Président de la République onze ans durant, Chadli Bendjedid nous cachait donc les véritables circonstances de son arrivée à la plus haute responsabilité du pays. En même temps, il nous apprend que ses discours de novembre, d’août et de juillet où il s’attardait longuement sur l’histoire récente du pays n’étaient qu’évocation de circonstance que se partageaient la démagogie et la généralité. Il nous révèle enfin qu’il était sur le point d’opérer une révolution institutionnelle qui allait placer l’Algérie dans la démocratie et la modernité. On connait plus ou moins l’histoire de “la base de l’Est”, le rôle des “déserteurs” algériens de l’armée française, leur spécificité de groupe et les soupçons qui ont pesé sur eux après l’Indépendance. On sait aussi par des sources diverses comment le colonel Chabani a été exécuté, la folie putschiste de Tahar Z’biri et le “suicide programmé” de Saïd Abid. Sur ce plan, on n’attendait pas du successeur de Boumediène qu’il nous fasse quelque révélation digne d’intérêt, même s’il a tenu à agrémenter sa sortie -manifestement bien préparée- de quelques détails concernant sa position et sa réaction personnelle dans les évènements évoqués. Les Algériens sont habitués depuis longtemps au fait que leurs dirigeants ne se mouillent qu’une fois éloignés de la responsabilité. Ces derniers ne s’en cachent même pas puisque, cycliquement, ils nous disent qu’ils ont des choses à dire, des “dossiers” à rendre publics en “temps opportun”, c’est-à-dire quand ils pourront le faire sans risque, quand les conditions permettront que ça ne leur en coûte rien. Dans le cas de Chadli Bendjedid, ça a même l’air de pouvoir rapporter quelque chose. Et c’est là tout l’intérêt donc. Comme d’habitude et comme pour les autres, ce n’est pas ce qu’a dit Chadli qui “passionne” tant l’opinion au point d’envahir jusqu’à l’espace électronique.
Ce sont plutôt “le contexte” et “les motivations” de son intervention qui sont en train de faire couler encre et salive. N’importe qui vous le dira, les officiers déserteurs de l’armée française, la base de l’Est, l’exécution de Chabani, Saïd Abid ou le putsch avorté de Z’biri ne seraient qu’enrobage, l’essentiel étant dans la revendication de l’héritage de Houari Boumerdiène et la préférence “pertinente” de son successeur pour un régime parlementaire dont il aurait esquissé le projet avant sa destitution. Dans le premier, comme dans le deuxième sujet, Chadli s’adresserait implicitement donc au Président Bouteflika qui était son rival à la succession de Boumediène et coupable à ses yeux de choisir un régime présidentiel renforcé. C’est apparemment tellement “évident” que Chadli s’est cru obligé d’intervenir de nouveau. Manifestement surpris que son intervention “anodine” ait suscité autant de commentaires et de lectures, il est donc censé revenir nous expliquer le sens de sa sortie. Mais c’est peut-être trop attendre d’un dirigeant. Quand bien même il ne serait plus aux affaires.
S.L.