Des vers et des images pour une mémoire toujours vivante

Partager

Malgré une visible filiation thématique et morphologique qui relie ces contes au patrimoine populaire algérien, Hamou, en y apportant sa touche personnelle, en fait des ‘’produits’’ nouveaux qui méritent une attention et une lecture pointues.

Dans sa production poétique, l’auteur se montre encore plus novateur en mêlant sensibilité exacerbée et diversité stylistique de façon à faire jouer dans une même partition vision surréaliste, des vers à la “Prévert’’, des aphorismes nietzschéens et de simples et succulents acrostiches.

C’est du moins ce qui ressort de la lecture du recueil “Soleil vertical’’ paru aux éditions ANEP en 2002.

Nous recevons les compositions de Hamou Belhalfaoui comme un baume sur un cœur blasé par les platitudes qui nous entourent et grossi par les frustrations de ce qui ne nous entoure plus.

Qu’il s’exprime en vers, comme dans son recueil Le Soleil vertical ou en prose, comme dans ses nombreux contes, la sensation est presque la même : une sorte de libération où l’on se détache, au moins temporairement, des pesanteurs et des fadaises de la quotidienneté pour voyager, comme une ombre ailée, dans le monde plus éthéré qu’organique des mots et des phrases magiques de Belhalfaoui.

Comme le note la critique Marie-laurence Desad, ‘’sa technique d’écriture a gardé des traces de l’oralité passée’’. L’on peut dire que les écrivains maghrébins- certes, à des degrés différents- sont tous influencés, voire parfois guidés par cette culture orale d’une richesse extraordinaire. “Je me sers d’un canevas, puis je brode, je tisse mon histoire. Mon imaginaire fait son œuvre’’, dit-il.

Hamou Belhalfaoui, fils de l’érudit Mohamed Belhalfaoui, est né à Oran en 1945. “Chez les Belhalfaoui, on est conteur de père en fils.

Mohamed a raconté, le premier, les histoires que lui racontait sa mère, Zohra, et son père, Belkacem, le soir, à la veillée’’, écrit Nina Hayet en préface des Contes au petit frère (éditiond L’Harmattan- 1996). Et elle ajoute : “Hamou Belhalfaoui n’a pas seulement repris le flambeau pour perpétuer la tradition familiale. Son mérite est d’avoir su redonner une nouvelle jeunesse à ce patrimoine en l’enrichissant d’un style délicieux, sobre et imagé, qui fleure bon la poésie, avec des créations propres et des apports qui n’appartiennent qu’à lui’’.

Hamou Belhalfaoui retrouve Oran, sa ville natale, en 1963, après un exil entre Paris et Berlin. Il rejoint l’équipe du quotidien La République où il collabore à la rubrique “Arts et Lettres’’ dirigée par Gil Jouanard. Il n’avait pas encore vingt ans.

En 1964, il reçut un prix de poésie que lui décerne le Centre culturel français.

Après avoir obtenu son bac, Hamou Belhalfaoui s’inscrit à l’Ecole Normale dAlger. Là, il fera connaissance avec de jeunes poètes et écrivains comme Ahmed Azeggagh, Youcef Sebti et Rachid Boudjedra.

Nina Hayat raconte, dans la préface à Soleil vertical ( préface non insérée dans l’édition ANEP- 2002), l’effervescence pendant les premières années de l’indépendance de ce microcosme littéraire qui ‘’osait’’ organiser des récitals poétiques dans la capitale comme celui de novembre 1966 à la salle des Actes de l’Université d’Alger. Jean Sénac eut ce commentaire : ‘’C’est dans ce monde que je veux le paradis !’’.

Notre poète participa aussi à la première Union des Ecrivains Algériens qui ne tardera pas à être dissoute par les autorités pour en créer une- officielle- plus conforme au canevas du parti unique.

Suite à la nouvelle ère de ‘’glaciation’’ qui s’instaura, Belhalfaoui reprit le chemin de l’exil et s’installe en France. Avant de retrouver le chemin de l’écriture, il s’exerça à la peinture.

Par la suite vinrent Les Contes au petit frère en 1996. L’auteur en fait le commentaire suivant dans Civique n°70 (août- septembre 1997) : ‘’A la lecture de mes contes, je m’aperçois finalement qu’ils sont plus teintés de féminisme que je ne le pensais, comme si la réalité de la vie si difficile des femmes algériennes avait fini par imposer ma propre insistance. Qu’elles soient épouses, mères ou jeunes filles, elles sont tellement brimées ! Avec moi, elles prennent leur revanche ; car, dans mes contes, les femmes ont souvent le meilleur rôle.

Lorsque Hamou Belhalfaoui a voulu renouer avec l’Algérie, la déception qu’il en récolta fut à la mesure de son désir comme l’écrit Marie-Laurence Desad. ‘’Je n’ai pas réussi à m’intégrer. Là-bas, on me reprochait d’être de culture française. Ici, certains ne voient que ma culture arabe’’.

Atavisme et plongée dans l’innocence première

Les éditions ANEP- Algérie ont publié un recueil de contes de Belhalfaoui en 2002 sous le titre “Contes pour de rire et pour de vrai”, ouvrage composé de 26 pièces. Elles font partie de ce patrimoine oral que l’auteur a reçu de son père qui, lui-même, l’a reçu de sa mère. Hamou, en transcrivant ces contes, y a apporté sa touche personnelle, par son style propre et même certainement par une partie de son imagination. C’est ce qu’il insinue en parlant de son premier recueil : “je tenais à faire œuvre d’écrivain, de créateur, à la différence de mon père : il y en a certains dont j’ai changé la fin par exemple, ce qui en a modifié totalement le sens’’ (in Algérie/Littérature- Action- 1997). Certains contes, du fait de l’existence d’un fond culturel commun algérien et même maghrébin, se retrouvent avec des variantes dans plusieurs régions du pays, “cela concerne particulièrement les contes où l’histoire est complexe et peut prêter à de nombreuses interprétations, où elle va s’enraciner dans les profondeurs des mythes et du bestiaire, et où il est fait appel à un imaginaire illimité’’.

Les contes de Hamou Belhalfaoui constituent un segment important de la littérature algérienne qui tire de l’oubli et valorise le patrimoine oral. Il s’ajoute ainsi aux inventaires, qui ne sont jamais exhaustifs, réalisés par Taous Amrouche, Mouloud Mammeri, Rabah Belamri…etc.

Les préfaciers de “Contes au petit frère. Contes et fabliaux d’Algérie’’ (L’Harmattan-1996), Dominique Le Boucher et Jacques Dumont, écrivent à propos de l’écriture de Hamou Belhalfaoui : “La langue des contes et des poésies populaires vient nous rejoindre à travers tant de parcours sinueux d’une bouche à l’autre, quelles que soient ses pertes, parce qu’elle est avant tout une langue que l’on sent, que l’on touche, que l’on mange. Elle ne fait pas appel à nos acquis littéraires particuliers, mais elle fouille, elle triture notre stock infini d’images, notre réserve de sensations intimes, nos émotions qui remontent au plus secret de l’enfance.

Ce qu’elle transmet depuis toujours, avec ce peuple incroyable de diables, d’ogres, de monstres et de lutins, qui habillent dans notre inconscient chacune des nos peurs et chacun de nos désirs, c’est ce que nous ne pourrions formuler autrement qu’avec un langage mystérieux, qui demeurera, même si nous n’en sommes jamais dupes, éternellement codé”.

‘’Le poète, traducteur inconscient de l’indicible’’

“Soleil vertical’’ est un recueil de poésie de Hamou Belhalfaoui paru en 2002 aux éditions ANEP. La préface écrite par Nina Hayat a, semble-t-il, été ‘’oubliée’’ par l’éditeur.

Le recueil comporte une quarantaine de pièces poétiques qui s’étalent de 1963 à 1996. Déjà, avant l’âge de vingt ans, Belhalfaoui obtient un prix de poésie organisé par le Centre culturel français. C’était en 1964. Le jury comportait des noms célèbres comme Pierre Emmanuel et Louis Guillaume.

“La recherche de la vérité, but suprême de la poésie, ressemble un peu à la course de l’hyperbole ; plus elle s’approche de l’axe, plus il devient sûr qu’elle ne l’atteindra pas !’’, écrit-il l’auteur dans un de ses aphorismes. “Le poète est le traducteur inconscient de l’indicible. Tandis que le savant, après un raisonnement raisonnable, aboutit à telles conclusions, le poète, par pure intuition, capte toutes les conclusions possibles, pour rechercher, à rebours, l’hypothèse première’’, ajoute-t-il. Les poèmes de “Soleil vertical’’ ne sont pas tous de la même veine ni de la même couleur. Une poésie libre empruntant tantôt au surréalisme, tantôt aux nouvelles écoles du vers libre, et parfois franchement originale. Les préoccupations métaphysiques n’y sont pas rares. Épicurisme ou désir légitime de jouissance dans un monde dominé par l’absurde ?

Philosophe à sa façon, c’est-à-dire dans le sens où, dans une vision pragmatique, il faut prendre ce qu’il y a de positif dans tout, Belhalfaoui retrouve un de ses thèmes favoris- caractère éphémère et absurde de la vie- même dans ses poèmes les plus récents comme celui intitulé ‘’Comme une goutte d’éternité’’ :

« Où l’homme, par une plongée à ses origines,

Par la volupté créatrice ou charnelle,

Dérobe une parcelle de feu.

Et, pour une fraction de seconde,

Peut communier avec la nature.

Qu’il fasse abandon de son vil orgueil,

Qu’il reconnaisse enfin son état animal,

Et il lui est loisible de boire

Une goutte d’éternité !

Cette tranche d’infini qui nous est offerte,

Nous voulons la dévorer,

A belles dents ».

Auteur d’une grande sensibilité et d’une imagination débordante, Hamou Belhalfaoui mérite d’être connu en Algérie et ses contes enseignés à l’école algérienne au même titre que ceux de Perrault, des frères Grimm et d’Andersen. En tous cas, la culture algérienne- dans sa diversité et sa pluralité- lui doit considération et reconnaissance d’avoir sauvé de l’oubli un pan de notre mémoire collective et de l’avoir promu, par le biais de la langue française, au diapason de la culture universelle.

Amar Naït Messaoud

Partager