Une activité à la recherche de ses repères

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Les préoccupations des pouvoirs publics et des populations induites par le renchérissement des produits alimentaires à l’échelle mondiale depuis l’année 2007 se sont quelque peu aggravées depuis la fin de l’été dernier où une bourrasque a mis sens dessus dessous le système financier international. En tout cas, la fragilité de l’agriculture algérienne, latente et connue depuis longtemps, se révèle au grand jour. Des produits de première nécessité- constituant la ration de base des franges les plus larges de la population algérienne- deviennent d’accès difficile. Les exemples de la pomme de terre et du lait, dont les filières sont régulièrement exposées à des crises et tensions, sont assez éloquents pour illustrer un état de “sous-développement’’ d’un secteur promis pourtant, depuis le début des années 2000, à des réformes supposées radicales.

L’actualité des marchés des produits alimentaires à travers le monde ne peut laisser indifférents les Algériens, populations et gouvernants, d’autant plus que la montée en flèche des prix des principaux produits de consommation domestique ont eu des répercussions directes sur la bourse des smicards et des mal lotis. Le cas de l’Algérie est plus complexe que le reste des pays importateurs de produits alimentaires du fait que nous importons la quasi-totalité de ce que nous consommons. Même les quelques produits agricoles sortis de nos fermes se trouvent dépendants totalement des semences et matériel motorisé (et pièces détachées) importés. Le cas le plus emblématique a été exposé en direct à la télévision au début des années 1990 par l’ancien Premier ministre, Belaïd Abdesselem, lorsqu’il aborda la production du poulet de chair en Algérie. Il séria les éléments d’importation qui concourent à la production d’un poussin ou d’un poulet adulte (aliments, vaccins et autres ingrédients) et conclut que «le poulet n’est pas réellement algérien.»

Cette dépendance vis-à-vis de l’étranger en matière de semences –supposées être la “matière première’’ du processus de production- a coûté au pays maints désagréments allant d’une simple maladie cryptogamique frappant une partie du produit importé jusqu’au renchérissement inattendu des semences et des graines.

Le processus de production agricole réclame, outre les semences, l’outillage et le matériel mécanique, un ensemble d’intrants concourrant à l’entretien et à la bonification des cultures. Désherbants et autres pesticides, fertilisants et engrais font partie des charges ordinaires que les agriculteurs sont appelés à supporter directement ou par le truchement de crédits bancaires. Au cours de ces deux dernières années, le problème qui s’est posée avec la plus grande acuité est celui de la semence de la pomme de terre dont on dit que son prix a augmenté en flèche sur les marchés internationaux. Phénomène qui n’a pas manqué de se répercuter directement sur le prix du tubercule produit en Algérie. En outre, en 2007, des rumeurs ont circulé dans certaines wilayas sur des maladies que la semence de pomme de terre aurait contractées sur ses sites de production en Europe. En tout cas, la non maîtrise des techniques de production de semences- par la normalisation de laboratoire, les essais de germination et autres étapes scientifiquement obligatoires- et la dépendance excessive du secteur par rapport aux importations d’intrants (fertilisants, engrais,…) vont maintenir, de l’avis même des praticiens et techniciens, les espoirs de la relance de la production agricole dans la zone des incertitudes.

Le professionnalisme tarde à s’ancrer

Depuis que le gouvernement a lancé le PNDA (Plan national de développement agricole), il y a huit ans, la gestion en amont et en aval de l’activité agricole a subi de multiples flottements, phénomène somme toute normal dans une période de transition supposée soutenir le redéploiement de l’agriculture algérienne de façon à pouvoir, un tant soit peu, réduire la dépendance alimentaire du pays, et également faire face à la concurrence charriée par l’accord d’association avec l’Union européenne et par l’entrée future de l’Algérie dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Parmi les segments qui posent le plus de problème dans cette phase cruciale de la refondation des bases de l’agriculture algérienne, celui de la semence et des produits phytosanitaires paraît revêtir une importance particulière.

Les magasins proposant actuellement des semences et autres intrants agricoles manquent visiblement de professionnalisme. Leurs activités s’étendent à tous les petits intrants agricoles, depuis la semence jusqu’à la débroussailleuse mécanique, en passant par les pesticides, les herbicides, la faux, la faucille, les chaînes d’entrave de bétail et le fil de bottelage. Ce qui est considéré dans d’autres pays comme la pharmacie des plantes est assimilé chez nous à une épicerie de village où on fait commerce de tout ce qui marche. La situation a commencé à échapper à toute règle professionnelle et éthique depuis la dissolution, au milieu des années 1990, des COOPSID(organismes publics chargés de la commercialisation des graines et produits phytosanitaires). C’est alors que le secteur est tombé, comme un fruit mûr, entre les mains des privés dont la plupart n’ont aucune qualification particulière en la matière. Anciens agriculteurs convertis dans le commerce, négociants dont les affaires ont périclité, jeunes ambitieux attirés par un créneau relativement vierge, enfin, le tout-venant mercantile a investi un segment important de l’environnement technique agricole. Il est très rare de trouver dans une officine phytosanitaire un technicien ou un ingénieur agronome. Et pourtant, la loi réglementant ce genre d’activités est clair là-dessus: le propriétaire du magasin grainetier doit impérativement employer un spécialiste en la matière dans son officine ou être lui-même un professionnel diplômé. Hormis quelques rares cas qui se comptent sur les doigts au niveau national, cette loi reste généralement un vœu pieux.

L’entorse au règlement est d’autant plus dommageable qu’il s’agit d’une activité très sensible qui commande toute la chaîne de la production agricole où l’on a souvent besoin de conseillers sérieux et connaisseurs capables d’établir les diagnostics primaires sur le terrain et de recommander les traitements adéquats, avec les dosages appropriés, que ce soit en fertilisants ou en pesticides et herbicides. En outre, certains produits, hautement toxiques ou d’usage complexe, ont réellement besoin de l’avis et du conseil du spécialiste. Certains produits d’importation, vantés par la pub ou autres prospectus, ont fait le bonheur de certains magasins. A tort ou à raison, on leur colle des “vertus’’ fertilisantes ou dopantes supposées faire courir les agriculteurs. C’est ainsi que le produit appelé Agrispon était, un certain moment, devenu la panacée pour la croissance des végétaux et l’augmentation des rendements. Importé d’Amérique, Agrispon était vu comme la potion magique par la grâce des boniments de certains grainetiers qui vous dispensent des travaux du sol, des entretiens, de la taille et de la fertilisation. Des paysans répétant les bons conseils de nos  »savants », vous assureront qu’ils ont mis la main sur  »la vitamine des plantes », en quelque sorte un produit dopant. Apparemment, la science n’a pas encore acquis droit de cité dans le cercle de ces activités ; et dire qu’il y a des ingénieurs et des techniciens en chômage qu’on aurait pu insérer dans un créneau qui commande en amont les performances de notre agriculture.

A.N.M.

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