année.

Il existe 13 000 insuffisants rénaux en Algérie. Chaque année 4 500 nouveaux cas sont enregistrés, 90% sont des jeunes. La moitié de ces cas signalés nécessitent une transplantation rénale, mais les spécialistes affirment qu’ils ne peuvent procéder actuellement qu’à 220 greffes par an. 839 patients vivent avec un rein transplanté et à peu près 389 sont greffés en Algérie seulement pour 400 à l’étranger. Ce chiffre est considéré comme trop bas par rapport aux normes internationales. Donc un immense retard est enregistré Dans la transplantation rénale. Même si on fait une comparaison avec les progrès enregistrés dans les pays voisins, l’Algérie n’a pas encore atteint les normes, la pratique de la transplantation des organes demeure toujours dérisoire. Les spécialistes en néphrologie tirent la sonnette d’alarme ! «La Tunisie est bien en avance en matière de greffe, elle a démarré la transplantation rénale à partir de rein de cadavre depuis quatre à cinq ans. Ils sont à peu près 70% donneurs vivants et 30% donneurs cadavériques. Par contre en Algérie on a fait 6 sur 500 et cela n’atteint même pas 1 ou 2%. En Algérie on se base surtout, pour ne pas dire on se limite, aux donneurs vivants. Entre autres, la loi algérienne limite le don dans le cadre familial, le donneur doit être un proche. Cela veut dire que la famille lointaine, les donneurs altruistes, la belle-famille, le conjoint, sont pour le moment exclus du don pour ce qui concerne le donneur vivant. Donc, cela explique bien le retard enregistré dans notre pays», explique le secrétaire de la Société algérienne de néphrologie, dialyse et transplantation, le professeur Rayane.

Attendre, attendre et encore attendre…

Un grand nombre de personnes continue pourtant de mourir, d’autres attendent chaque jour, parce que les organes nécessaires à leur survie ne sont pas disponibles. C’est le cas de Naïma Bekhouche, une jeune malade qui espère être greffée depuis quatre ans. Bien d’autres malades sont au même stade que Naïma ou même plus avancé qu’elle. Le temps est précieux pour eux. Leurs vies défilent sur les aiguilles de l’horloge.

Que faut-il faire alors ?

Toutefois, et vu la multiplication des cas et les besoins exprimés par rapport au nombre réduit de donneur, la situation actuellement inquiète les spécialistes. Ils trouvent qu’il est temps de lancer d’autres méthodes pour combler cette insuffisance «il faut développer le donneur vivant, mais il faut aussi développer parallèlement la transplantation à partir des personnes décédés, chose qui n’est pas encore réalise en Algérie, on n’a pas accès à cela pour le moment. Ce n’est pas une priorité pour le moment» souligne le professeur Rayane.

La problématique, actuellement, concerne le prélèvement d’organes à partir de patients en état de mort encéphalique, ce qui représente une situation irréversible. Selon les spécialistes, il est possible de prélever des organes à partir des cadavres de victimes d’accidents de la route ou ceux victimes d’accidents cardiovasculaires. On peut dans ce cas prélever des organes mais sans trop tarder. Il faut juste lancer un débat de société sur ce sujet. Par contre il est aussi important de s’interroger sur les équipements des hôpitaux pour la prise en charge des morts encéphaliques, surtout dans les grandes villes du pays. «Nous pouvons doubler et même tripler le nombre de greffes si l’Etat nous suit, nous fait confiance et encourage surtout les gens. Donc, il faut des néphrologues de la greffe qui reste dans les services où est le greffé et qui le surveille. C’est à ce moment-là que l’on peut multiplier le nombre de greffe par deux ou trois à partir du donneur vivant et puis lancer les bases pour faire le donneur cadavérique surtout pour les personnes qui n’ont pas de donneur vivant dans la famille. En outre, il faut amélioré la vitrine de l’hôpital et la vitrine de l’hôpital est le pavillon des urgences. A titre d’exemple, en Europe il y a eu beaucoup de réticences à un moment donné de la part des familles.

Les efforts qui ont été faits c’est dans le but de l’humanisation : on a choisi des gens, on les a formé pour parler à la famille du décédé. Cela est très important, parce que si l’on arrive à maîtriser cela, on pourrait récupérer plus d’organes. Beaucoup de gens refusent même d’y penser : d’abord parce qu’il sont affolés, il y a une ambiance morbide. Chose qui n’est pas recommandée. Il faut créer une ambiance de sérénité, de calme… hélas tout cela n’est pas actuellement réalisé», affirme le professeur Chaouch. La loi algérienne exige l’accord préalable du donneur, autrement dit la personne étant toujours vivante doit d’abord donner son accord avant toute procédure de don. Mais les spécialistes affirment que depuis 22 ans aucune campagne n’a été établie pour élaborer une liste de dons. Sur ce, la Société algérienne de néphrologie lance une carte pour chaque citoyen leur permettant ainsi de mettre un avis d’acceptation ou pas. L’objectif est d’attendre 30 transplantations de reins à partir de donneurs cadavériques par million d’habitants. «Aucun Algérien actuellement n’a donné son accord, ou même s’est prononcé pour le don de ses organes parce qu’on ne leur a jamais posé la question. Il n’y a pas eu de campagne nationale pour établir une liste de donneurs, de plus il n’y a pas eu de liste nationale pour établir une liste de refus de don d’organes. C’est pour cette raison que l’on demande que la population algérienne se prononce : tous vous allez avoir une carte sur laquelle vous dites quand je mourrai ne m’enlevez pas mes organes, à notre tour on respectera votre décision, parce qu’on ne peut pas obliger les gens à donner leurs organes» déclare Tahar Rayane.La législation actuelle permet à toute personne majeure de moins de 60 ans de faire don de ses organes après son décès.

Du point de vue de la religion

L’Islam encourage ces dons et voit en eux, les expressions d’idéaux humanitaires les plus louables. Le don d’organes essentiels à la vie d’un autre être humain respecte les principes de la grande majorité des croyances religieuses et morales. La responsabilité première de l’équipe médicale est de prodiguer à la personne qui a accepté de faire don de ses organes, les meilleurs soins possibles. Si le patient décède malgré tous les efforts déployés, des médecins ne participant ni au prélèvement ni à la greffe d’organes doivent d’abord déclarer la mort cérébrale (arrêt des fonctions du cerveau) avant que l’on procède à la récupération des organes, suite à la volonté du donneur et de sa famille. Les organes sont attribués à partir d’une liste unique détenue par les Services de santé suivant la compatibilité entre le donneur et le receveur. Par ailleurs, l’achat et la vente d’organes sont interdits par la loi et la religion car ce don est considéré comme le geste le plus humanitaire qu’une personne puisse faire et un acte de générosité et de solidarité entièrement gratuit. L’anonymat du donneur et du receveur est obligatoire ; cependant, la famille du donneur peut être informée du résultat des greffes par les équipes médicales. La famille a la satisfaction de savoir qu’un être cher, même s’il n’est plus vivant, a permis d’offrir à d’autres une nouvelle vie et un nouvel espoir. Les organes sont prélevés dans l’heure qui suit le décès par l’équipe médicale, qui s’assure que tout se déroule dans le respect de la dignité humaine et veille à ce que l’apparence du défunt n’en soit pas affectée.

La prise en charge étatique

La prise en charge des malades atteints d’insuffisance rénale coûte très chère. L’équivalent de 40 à 60 millions de dollars. «L’insuffisant rénal demande un budget considérable pour sa prise en charge : non seulement pour sa dialyse mais aussi pour ses médicaments qui sont fournis régulièrement par l’hôpital. Les malades sont pris en charge 100% et gratuitement par l’Etat. Pour améliorer la transplantation rénale en Algérie, il faut organiser et sensibiliser.»

Salima Megmoune, chargée du programme de la santé aux niveaux du ministère de la santé. On compte 327 patients traités par million d’habitants. Il y en a trois fois plus au Japon. En Tunisie, ils en sont à 400, au Maroc à 200.

Le constat que l’on peut faire, c’est que le nombre de dialysés augmente chaque année. On peut estimer à presque 6 millions le nombre d’Algériens qui présentent un risque d’atteinte rénale. Sommes-nous alignés au reste du continent maghrébin ?

La greffe soulage-t-elle ou guérit-elle ?

Certaines greffes permettent de sauver une vie, d’autres d’éviter de lourds traitements, la greffe du rein permet par exemple d’éviter la dialyse. Mais il ne faut pas dire que la greffe d’organes mène à une totale guérison. «Il faut bien que les gens comprennent qu’il est certain que quand on est transplanté on ne guérit pas. Quand on transplante une personne, le problème que l’on rencontre, c’est le phénomène immunologique : dans l’organisme de l’individu il y a un certain nombre de réactions qui se passent déjà de façon normale et dès que le corps sent quelque chose d’étranger l’agresser, il développe des armes appelées des anticorps pour combattre cet organe et le détruire.

Donc tout transplanté va développer ce phénomène. Pour que le rein ne soit pas rejeté on est obligé de prescrire des médicaments à vie. Arrêter ces médicament signifie le risque de perdre l’organe transplanté. Le seul cas où on peut parler de guérison totale et sans médicament c’est chez les vrais jumeaux» révèle le président de la Société algérienne de néphrologie, le professeur Boukari.

Par ailleurs, Il doit exister une certaine compatibilité immunologique entre le receveur et l’organe transplanté afin de diminuer le risque de rejet. Au minimum, une compatibilité au niveau du groupe sanguin est requise. Généralement cette compatibilité se trouve dans le cadre familial et ce sont les proches qui peuvent être les donneurs.

Il faut souligner qu’être greffé veut dire avoir une meilleure qualité de vie, avoir aussi sa réinsertion dans la vie professionnelle, on n’est plus soumis à une machine, on n’a plus ce problème d’anémie terrible, on n’a plus le problème de rapports sexuels… le malade se porte mille fois mieux qu’avant.

Le trafic d’organes en Algérie

Beaucoup de rumeurs ont circulé sur l’existence de trafic d’organes ou de transplantations illicites en Algérie. Les spécialistes en néphrologie y ont coupé court en précisant qu’aucun cas de trafic d’organes n’a été enregistré en Algérie.

La législation algérienne «est claire et rigoureuse en matière de don d’organes et leur trafic n’existe point», soulignent les spécialiste en néphrologie. Tout en précisent que les rares cas signalés au cours des dernières années étaient en réalité l’œuvre de réseaux qui aidaient les patients à acquérir des organes d’Irak, de Pakistan, et d’Inde, mais une fois informé, l’Etat a mis un terme à cette.

Sur le plan international, bien que posant un problème d’éthique et de sécurité sanitaire, c’est une pratique qui se développe : près de 5% des transplantations seraient faites sur cette base (achat de l’organe d’un «donneur», essentiellement issu d’un pays pauvre). Près de 10 % des greffes de rein au niveau mondial se feraient également par ce biais.

Reportage réalisé par K. Seddoud

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