Un repas familial : entrées froides et chaudes et dessert ou bien un repas entre amis, avec une bonne cuite en fin de soirée. L’âge joue un rôle déterminant dans le choix du programme. Ceci dit, quel que soit le plan adopté, quelques jours avant cette soirée annonciatrice de la nouvelle année, une grande agitation s’empare de Tizi-Ouzou et ses habitants. Les boutiques, magasins d’alimentation générale, bouchers et autres superettes sont pris d’assaut. On ne s’y prend jamais à la dernière minute pour faire les emplettes. Sait-on jamais si on ne trouve pas tel ou tel ingrédient pour le repas. «C’est la première fois que je fais mes courses quelques jours avant la fête du Nouvel An. D’habitude j’attends le 31 décembre. Vous vous imaginez bien qu’il doit bien manquer des choses à ma table. Cette fois-ci j’ai fait le gros de mes achats jeudi dernier. Le reste je le fais progressivement à ma sortie du boulot. Chaque jour, je craque pour un truc. Aujourd’hui, j’ai pris quelques sachets de friandises pour mes gosses», nous raconte Nora, 39 ans. Si Nora est prévoyante, certains le sont un peu plus. Ces derniers au lieu de stocker dans le congélateur et le frigo des tonnes d’ingrédients qui sont entreposés durant des jours avant le jour J, préfèrent avoir du frais. Mais comment avoir du frais le jour même de la fête, sachant qu’à cette date on ne trouve jamais rien sur les étals des magasins ? Eh bien c’est facile : La commande est le meilleur moyen. Passer une commande quelques jours avant la fête est devenu le moyen le plus facile de tout se procurer à la date prévue sans jamais se soucier de rien. «Je travaille à Rouiba. J’arrive très tard dans la soirée. J’ai prévu de prendre ma journée le 31 décembre pour m’occuper du repas du Nouvel An d’autant plus que je reçois ma belle-famille. La pression est donc double : Il ne faut rien rater. J’ai envie de garnir richement ma table. Une manière de leur en mettre plein les yeux eux qui ne voulaient pas trop de moi au début de mes fiançailles. Pour tout réussir et par manque de temps, j’ai passé des commandes sur presque la totalité de mes ingrédients. J’ai passé une commande au poissonnier, une autre au boucher – puisque ma belle-mère a horreur du poisson – une autre au pâtissier pour les gâteaux et la bûche, une autre au traiteur pour les entrées toutes faites et j’ai demandé à la voisine de faire le marché des fruits et légumes pour moi-la veille du Nouvel An étant donné que je travaille ce jour-là. Sauf surprise de dernière minute en principe j’aurai tout pour mon dîner du Nouvel An», raconte Bahia, 37ans.
Nombreuses sont les femmes actives qui adoptent cette méthode d’achat. Les femmes au foyer aussi y ont recours quand elles veulent avoir des produits frais le jour désiré. C’est le cas des viandes et poissons, de toute sortes de gâteaux. On n’a qu’à passer prendre sa commande. Rien de plus pratique. En plus on a droit à la meilleure marchandise et aux meilleures parts étant donné qu’elles ont été préparées en premier, avant même les autres clients. Et puis quand on passe une commande, on n’a pas droit à l’interminable queue serpentine devant la plupart des marchands en relation avec la fête. Parce qu’à cette période de l’année, on sue pour se faire servir ou même passer à la caisse. On fait la queue pour tout même une bouteille d’eau qu’on a prévu de consommer sur place ! «Je suis trop vieille et je ne peux plus supporter me planter dans une queue à attendre mon tour des heures durant. C’est vrai qu’on est plus à l’ère des grandes attentes interminables dans une queue à attendre un arrivage de sucre mais ma santé ne me permet pas la station debout plus de quelques minutes. Comme mes filles travaillent et ne peuvent s’occuper de mes achats, en général, je passe mes commandes quand je sors faire ma petite promenade du matin et j’envois le petit voisin pour aller la chercher contre quelques pièces de sous. Et tout le monde y gagne. C’est ce que j’ai fait pour le repas du Nouvel An. J’ai envie de gâter mes filles. Elle travaillent tellement qu’elle ont le droit au repos et surtout à un bon repas sans efforts», nous raconte Nna Hammama, 77ans. Quels sont les repas que les Tiziouziens privilégient pour le repas du Nouvel An. Vous l’auriez deviné. En tête de liste : l’indétrônable couscous qui reviendra également à Yennayer et Mouharam, secondo : la dinde farcie, piquée de la traditionnelle table de Noël, et troisièmement : le poulet rôti à la jardinière ou au riz. Le prix du poulet ne décourage pas certains ! Ceci dit, les friandises bouffent en moyenne 30 à 40% du budget du repas. Entre les chocolats et bonbons «made in là-bas ou ici» c’est la bourse de chacun et son statut social qui détermine le choix. Même les familles sans enfants en bas âge sont touchées par la folie des friandises. «Mon dernier a 17 ans et passe d’ailleurs la soirée du réveillon avec ses cousins à Alger. Mais j’ai claqué plus de 1500 dinars en chocolats et bonbons de toutes sortes. C’est une folie je vous le concède. Mais quand on voit ce qui est sur les étals et qu’on est très gourmand de surcroît, il est difficile de résister !», dit Nadia, 45 ans, à ce sujet. Côté commerçants, c’est la grande joie. Les bouchers sont ravis de «retravailler» après l’Aïd et les pâtissiers très contents de satisfaire les besoins de leurs clients en bûches, en gâteaux et en petits papas Noël en chocolat. Ceux-là même qui nous ont fait rêver tout petits et que nous ne trouvons pas terribles une fois grands. Les goûts ne se discutent pas. La preuve, les vitrines des pâtissiers qui bondent de ces petits bonhommes en chocolats. «Ils se vendent comme des petits pains. Quelle que soit la quantité qu’on commande, elle ne suffit jamais en cette période de l’année. Le soir nous n’avons pas le moindre petit papa Noël à se mettre sous la dent ! Les enfants y sont pour quelque chose. Il n y a pas un enfant qui passe devant notre vitrine sans convaincre ses parents de lui prendre un bonhomme en chocolat. Il faut dire que les prix sont plutôt abordables. On est ravi de faire le bonheur des bourses serrées», nous dira Rachid vendeur dans une pâtisserie du Centre-ville. Ces friandises peuvent embellir la table de certains et faire le plaisir des gosses d’autres, mais elles seront inutiles pour ceux qui ont choisi de fêter le passage au Nouvel An ailleurs. Jeunes et moins jeunes, certains Tiziouziens préfèrent passer la nouvelle année ailleurs que chez eux. Il y a ceux qui se font un restaurant et une soirée à l’extérieur. Mais faute de choix, certains vont même jusqu’à faire des centaines de kilomètres pour se payer ce luxe, soit à Alger ou à la périphérie. Il y a ceux qui se font inviter et qui se contentent d’emporter un cadeau, une boisson pour l’apéro ou le dessert. Il y a aussi les plus jeunes qui veulent faire la fête en musique. Faute de choix aussi, ils sont contraints de faire des kilomètres pour s’éclater. Les grands hôtels d’Alger sont privilégiés. «J’ai fait des petits boulots des mois durant pour mettre de côté le budget de mon réveillon. Nous sommes trois copains à faire ça. Nous avions pensé à faire partie d’un voyage organisé en Tunisie, mais nous n’avons pas pu réunir la somme qu’il fallait. Nous avons alors décidé de tout claquer dans un hôtel de luxe à Alger. Dîner et soirée dansante. La totale pour nous trois qui n’avons jamais fait le moindre petit pas dans une piste de danse. Nous déboursons jusqu’au moindre centime de nos économies que nous avons fait spécialement pour la soirée du réveillon. Nous avons même acheté des vêtements dignes de cet hôtel. Tout est prêt pour qu’on passe une bonne soirée, même l’appareil à photo !», nous raconte Nacim, 22 ans, étudiant en 2ème année Génie mécanique. Il est vrai que c’est dur d’assurer pour une bourse réduite. Ce ne sont pas toutes les familles qui peuvent se permettre une table garnie le soir du réveillon. «J’arrive à peine à joindre les deux bouts. Si j’arrive à nourrir ma petite famille convenablement hors fête c’est déjà pas mal. Pour le réveillon du Nouvel An je n’ai absolument rien prévu d’extraordinaire. Nous mangerons comme d’habitude. Ma femme préparera la bûche à la maison. C’est plus économique. J’ai même prévu de compenser autant de privation avec quelques friandises. Rien à avoir avec les boites de chocolats à 2000 dinars ! Juste un geste pour les gosses. Histoire de ne pas se sentir lésés devant leurs copains. Si j’avais les moyens, ce serait toujours la fête pour mes gosses», déplore Mahmoud, 54 ans. Il existe malheureusement des familles qui ne peuvent même plus faire plaisir aux leurs. Là, généralement le soir du réveillon est triste surtout s’il y a des enfants qui attendent la fête. Certaines de ces familles trouvent leurs saluts en des âmes charitables. Des amis, des parents ou des voisins, toutes les aides sont les bienvenues pour réveillonner dignement. Certaines familles préfèrent se passer de cette fête, même si les moyens ne leur font pas défaut. Pour eux, cette fête n’est qu’un simple héritage du colonialisme. On devrait s’en passer et s’en tenir aux fêtes religieuses. Pour ceux-là, Rachid répond : «L’Imam de mon village a été interrogé, durant la Salat El Djoumoua par certains pratiquants sur le réveillon. Notre Imam n’a eu de réponse que d’inviter l’assistance chez lui ce jour-là car il promettait une fête mémorable pour tous».
Origines du réveillon de la nouvelle année
Le Nouvel An est une fête qui a vu le jour vers 46 avant notre ère. Et c’est Jules César qui avait décidé que le 1er janvier serait le Jour de l’an. Les Romains fêtaient le Nouvel An selon le calendrier julien, encore utilisé aujourd’hui par les églises orthodoxes serbes et russes. Les Romains dédiaient ce jour à Janus, Dieu des portes et des commencements. Le mois de janvier doit son nom à Janus, qui avait deux visages : l’un vers l’avant, l’autre vers l’arrière.
Partout dans le monde l’on a fêté le jour du Nouvel An dans des dates différentes. Ce n’est qu’en 1622 que le 1er janvier fut retenu comme date officielle du Nouvel An, par le Pape. L’ensemble du monde catholique, les pays colonisateurs d’où nous tenons la tradition du Nouvel An en font partie. Il s’agissait d’une décision apte à simplifier le calendrier des fêtes religieuses. Bien que les Jours de l’an tombent rarement à la même date d’un calendrier à l’autre, on remarque une relative concordance entre certains pays les origines du choix étaient différentes. l’Égypte antique, à titre d’exemple fêtait la nouvelle année à l’arrivée annuelle de la crue du Nil, soit le 19 juillet. Cette crue étant due aux pluies ayant lieu loin en amont, dans les Hauts-Plateaux, sa date était entièrement tributaire de phénomènes météorologiques. Cependant, elle intervenait généralement à la même période. Les Romains fêtaient le Nouvel An le 1er mars, les Chinois ont choisi la période séparant le 20 janvier du 18 février, le calendrier persan définit le 21 mars comme jour de l’an. Actuellement, même s’il est fixé au 1er janvier, Yennayer (Nouvel An berbère), Awal Mouharam (Nouvel An de l’hégire), Norouz (Nouvel An persan), Rosh Hashana (Nouvel An hébreu), Novii God (Nouvel An russe), ainsi que la Saint-Sylvestre et le Nouvel An chinois font partie des différentes célébrations du Nouvel An dans le monde.
Et l’habillement ?
Les boutiques de prêt-à-porter et d’habillement n’ont pas eu le même succès que les magasins d’alimentation générale. A Tizi, on fait la fête sobrement. Si les boutiques de mode sont prises d’assaut à Alger à cette période de l’année, à Tizi on ne se bouscule pas aux portillons. Quelques dames et jeunes filles font tout de même l’exception. Elles viennent choisir un beau haut pour passer une soirée chez des amis ou avec son conjoint ou sa petite famille. «Je suis invitée chez mes beaux-parents. Je n’ai absolument rien à me mettre. Je ne peux pas me pointer en Jean-baskettes tout de même. C’est tout ce que j’ai dans ma garde-robe. Je viens chercher une tenue plus au moins classique. J’espère être à la hauteur», nous raconte Lila, 24 ans. Parmi les rares personnes que l’on a trouvé face à une vitrine contemplant un superbe costume beige, demandant conseil à la jeune femme qui l’accompagnait, Baya, 54 ans. Elle est venue, accompagnée de sa fille aînée, choisir une tenue pour sa soirée en tête à tête avec son mari. «C’est notre premier réveillon en tête à tête depuis 23 ans, l’âge de mon aînée. C’est un événement pour moi. Mon mari m’invite au restaurant. Je suis toute remuée. J’espère me débarrasser de mon stress une fois que j’aie trouvé la tenue qui irait avec ce genre de soirée», s’inquiète Baya.
Comme nous le voyons le réveillon de la nouvelle année n’est pas une fête anodine. Les Tiziousiens y accordent beaucoup d’importance et se donnent beaucoup de mal à la préparer. Alors, importée ou pas, cette tradition de fêter le passage à la nouvelle année ne doit être qu’une occasion de se rapprocher d’autrui. Elle doit être une fête de générosité, de bonté et d’humanisme avant tout. Faire la fête ce n’est pas mal aussi ! Bonne année !
Samia A-B
