“Slimane Azem tel que je l’ai connu…”

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La Dépêche de Kabylie : Kamel Hamadi, vous êtes un des compagnons privilégié du défunt artiste Slimane Azem. Les générations, kabyles surtout, ne cessent d’évoquer son œuvre et d’autres le découvrent avec le temps. Des célèbres artistes très connus, le reconnaissent comme fondateur de la chanson kabyle. Racontez-nous votre rencontre ou parcours avec cet artiste immortel.

Kamel Hamadi : Slimane Azem est un grand artiste, je peux dire que 99% des Kabyles aiment et respectent Slimane Azem.

Sans lui aujourd’hui, je ne serais pas artiste, et beaucoup d’autres ne le seraient pas aussi. Lorsque j’ai entendu son chant, j’ai aimé la langue kabyle jusqu’à de suivre son chemin pour devenir ensuite artiste. Maintenant, si mon art est bon ou pas, c’est au public d’en juger. Quant à sa découverte, c’était vers les années 50 que j’ai commencé à entendre parler de lui et à l’écouter. la première fois que je l’ai vu c’était en 1952, lorsque il est revenu de France, il revenait souvent. A l’époque, jeune, j’étais avec mon cousin qui habitait à la rue de la Liberté à Alger. Slimane Azem, venait souvent au pays pour travailler. Un jour, il a chanté à l’Opéra mais je ne me souviens pas de la date exacte. Je me rappelle que la matinée, il a chanté pour les femmes, le soir pour les hommes, et comme mon cousin travaillait dans la même rue où il séjournait, j’ai eu la chance de le croiser matin et soir. Chaque jour, Je le regardais et l’attendais avec impatience à sa sortie de sa maison, lui et sa femme. Je contemplais ses gestes, sa démarche, sa façon de prendre son café, tout en admirant son sourire. Jeune, je le suivais dans tous ses galas, d’ailleurs, il n’ y en a pas un seul que j’ai raté, et c’est ainsi que je l’ai connu et côtoyé avec le temps. Slimane Azem est un homme très modeste, humain, calme, toujours souriant, je ne l’ai jamais entendu crier. Il donnait à chaque chose sa valeur. D’ailleurs lui-même a chanté une chanson dans laquelle il le recommande. Il n’ y a pas beaucoup d’hommes comme lui.

Peut on connaître, ses premiers pas dans la chanson?

D’après ce qu’il m’a dit lui-même, ainsi que d’autres personnes qui étaient avec lui depuis son jeune âge, il faisait de la poésie et il aimait beaucoup l’art.

Il est parti en France en 1937, où il a travaillé dans les mines. Ensuite, Il y a eu la Deuxième Guerre mondiale, durant laquelle il à été arrêté et emprisonné en Allemagne. Libéré de prison vers l’année 1945/46, Il a géré un café à Paris au 15e, où il chantait à la demande des clients qui le sollicitaient. A l’époque en France, on ne donnait pas de salles pour les Algériens et les Marocains, pour chanter et consoler les malheureux immigrés. Les artistes ne chantaient que dans les cafés. Il y avait le grand artiste Mohamed El Kamel, qui faisait du théâtre et des sketchs dans les cafés et qui chantait pour les immigrés. Et comme les immigrés étaient presque tous des Kabyles, beaucoup lui disaient : « Mohamed el Kamel, on ne te comprend pas. » En réponse à ces demandes du chant en kabyle, Mohamed El Kamel sollicitait les artistes pour venir avec lui et chanter en kabyle. Il y a eu d’abord Allaoua Zerouki en premier, puis Farid Ali et ensuite il demanda à Slimane Azem de venir pour chanter. Slimane Azem lui dira : « je ne suis pas un artiste, je chante pour faire plaisir c’est tout. » Mohamed El Kamel lui répondra : « Justement, j’ai fait appel à toi, pour faire plaisir aux autres. » Slimane Azem, est donc parti avec Mohamed El Kamel, dans un premier temps pour chanter dans l’établissement de ce dernier. Slimane chantera ses chanson pour faire plaisir à Mohamed El Kamel. Il connaissait déjà les chansons du patrimoine, mais il a continué à écrire d’autres chansons. Notamment, A Moh à Moh Ekker ma tadoudh anrouh, et puis d’autres: Yekfa lamène, Thoura dhayen, Yekfa lamène guyahbiben Il a écrit ensuite Eddounith thets’ghourou, Thessaa sine woudhmawane Wa yafrah, Wa yetru Eth Jerrah Dhegoulawane

Son chant gagnera de plus en plus les coeurs des milliers de Kabyles et des immigrés, mais ils ne trouvaient pas ses cassettes, parce qu’il ne les avait pas enregistrées. Cependant, des centaines et des milliers de gens savaient que Mohamed et Slimane Azem, allaient chanter en kabyle. Un jour Slimane Azem, allant acheter des cordes de guitare la vendeuse lui demanda s’il connaissait le chanteur Slimane Azem. Slimane Azem lui répondit “Oui”. Elle lui demanda si elle pouvait le rencontrer et Slimane Azem lui dit : “Ici dans ce magasin, madame c’est moi Slimane Azem madame.” “Ah! c’est toi monsieur Slimane Azem, il y a la maison Pathé Marconi, qui vous cherche.” Slimane Azem lui demande pourquoi faire et elle lui répondit que c’était pour enregistrer. Il lui répondit qu’il chante pour faire plaisir aux amis sans plus. La dame prend alors le téléphone et appelle Ahmed Hachlaf, qui était directeur de Pathé Marconi. Suite à son appel, les deux hommes se sont rencontrés, et c’est à partir de là qu’il a enregistré son premier disque, A moh A moh, eddounith thets’ghourou, Yekfa lamane thoura dhayen qui ont été un grand succès. Lorsqu’il a enregistré, Atas a yesbragh, avec Bahia Farah, Dhagrib dhabrani, il a ému toute la Kabylie. Rachid Rezzoug (directeur de la radio), contacte Slimane Azem pour le ramener à Alger. Slimane Azem a répondu à son appel, et a chanté au Théâtre national, à l’Opéra d’Alger.

A Oran, il a enregistré quatre chansons à la Radio algérienne et a fait une tournée avec Abderrahmane Aziz à la demande de ce dernier, en Kabylie, à Béjaïa, Akbou, Tizi Ouzou, Michelet… Il a fait, par ailleurs, une grande tournée avec Abdelhamid Ababsa dans toute l’Algérie dans les années 50 et puis il a emmené son orchestre en France, composé de Mahboubati, Amari Maâmar, Haroun Rachid. En arrivant en France, la guerre de Libération est déclenchée.

Slimane Azem a gagné la confiance des Kabyles en général comme personne selon vous, à quoi cela était-il dû ?

Premièrement, Slimane Azem est un homme de cœur, c’est une personne que l’on veut toujours connaître et avoir avec soi.

Deuxièmement, c’est un poète, lorsque il parle, on a envie qu’il ne s’arrête pas. La preuve dans toutes ses productions, il impressionne par sa nouveauté. Slimane Azem, c’est le sage de la montagne, il est immortel, on aurait aimé trouver d’autres comme lui. Même après sa mort, il est toujours dans nos cœurs et esprits.

Un jour il m’a demandé de lui écrire quelques mots pour ses disques, je lui ai dit “que ce n’est pas quelques mots seulement que tu mérites !” Je lui ai dit de m’excuser cinq minutes,et puis j’ai pris mon coin pour lui écrire la chanson suivante : Segass mi nasla yechna, Ighyaajab Echnass n’hamlith Awaliss yaok dhelmaana Inajred Abridh n’dhafrith N’chefa yaok fayen ideyenna,Yarna ech’baha ithakbaylith.

Son art restera éternel pour les générations futures. On parle du rapatriement de son corps, mais le plus important c’est son œuvre qu’il a laissée pour les générations à venir.

Les uns le qualifient de bibliothèque, d’autres de source d’inspiration, d’autres de fondateur de la chanson kabyle, l’importance d’un grand homme, immortel, qu’en est-il de son exil ?

D’abord, il a toutes les qualités, poète, sage, dramaturge, son défaut c’est son caractère. Il aime voir avec ses yeux et non avec les yeux d’autrui.

Feu Mahieddine Bachtarzi l’a appelé il est venu, la radio l’a invité, il a accepté l’invitation, ainsi que pour les autres invitations. Mais quand la rumeur de l’interdiction de ses disques a commencé, alors qu’il n’ y avait rien d’officiel, il s’est posé la question : « Si mes disques sont interdits, il viendra un jour, où on m’abattra !  »

A partir de là, Slimane Azem est reparti en france, il a exigé une invitation officielle en tant qu’artiste, pour que tout le monde sache que Slimane Azem, est rentré en Algérie en tant qu’artiste et avec respect. Cela dit, il n’a pas été exilé officiellement, il est parti à contre cœur, et ce, pour éviter le pire.

Il est question d’une vingtaine de chansons inédites du défunt Slimane Azem, qui seront bientôt mises sur le marché, qu’en est-il au juste ?

Effectivement, je suis en contact avec son éditeur mais il n’a que des anciennes chansons. Il a déjà diffusé les anciennes chansons de Cheikh El Hasnaoui, Allaoua Zerouki, Kamel Hamadi et Nora. il ne fait que de la rediffusion des anciennes productions. Malheureusement, dès qu’il diffuse un ancien produit, le piratage s’ensuit. En effet, iI y a une vingtaine de chansons de Slimane Azem, et par mesure de sécurité, Il les a déposés à l’ONDA pour éviter le piratage. C’est un homme âgé, et il ne va pas tarder à les faire sortir. Il y a deux CD qui vont bientôt être mis à la disposition du grand public.

Quelque chose pour conclure ?

Mon souhait est partagé par des millions de ses fans.

C’est de baptiser une maison de la culture où une rue du nom du grand artiste et immortel Slimane Azem. Récemment une place a été érigée en sa mémoire en France et pourquoi pas dans son pays ?

On parle du rapatriement de son corps, mais le corps il est où il est,le plus important pour les générations à venir, c’est son œuvre et son art.

Entretien réalisé par Amar Chekar

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