De la xénoglossie à la preuve de vie

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Par Anouar Rouchi

Il y a sept semaines que Florence Aubenas, journaliste au quotidien français Libération, a été enlevée à Baghdad en compagnie de son interprète. Ni le moindre communiqué des ravisseurs ni la moindre revendication ne s’en sont suivi, contrairement aux cas similaires précédents, ce qui a laissé dire que les motivations de l’acte seraient plutôt crapuleuses que politiques. Lorsque, mardi dernier, une cassette vidéo dans laquelle Florence Aubenas lance un SOS poignant a été rendue public, elle a suscité des sentiments partagés et contradictoires. Amaigrie, à bout de force, les yeux hagards, elle réitère par trois fois, en à peine une minute, sa demande de voir intervenir pour sa libération, le député UMP, Didier Julia. Ce dernier, on s’en rappelle, a fait couler beaucoup d’encre à l’occasion de son équipée solitaire et controversée pour faire libérer deux autres journalistes français. Cette demande, formulée sous la contrainte, sème le trouble et pose davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses…En tout état de cause, cette cassette vidéo a autant ému que soulagé. En dépit de multiples interrogations restées sans réponse, l’entourage de Florence Aubenas, comme les commentateurs professionnels, se veulent optimistes et se félicitent à l’unisson de cette “preuve de vie”.Question à un dinar dévalué : Florence Aubenas – à laquelle nous souhaitons une libération rapide – et notre ministre des Affaires étrangères, ont-ils quelque chose de commun ?A première vue, non. Pourtant…Florence Aubenas est une femme, notre ministre est un homme. Elle est française et il est algérien, même s’il s’entête à prouver le contraire. Elle est journaliste et il ne porte pas cette profession dans son cœur. Florence Aubenas a besoin d’un interprète pour son travail en terre étrangère. Elle n’est donc pas sujette à la xénoglossie. Notre ministre, si.Derrière ce mot barbare se cache un phénomène paranormal qui fait qu’un individu se mette spontanément et tardivement à parler une langue étrangère qu’il n’a jamais eu l’occasion d’étudier ni de pratiquer. Il en a donné la preuve à plusieurs reprises, lorsque contre toute attente et devant une forêt de microphones, il s’est exprimé dans un français irréprochable, lui qu’on croyait fidèle à la langue sacrée du Coran. D’ailleurs, depuis que Bouteflika est à la tête de l’Etat, des miracles de ce genre sont légion. Devant une telle manifestation de l’irrationnel, c’est toute l’Algérie cartésienne qui s’est mise à espérer. Elle a cru naïvement que le Belkhadem des années 1990, celui auquel la presse a prêté des accointances coupables avec les mollahs iraniens, était définitivement mort et que le Belkhadem nouveau était dernière. Erreur ! Depuis qu’il a été porté à la hussarde à la tête du FLN, notre ministre aurait décidé de renouer avec sa personnalité véritable.Chaucun aura été surpris en le voyant la semaine écoulée, par écran de télévision interposé, affublé d’une tenue irano-soudanaise, alors qu’il recevait un officiel étranger et qu’il était donc dans ses fonctions de ministre d’Etat, ministre de la République.Pour l’intéressé, cela n’a rien de surprenant. Cette initiative vestimentaire controversée ne serait qu’une coquetterie destinée à faire plaisir à son invité. Aucun observateur avisé ne le croit. Tous pensent, au contraire, qu’à une semaine près, le Belkhadem islamiste a fait la même chose que Florence Aubenas : il a produit une “preuve de vie”.La preuve qu’il ne faut pas le croire ? S’il devait recevoir le prince de Galle, serait-il prêt à porter une jupe à carreaux ?

A. R.

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