n Par Amar Naït Messaoud
La réforme budgétaire ne peut évidemment pas se concevoir comme étant un projet isolé ou autonome. Elle fait partie du grand projet des réformes de l’administration, des structures de l’Etat (territoire, institutions et missions). La nouvelle loi portant sur la Fonction publique est censée être confortée et prolongée par le projet du nouveau découpage du territoire, une décentralisation plus hardie et rationnellement configurée de l’administration et la promulgation des nouveaux codes de la commune et de la wilaya mis sous le coude depuis des années. Dans le cas où ces segments importants de la vie publique sont pris isolément ou en tant que simples éléments libres et épars qui ne répondraient à aucune vision globale et homogène ou qui ne seraient pas soumis à la logique d’ensemble autour de laquelle ces éléments s’articulent, ces réformes paraîtraient bien au-deçà des attentes et aspirations des citoyens qui espéraient une véritable modernisation de l’Etat dans sa globalité.
Au carrefour de l’administration et de l’économie
Ce volet important de l’administration et de l’économie du pays a eu une histoire chaotique qui avait installé, avant l’instauration de l’autonomie des entreprises publiques en 1988 et le divorce structurel de l’État d’avec le parti unique du FLN, une confusion totale et durable entre les structures administratives de l’État, symbole de sa souveraineté et instruments de la puissance publique, et le reste de la sphère économique et idéologique. En d’autres termes, les permanents du parti émargeaient au budget de la Fonction publique et les entreprises publiques recevaient des subventions du Trésor public. Ce parcours imposé par la grâce de l’économie administrée n’a subi l’évolution dictée par les nécessités du monde actuel qu’au prix de déchirements qui ont déteint sur la marche des entreprises et de l’administration elle-même.
Après ce découplage qui préfigurait d’autres formes d’évolutions tendant à assurer à l’administration son autonomie et à lui conférer les attributs de puissance publique, la Fonction publique se heurtera à moult écueils charriés par la libéralisation de l’économie, la nécessité de stabiliser les indicateurs macroéconomiques et l’impérative adaptation aux différents changements qui ont affecté le paysage économique et social du pays.
Avec plus d’un million et demi de fonctionnaires civils, paramilitaires et militaires, payés sur le budget de fonctionnement de l’État, plusieurs thèses se sont entrechoquées pour appeler à des dégraissages massifs dans ce corps ou bien encore au maintien de l’emploi, mais sans une analyse approfondie des véritables missions dévolues aux structures de l’État dans l’étape historique qu’il traverse. Une chose est sûre : avec un tel nombre d’employés, l’État demeure le premier employeur du pays. Cependant, une vision purement statistique ne risque pas de toucher aux véritables problèmes qui couvent dans la Fonction publique. Pire, elle risque même de les voiler face aux enjeux de l’ouverture économique et des défis de la mondialisation auxquels fait face notre pays.
Le diagnostic de l’administration algérienne s’était figé un moment sur certains symptômes extérieurs : inflation du personnel, bureaucratie et archaïsme des méthodes de travail. La Commission Missoum S’bih, installée au début des années 2000 par le Président Bouteflika pour se pencher sur les problèmes de l’administration et de l’Etat, est allée plus loin dans ses investigations en faisant état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire. C’est apparemment au compte-goutte que le gouvernement ‘’glane’’ dans ce fameux rapport pour annoncer, par intermittence, des mesures qui sont encore loin de répondre aux besoins des défis qui se posent à l’administration algérienne. Et pourtant, cela est connu à travers tous les pays du monde, aucune réforme économique n’est susceptible de s’imposer ni, a fortiori, d’avoir le souffle long sans une administration compétente, efficace, décentralisée et ouverte sur les méthodes modernes de gestion. La focalisation des pouvoirs publics sur les questions strictement salariales ne risque-t-elle pas de laisser la proie pour l’ombre?
Premières esquisses de la réforme
Il y a moins d’une année, le ministre des Finances, M. Karim Djoudi, a fait part de l’élaboration et la promulgation d’une loi qui présentera les conditions d’évaluation, d’élaboration et d’exécution des dépenses publiques. À cette occasion, il a aussi annoncé que la dette publique interne (composée principalement de la dette des entreprises publiques concernées par l’assainissement des bons du Trésor) est passée de 1780 milliards de dinars en 2006 à 1050 milliards en 2007, soit une diminution de 41 %. En 1999, le montant de la dette publique interne représentait 32,6 % du PIB ; en 2007, ce ratio est descendu à un taux gérable de 15%.
Dans le sillage des réformes budgétaires, une profonde réflexion pour un nouveau système de conception et d’exploitation du budget de l’État est engagée depuis 2007. Le mode d’articulation et de fonctionnement du budget ne s’appuierait plus sur les notions de budget de fonctionnement et de budget d’équipement, mais plutôt sur la notion de projets à financer.
En outre, depuis plus de deux ans, les pouvoirs publics ont, pour améliorer, moderniser et promouvoir aux standards internationaux le système comptable national, fourni des efforts méritoires qui ont abouti, en 2007, à l’adoption par l’Assemblée populaire nationale d’un nouveau système comptable offrant plus de transparence et de lisibilité malgré les efforts d’apprentissage et de mise à niveau qu’un tel système exige des entreprises et des personnels appelés à le manipuler.
Ce système, initialement destiné à être appliqué à partir du 1er janvier 2009, «hissera la comptabilité nationale aux normes de fonctionnement de l’économie moderne et permettra de produire une information détaillée reflétant une image fidèle de la situation financière des entreprises», soutenait devant l’APN, en septembre 2007, Karim Djoudi, ministre des Finances. C’est au début de l’année suivante qu’un travail de vulgarisation a été entamé à l’intention des futurs utilisateurs de ce nouveau système. Des experts comptables estiment que «le travail de vulgarisation fait jusqu’ici par le Conseil national de la comptabilité n’est pas à même de rendre les comptables algériens prêts à l’application du nouveau plan».
Lors d’un séminaire organisé en 2008 à Alger sur les modalités d’application du nouveau système comptable et des normes IFRS (International Financial Reporting Standards), M. Abci, consultant formateur, juge qu’ «il est aujourd’hui nécessaire que les structures ayant été à l’origine de la conception du nouveau plan expliquent aux professionnels ses modalités d’application. Cette importante démarche constitue un instrument essentiel pour l’accompagnement du processus de passage de l’ancien au nouveau système».
Le nouveau système remplacera, à partir de janvier 2010, le plan comptable national datant de 1975. Ce dernier ne répond plus aux exigences de la nouvelle économie ouverte sur le monde et sur l’investissement privé.
Le système comptable adopté par l’Assemblée nationale en octobre 2007 est censé «permettre la production d’informations détaillées, fiables et comparables reflétant notamment une image transparente et plus précise de la situation financière des entreprises (…) Comme il donne à la gestion de la comptabilité une nouvelle conception dominée par l’aspect économique qui intéresse les investisseurs, au lieu du juridique et fiscal qui intéresse beaucoup plus l’administration fiscale». Le nouveau plan comptable national, pour lequel des séminaires et journées d’études sont régulièrement organisés pour être au rendez-vous de janvier 2010, sera l’instrument comptable légal des grandes entreprises nationales, de quelque 200 000 PME privées et 711 PME publiques.
Outre la maîtrise et la modernisation des informations comptables et statistiques propres à l’administration, aux entreprises et aux autres services, l’Algérie est attendue sur le terrain de la mise en circulation des ces informations de façon à mieux en démocratiser l’usage. À bien y réfléchir, la mise à la disposition du large public (journalistes, bureaux d’études, écoles spécialisées,…) des informations statistiques fiables et exploitables participe inévitablement des efforts pour asseoir la transparence de la gestion et la bonne gouvernance.
Investissements publics et encadrement de l’administration
Depuis le lancement du Plan de soutien à la relance économique à partir de l’année 2000, les investissements publics destinés à renforcer l’ossature infrastructurelle du pays et à mieux doter les wilayas et les communes en équipements sociaux, sanitaires et culturels, les projets de développements n’ont fait que se suivre à un rythme que l’encadrement administratif et technique chargé de leur exécution ne peuvent plus soutenir. Le dernier plan, le Plan de soutien à la croissance économique (PSCE), doté d’une enveloppe de 150 milliards de dollars, a davantage mis à nu les carences de l’administration en ressources humaines. En tout cas, la mobilisation du budget pour le fonctionnement de l’administration et pour les opérations des équipements publics ne peut faire l’économie d’un débat sur les capacités des ressources humaines en place à mettre en œuvre la politique de l’État. Ces capacités se déclinent bien entendu en termes d’effectifs, de compétence et d’organisation (pyramide de commandement, organigrammes, management,…). Le diagnostic en la matière n’est pas des plus reluisants. L’administration algérienne a perdu, au cours des quinze dernières années, – suite au système de retraite anticipée précipitamment mis en place aussi bien dans l’administration que dans le secteur public économique- la fine fleur du personnel technique et administratif, formé pendant les années soixante-dix et ayant accumulé un précieux capital expérience et un réel background. La vacance ainsi créée a été partiellement comblée par le recrutement des jeunes cadres issus de l’École fondamentale et ne disposant d’aucune expérience professionnelle.
Le nouveau statut de la Fonction publique ne confère pas les moyens de sa politique au personnel de l’administration pour affronter les nouveaux défis économiques, législatifs et réglementaires qui se posent à l’Algérie.
Personnel fragilisé
Déjà bien mal en point et traînant la mauvaise réputation d’être une lourde machine bureaucratique, l’administration algérienne a très peu de prédispositions à manager des projets de grande envergure. Ses démembrements au niveau des wilayas et des communes sont exposés à tous les aléas- du fait de la régression sociale et du recul des compétences- qui font du fonctionnaire un candidat tout désigné à toutes formes de dérives, à commencer par celle qui a gangrené toute la société, la corruption.
Une administration valétudinaire et saignée par le départ des compétences et à laquelle sont confiés des projets grandioses- 150 milliards de dollars de projets de développement auxquels on s’apprête à donner un prolongement probablement de même envergure – financés par la rente pétrolière ne peut décidément pas faire de miracles. Les projets pour lesquels ne sont pas préparées les ressources humaines et qui souffrent de simples impondérables liés à l’intendance et à la logistique qu’exige le suivi sur le terrain voient nécessairement peser sur eux la plus grande des incertitudes.
Entre les dépenses d’équipement- qui supposent des investissements publics- et le budget de fonctionnement, existe une relation dialectique dont sont tributaires l’efficacité de l’intervention de l’État et la durabilité des projets managés.
Il est vrai que, au cours des années 90, la tendance au recrutement du personnel dans la fonction publique et à l’augmentation du budget lié au fonctionnement général des établissements administratifs a été gênée par deux données conjoncturelles : le rétrécissement des projets publics d’investissement, phénomène dû à la forte récession de l’appareil économique algérien et à la situation sécuritaire du pays, et la soumission de l’économie du pays aux conditionnalités dictées par le Plan d’ajustement structurel (PAS) issu du processus du rééchelonnement de la dette extérieure.
Ces deux contraintes majeures étant dépassées, il s’avère impératif d’étoffer l’administration et les services publics algériens de nouvelles ressources humaines à même de conduire les grands projets de développement initiés par l’État. Cette réhabilitation devrait s’accompagner impérativement des possibilités de la formation continue qui permette l’accès aux nouvelles méthodes de management et aux technologies de l’information et de la communication.
Loin d’un »budget de guerre »
La loi de Finances 2009 a la particularité d’être élaborée et mise en œuvre dans un contexte mondial des plus incertains. Mais, nous sommes loin d’un »budget de guerre », pour paraphraser l’auteur de la notion d’“économie de guerre », en l’occurrence l’ancien Premier ministre Belaïd Abdesselem. Même si l’Algérie n’est pas immédiatement touchée par le séisme en cours en raison du manque d’immersion de son système financier dans la logique infernale qui régit le système international, il n’en demeure pas moins que, au vu de son statut de pays exportateur de pétrole et importateur de la majorité des produits alimentaires et équipements (produits finis ou semi-finis) consommés localement, un impact sur l’économie générale du pays ne manquera pas d’être ressenti tôt ou tard selon les analystes.
Néanmoins, pour la perspective de l’année 2009, la Banque mondiale estime, dans son dernier rapport, que notre pays est en “bonne posture’’ avec des réserves de change évaluées, à la fin de l’année 2008, à 140 milliards de dollars, et avec un taux de croissance de 4,9 % du PIB enregistré au cours de l’année écoulée (en augmentation par rapport à 2007 où il était de 3,1 %). Le rapport de la Banque mondiale fait état d’un produit intérieur brut de 175,9 milliards de dollars en 2008, alors qu’en 2005, il était de 101,8 milliards de dollars. Ainsi, le PIB par habitant s’établit, à la fin 2008, à 5 097 dollars. Ce ratio était de 3 098,1 dollars/habitant en 2005. La maîtrise des éléments de loi de Finances et des autres agrégats économiques paraît d’autant plus importante qu’une grande partie des financements concerneront la dernière tranche du Plan de soutien à la croissance économique étalé sur cinq ans et auquel le président Bouteflika compte donner un prolongement par l’identification des premières actions à entreprendre pour un autre plan sans doute de même envergure. Cependant, selon des observateurs de la scène économique algérienne, la prudence doit être de mise pour un budget basé sur un prix de référence du pétrole de 37 dollars le baril, sachant que cette matière première vit ses moments les plus difficiles entre les mains des courtiers du fait d’une récession avérée de l’économie mondiale.
Le budget de l’État établit pour le présent exercice des recettes de 2 786,6 milliards de dinars avec une base de calcul 37 dollars le baril de pétrole (la fiscalité pétrolière représentera 1 628,5 milliards de dinars), et des dépenses de 5 191,5 milliards de dinars, ce qui cause un déficit budgétaire de 2 404,9 milliards de dollars. Le budget de fonctionnement et le budget d’équipement reçoivent presque la même dotation, soit 2 594 milliards de dollars pour le premier et 2 597,7 milliards de dinars.
Le taux d’inflation prévisionnel retenu étant de 3,5 %. Pendant l’exercice 2008, l’inflation était estimée officiellement à 4,2 %, phénomène généré, estiment des économistes et même certains officiels, par de lourds investissements publics qui ne créent pas encore de richesses mais qui, via les chantiers, distribuent des salaires et des factures d’achat de matériaux et fournitures. Comment le gouvernement compte-t-il réduire l’inflation à 3,5 % ? Par un recul prévisionnel de la demande ou par des investissements soutenus à même de hausser l’offre ? La problématique, par ailleurs établie depuis fort longtemps dans la science économique, demeure entière.
Le Fonds de régulation des recettes, qui était évalué à 2 900 milliards de dinars en 2006, s’établit, au début de l’année en cours, à 4 362,8 milliards de dinars.
Rééquilibrer les parts de fiscalité
Ayant trop longtemps compté sur le pétrole, le budget de l’État a du mal à se redéployer sur les autres secteurs pour lever les impôts. Jusqu’en 2008, la fiscalité pétrolière représente plus de 50 % des recettes versées dans le budget de l’Etat. L’inventaire des acteurs économiques et des activités imposables n’est pas encore tout à fait complètement dressé. La preuve, l’évasion fiscale générée par le secteur informel (IRG, TVA et autres taxes) se compte en plusieurs milliards de dinars. “La pression fiscale en Algérie reste assez faible par rapport aux pays voisins. Elle de l’ordre de 19% par hors fiscalité pétrolière. L’objectif de la modernisation de l’administration fiscale est justement de faire monter la pression fiscale et de la rendre comparable aux pays qui ont le même niveau de développement hors fiscalité pétrolière”, assurait l’année dernière M.Abdou Bouderbala, directeur général des Impôts.
La dette fiscale et le détournement des avantages fiscaux sont deux autres phénomènes qui limitent les sommes d’argent issues de la fiscalité. Le D.G. des Impôts avoue que la dette fiscale dépasse largement les 600 milliards de dinars. Une partie est déclarée irrécouvrable. Pour les 600 milliards de dinars restants, il est prévu, ajoutait-il, un dispositif de recouvrement. Les avantages fiscaux, initialement destinés à mieux fouetter la machine économique en stimulant les investissements et la création d’emploi, sont souvent détournés de leurs objectifs et sont ainsi assimilés à une fraude fiscale.
“Ce sont des gens qui profitent des avantages fiscaux qui leur sont accordés dans le cadre des projets d’investissement pour vendre le matériel ou les produits qu’ils ont achetés en totale exonération de droits de douane. Ce détournement est un délit et l’administration fiscale ainsi que l’ANDI (Agence nationale du développement des investissements, ex-APSI) poursuivent ces actes délictueux. Il y a de nombreuses décisions de droit d’importation qui ont été annulées et les personnes traduites en justice”, soutenait le D.G. des Impôts. En tout cas, la diversification des ressources fiscales s’avère indispensable dans une conjoncture caractérisée par une forte volatilité de la principale matière première que l’Algérie exporte et qui lui assure l’essentiel de ses importations.
A. N. M.
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