Au pays du mouton-roi

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Cela fait déjà des semaines que le mouton a débarqué dans les rues d’Alger. La bête du “sacrifice” est maintenant une fatalité dont la présence aux endroits les plus incongrus n’émeut plus personne. Un ovin se frayant un passage au bout d’une corde fièrement tenue par un propriétaire aux anges fait tout juste sourire quelques… brebis galeuses effarouchées.

Que ça se passe sur un trottoir de la rue Didouche ou d’une artère moins cotée de la capitale, il n’y a aucune différence. La mouton s’est imposé dans tous les espaces parce qu’il a conquis tous les esprits. L’autorité publique nous a habitués depuis longtemps à ne jamais opposer l’ordre légal au fait accompli religieux et ses périphéries, de plus en plus nombreuses. Le moutons triomphe de tout et de tout le monde. Des espaces qui lui étaient jadis inaccessibles, il en fait un terrain conquis. Il a maintenant sa corde attachée aux rampes d’escalier, sa botte de foin aux balcons et son abreuvoir dans les salles de bains. Il se vend dans les stations services, sur les terrains de sport et ce qui reste des jardins publics. Il s’égorge à l’entrée d’immeubles cossus, dans la melasse des bidonvilles et à l’ombre des saules pleureurs de maison de maître.

Le mouton n’a pas de prix, on l’achète et puis c’est tout. Son coût ne dérange personne, donc il augmente. Que l’année soit bonne ou mauvaise, il n’y a pas de fâcheuses conséquences sur son succès. Les saisons, la pluviométrie, la végétation, les aliments de substitution ne comptent pas à l’approche de l’Aïd. Déjà qu’ils ne sont pas très déterminants le reste de l’année… Le riche va multiplier ses caprices en allant le chercher à Djelfa, en exigeant les meilleures mensurations, la laine la plus soyeuse et les cornes les plus étranges. Il faut bien que le mouton accomplisse aussi son rôle de signe extérieur de richesse.

L’islamiste en fait un prétexte de prêche et l’histoire du sacrifice doit forcément déborder sur “l’essentiel”. Le couple “moderne” est bien sûr obligé de “faire comme tout le monde.” Alors il “égorge” et “explique” sa mauvaise conscience à qui veut bien l’entendre.

Les enfants, vous savez… On pensait que c’était aux hommes de leur siècle d’inculquer quelques valeurs à leurs progénitures, voilà que ce sont ces dernières qui les contraignent à la régression ! Les pauvres. Ils se nourrissent de pâtes et de faillots, on les découvre jouant aux riches “étrangers” par la faveur de la piété. Ils vont donc se sacrifier… pour le sacrifice.

S’endetter, se passer de l’essentiel, passer l’hiver sans chauffage, vendre un meuble miraculeusement devenu encombrant, habiller les enfants de la dernière saloperie de friperie et remettre à plus tard un rendez-vous vital chez le médecin pourvu que le mouton soit là. On égorge comme tout le monde et Dieu fera le reste. Le mouton est un vrai “chikour”. Et la société une coupe réglée.

S. L

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