L’investissement demeure otage du foncier

Partager

n Par Amar Naït Messaoud

L’enrichissement de la loi domaniale a aussi trait à la consécration du droit de contrôle par l’administration domaniale sur l’utilisation des biens relevant du domaine national.

Au cours de ces dernières années, le problème du foncier a pris de telles proportions que les pouvoirs publics ont eu à se pencher à maintes reprises sur les lois et règlements qui fondent sa conduite. Plusieurs secteurs sont concernés par la gestion et le développement du foncier : la commune, les domaines, le cadastre, la direction de l’Agriculture, la Conservation des Forêts, les agences foncières, la Conservation foncière,…etc. Pour faire prévaloir harmonie, fluidité et bonne gestion du foncier avec autant d’intervenants, il faut nécessairement que les textes législatifs fondamentaux ne souffrent aucune ambiguïté et que la coordination soit assurée à tous les niveaux. Il faut dire que l’ancien mode gestion de l’économie dirigiste ne permettait pas, voire n’exigeait pas, autant d’efforts et de vigilance. C’est après l’ouverture économique consacrant solennellement le droit à la propriété privée et faisant appel à l’intervention d’une multitude d’agents et d’acteurs économiques-y compris de nationalité étrangère-, que le ‘’sous-développement’’ de l’Algérie en matière de gestion du foncier est apparu au grand jour. À ce titre, l’imbroglio entourant la gestion des zones industrielles et les anciens assiettes foncières relevant d’entreprises publiques dissoutes n’est que la partie visible de l’iceberg.

Il y a deux ans, l’Assemblée populaire nationale a initié un débat à la suite d’une saisie du ministère des Finances relative au foncier national en général. La conclusion qui s’en dégagea était que les pouvoirs publics devaient se doter d’un nouvel instrument permettant de constater et d’établir le droit de propriété, et ce parallèlement aux opérations cadastrales classiques, lesquelles avancent à un rythme jugé insuffisant. La preuve, seules 5% des terres concernées par cette opération ont pu être cadastrées jusqu’en 2007. En outre, souligne l’ancien ministre des Finances, M. Medelci, « la loi de 1983.a donné lieu à certains dérapages illustrés par de nombreuses affaires soumises à la justice ». 7% des affaires portées devant la Cour suprême concernent les litiges fonciers. La nouvelle réglementation adoptée était censée, selon le département ministériel chargé de ce dossier, à encourager l’activité agricole et la construction avec des crédits hypothécaires.

Maigres palliatifs

Parallèlement à cet arsenal juridique, et pour hâter la prise en charge des programmes annuels d’habitat rural qui font partie du million de logement prévu par l’agenda présidentiel, le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales avaient instruit les présidents des Assemblées populaires communales que, en cas d’absence de titre de propriété pour la constitution du dossier de l’habitat rural, le maire peut recourir à l’établissement d’un certificat de possession sur demande de l’intéressé. Destiné à être affiché pendant deux mois sur les tableaux d’affichage de la mairie, la demande d’établissement d’un certificat de possession peut facilement subir les aléas d’oppositions fondées, fantaisistes ou intempestives émanant des membres de la famille éparpillés dans d’autres communes ou wilayas d’Algérie. Dans certaines wilayas, ce genre d’oppositions se comptent par milliers du fait que la propriété est indivise et qu’elle ne bénéficie pas d’une dévolution successorale.

Sur cette base, des milliers de candidatures ont été éliminées par les commissions d’attribution de soutien à l’habitat rural. Et c’est dans la logique des choses que de telles oppositions ne restent pas ‘’impunies’’. Elles donnent lieu généralement à des procès interminables où expertise et contre-expertise se succèdent presque vainement pendant des années, tandis que le programme de l’habitat rural a déjà ‘’choisi’’ les siens.

Sur un autre registre, en 2007, une loi portant création d’une Agence nationale d’intermédiation et de régulation foncière (Anirf) a été adoptée par l’APN. Cette agence a pour mission d’établir et de réguler le marché du foncier dans une perspective de promotion de l’investissement. La ressource foncière est considérée comme un capital à côté des moyens humains, financiers et matériels qui conditionnent l’acte d’investissement. Dans notre pays, la plupart des projets d’investissement, particulièrement ceux ayant une certaine envergure, sont confrontés à la donne foncière dont la gestion manque visiblement de clarté et de rationalité.

Presque tous les secteurs d’activité, à un moment ou à ou un autre du développement et de l’expansion de leurs domaines d’intervention, sont confrontés à ce qui est vaguement appelé le problème du foncier.

Qu’il s’agisse de bâtir des logements sociaux, un dispensaire, une mosquée, un lycée ou de chercher à investir dans l’industrie, l’agroalimentaire ou l’agriculture, l’écueil de l’assiette foncière surgit pour contrarier les efforts les plus déterminés et les politiques les mieux élaborées. Il constitue la hantise des commissions de choix de terrain au niveau des communes, des daïras ou de la wilaya. Pour n’avoir pas été pris en considération à temps comme un des facteurs essentiels du développement économique du pays, le foncier a joué de mauvais tours pour de nombreux projets d’investissements nationaux et étrangers.

Des flous persistants

Les nouvelles orientations de la politique du pays établissant le passage vers l’économie libérale- qui consacre comme principe sacré le principe de la propriété privée- sont venues se greffer sur des structures sociales souvent archaïques. La meilleure illustration en est le statut du foncier en général et le statut des terres privées et des terres archs en particulier. Cette dernière catégorie-la propriété arch- est une véritable épine dans le fouillis des textes réglementaires relatifs au foncier. Pourtant, la loi portant orientation foncière en fait expressément une propriété de l’État. Des dizaines de familles représentant parfois des centaines de personnes revendiquent parfois une même parcelle indivise sans aucun document écrit (titre de propriété). Dans plusieurs communes d’Algérie, ce genre de situation surgit souvent lorsque un quelconque projet d’infrastructure est initié par les pouvoirs publics sur des terres privées ou arch même marginales.

Le flou qui entoure la propriété arch est l’un des points faibles de la législation algérienne en la matière. Généralement, l’administration et les collectivités locales assimilent ce genre de propriété à un bien communal-en vertu de la loi portant orientation foncière qui conforte cette vision des choses-, tout en évitant d’y envisager une quelconque transaction ou un éventuel investissement sachant pertinemment que cela engendrera une levée de boucliers de la part de dizaines de prétendants dispersés souvent aux quatre coins du pays et même à l’étranger. Le passage de gazoducs et oléoducs, la construction de barrages hydrauliques, les voies des grands transferts hydrauliques actuellement mis en œuvre dans plusieurs wilayas du pays, ont soulevé de multiples problèmes en valorisant des parcelles de terrain qui, jusque-là, étaient laissées en friche. On a même assisté dans certains endroits à la plantation de ‘’dernière minute’’ d’oliviers sur l’itinéraire d’un futur gazoduc une fois que l’information a circulé sur le linéaire que va suivre cette conduite. Sans pourtant pouvoir produire aucune justificative de propriété, les auteurs de tels actes espèrent se faire indemniser par une politique de harcèlement où la municipalité, la daïra et la wilaya sont sollicitées pour appuyer des ‘’réclamations’’ de citoyens voulant tirer une rente d’une ancienne poche de terre laissée à la marge de tout investissement. Biens de mainmorte

Des centaines, voire des milliers, d’hectares, parfois d’une terre de grande qualité, sont pris en otage à la manière des terrains de mainmorte appartenant aux habous ou aux communautés religieuses.

Ces terrains sont mis dans une situation d’impasse où ni les prétendants n’y investissent ni les autorités ne peuvent en faire un objet de transaction pour en rendre possible l’exploitation. Une situation intenable qui ne profite à personne.

Quant à la propriété privée proprement dite, elle non plus ne manque pas de poser des problèmes entre particuliers (voisins, parents, co-exploitants,…) et entre particuliers et pouvoirs publics lorsqu’il s’agit des programme d’aide à l’habitat rural et de soutien à l’économie rurale par le truchement de certains programmes de développement. Absence de titres de propriété ou d’arrêté de concession ou d’affectation, indivision, absence de dévolution successorale, tout un éventail de cas problématiques qui dissuadent les meilleures volontés portées sur l’investissement et le développement.

Les espoirs mis dans les opérations cadastrales sont relativisés par la lenteur des travaux de cet organisme public et par les moyens limités dont il dispose. Dans beaucoup de wilayas, la moitié des communes formant le territoire ne sont pas encore cadastrées. Il faut dire que même cette opération n’est pas exempte de contestations puisque les antennes régionales de l’ANC (Agence nationale du Cadastre) reçoivent des requêtes de citoyens à chaque passage de leurs services dans les communes.

Un vieil imbroglio

Cet imbroglio juridique dans notre pays remonte au moins au temps de la colonisation lorsque les populations autochtones ont été dépossédées de leurs terres par les lois du senatus-consult à partir de 1863. Les terres relavant actuellement du domaine privé de l’État et du domaine public de l’État (biens domaniaux)étaient des biens particuliers des Algériens avant ces fameux décrets. Aujourd’hui, les terrains domaniaux sont frappés du sceau des 3 ‘’i’’ : ils sont insaisissables, Inaliénables et Imprescriptibles. Après l’Indépendance, l’orientation ‘’socialiste’’ de l’économie avait fait l’impasse sur la propriété privée par l’opération de la collectivisation des terres.

Les propriétaires privés sont presque ‘’culpabilisés’’ devant une situation de fait imposée par la politique du moment. Ce n’est qu’après 1990 que cette orientation commençait à être abandonnée à la faveur des réformes libérales qui ont touché tous les secteurs de la vie nationale. Il s’ensuivit alors une nouvelle vision des choses chez tous les acteurs économiques et sociaux.

L’émergence de conflits fonciers au cours de la dernière décennie est due à deux facteurs essentiellement : d’abord le retour à la terre en tant qu’activité économique créatrice de richesses après un abandon qui aura duré des années, voire des décennies pour certaines familles exilées dans d’autres coins du territoire national ; ensuite, la précarité du statut de salarié et la fermeture des entreprises publiques qui ont poussé des ménages à se fixer à la campagne et, partant, à se rappeler leurs anciennes propriétés ou les lopins hérités par simple dévolution coutumière.

Or, une propriété, c’est d’abord des limites, un plan cadastral, une figure géométrique. De l’imprécision de ces limites ou de la volonté d’une autre partie à empiéter sur la propriété du voisin naissent des conflits inextricables qui traînent devant les tribunaux.

Il est incontestable aussi que des appétits se sont aiguisés à la suite de la mise en œuvre de la politique des pouvoirs publics relative au développement rural ou des aides et des soutiens sont accordés pour la construction rurale, les forages et bassins d’eau, les plantations fruitières, les bâtiments d’élevage,…etc. Une grande partie de ces ouvrages exige que soit produit un titre de propriété du terrain sur lequel ils doivent être érigés. Cela a fini par provoquer des réflexes de régularisation de la propriété, processus qui, malheureusement, n’est pas bien huilé y compris dans les communes cadastrées.

Pour un droit foncier novateur

Des conflits interminables surgissent alors entre voisins, cousins et autres parents et alliés. Des sommes colossales sont englouties dans les batailles de procédure faisant le bonheur des auxiliaires de justice (avocats, notaires, experts fonciers, huissiers,…). À ce propos, notre appareil judiciaire est en train de faire face à des situations parfois inédites en matière de gestion et d’arbitrage du foncier. La formation de son personnel a certainement besoin d’être renforcée dans le droit foncier. Ailleurs, dans les pays développés, ce sont des tribunaux fonciers spécialisés qui traitent ce genre de dossiers.

Ce sont les subtilités du droit de propriété, les rigueurs du droit civil, l’esprit de l’ancien Code rural, le Code forestier, les règlements d’urbanisme, les nouveaux instruments de l’aménagement du territoire (PDAU, POS, SNAT) et leur extension dans ce qui est appelé le droit commun (conflits de personnes) qui s’enchevêtrent ainsi dans la plupart des affaires et dossiers liés au foncier.

Outre la nécessité d’une vision nouvelle-sur le les plans technique et procédurier- du droit foncier qui doit se mettre au diapason des enjeux charriés par les transformations économiques du pays, une appréhension sociologique et culturelle de la notion de propriété devrait aussi permettre d’asseoir les instruments adéquats de la gestion des portefeuilles fonciers.

Car, les structures sociales algériennes, et plus généralement maghrébines, comportent bien des spécificités dans leur relation à la terre relevant du droit coutumier, lequel ne cadre pas toujours avec la stricte vision du droit positif hérité de l’administration coloniale (dévolutions, successions, héritages réguliers, avance d’hoirie, indivisions, transactions, biens de mainmorte [appelés aussi biens Waqfs et Habous et qui n’admettent ni transaction ni hypothèque], droit de préemption ou chafaâ,…etc.).

Les instruments réglementaires, techniques et juridiques que les pouvoirs publics commencent à mettre en place pour renforcer les anciens dispositifs et les vieilles institutions spécialisées dans le domaine, telle que l’Agence nationale du Cadastre, ont pour dénominateur commun, la réhabilitation, la clarification et la stabilisation de la notion de propriété qui doit être appréhendée comme une donnée économique majeure, particulièrement dans le contexte algérien de ce début du 21e siècle.

A côté des instruments de financement des investissements (crédits bancaires, cotation en bourse,…), la donne foncière constitue la deuxième cheville du développement économique du pays.

Du terrain pour investir

Au cours d’un séminaire sur l’investissement tenu l’année dernière, Issad Rabrab a eu ce trait d’esprit : « je ne peux pas construire une usine en l’air » ! Il sait de quoi il parle, lui dont, à maintes reprises, des projets ont été freinés ou annulés suite à des problèmes liés à l’indisponibilité du foncier dans un pays s’étendant sur un territoire de 2,5 millions de kilomètres carrés.

L’homme d’affaires Rabrab avertit contre une élévation anormale du prix de cession de terrains destinés à l’investissement, ce qui réduirait davantage les possibilités de redéploiement des investisseurs en Algérie par un jeu pervers de la concurrence. Il pense que l’on aura tiré à la hausse les prix du foncier au moment où à l’échelle du bassin méditerranéen et même des pays voisins ces prix se sont accommodés de la nécessité d’aller vers plus d’investissements.

Pour mieux illustrer cette situation problématique, M. Rédha Hamiani, président du FCE (Forum des chefs d’entreprise) fait état du poids du foncier dans la réalisation des projets en signalant qu’en Algérie qu’en matière de coût d’investissement, le foncier représente quelque 30 % en Algérie, alors que dans tous les autres pays méditerranéens, ce taux ne dépasse pas 10 %.

La directrice de l’Anrif, Mme Mokraoui, ne se montre pas ‘’hermétique’’ aux arguments des partenaires économiques qui voudraient plus de souplesse et de pertinence dans la procédure de cession des assiettes du foncier industriel. Elle suggérera même qu’elle serait prête à revoir la procédure de la vente aux enchères si celle-ci, après les premières opérations, s’avérait inappropriée.

Outre les sites ‘’vierges’’ identifiés dans plusieurs wilayas, l’Agence de régulation foncière aura également à gérer les assiettes héritées des entreprises publiques dissoutes (58,5 ha de terrains nus et 165 ha bâtis) et les ‘’poches’’ excédentaires enregistrées au niveau des entreprises publiques en activités (soit une superficie 783 ha de terrains nus et 214 ha de terrains bâtis). Les zones industrielles en activité disposent, quant à elles, d’un gisement de 784 hectares.

Ces sites qui ont été identifiés comme des zones potentielles de transaction via les procédures de l’Anrif ne sont pas exempts de tout litige. Il faudra alors, le plus rapidement possible, procéder à leur assainissement. Certaines entreprises publiques dissoutes traînent encore un ‘’avoir’’ foncier qui ne manque pas de convoitises et dont le dossier traîne entre le liquidateur judiciaire, l’administration des Domaines et les services du wali.

Amar Naït Messaoud

Partager