Au delà des “Portes de fer”

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“Ce village légendaire mérite d’être réhabilité et classé patrimoine historique avec dotation d’un musée pour conserver tous les objets ostentatoires se rapportant à l’épopée de cette forteresse”, souligna un citoyen.Pis encore; la mairie d’Ighil Ali ne possède pas d’archives sur l’histoire dont la réputation a dépassé nos frontières. C’est Hamidouche Arezki, un fils du village qui l’a quitté en 1994 pour s’installer au chef lieu communal, fin connaisseur du terrain, qui nous a accompagné en nous montrant les moindres recoins qui puissent intéresser notre mission.La route qui mène vers El-Kalaâ est en ascension sur environ 4 km avant qu’on s’engage sur du plat sur environ 10 km. De plus en plus qu’on progresse, le maquis gagne du terrain avec des forêts et de petites pinèdes faits de pins d’ales et parfois ces arbres verdoyants plantés récemment bordaient cette route par endroits. Sur les crêtes des collines fort nombreuses, sur certaines sont perchés, au nord ouest les villages de la wilaya de Béjaïa et au sud-est ceux de BBA. Au plus haut niveau, on s’est imaginés, au printemps, en pleine période de végétation avec toute cette verdure qui colonise les cimes des collines. C’est en pleine forêt de Boni à hauteur d’un trois chemin qu’on s’est arrêtés pour humecter le gosier d’une eau de source minérale fraîche, sortie des entrailles de la terre, humer à plein poumon l’air pur des arbres ombragés et sentir les parfums enivrants des roses sauvages qui nous montent jusqu’aux narines. Un vrai paradis de l’escapade et de l’escalade qui impressionne l’esprit et dépayse la vue. Parmi les curiosités qui s’offrent à nos yeux, sur une protubérance d’une colline, non loin de cette route, apparaît au milieu d’une pinède, une maison forestière qui ressemblé à un gîte de station service, unique dans la région qui rend beaucoup de services à ces montagnards. Et enfin sur la gauche de ce carrefour, une laque d’orientation signale le village El Kalaâ sur 7,5 km.Le chemin carrossable, tracé au milieu des flancs abrupts des collines, est très étroit et traverse des canyons. Les éboulements quasi-quotidiens de pierres gênent énormément la circulation. “Plusieurs fois, on est restés isoler du reste du monde à cause des éboulements très fréquents en hiver et les engins arrivent souvent tardivement”, dira Hamidouche.En arrivant à la porte principale du village appelée “Porte Ouâdji” nous avons marqué une seconde halte, pour d’une part, voir ce que la nature a façonné comme environnement sauvage d’une beauté exceptionnelle.Les mamelons pointus et agressifs, les ravins sinueux, les hameaux de maisons perchées sur les crêtes ou collées aux flancs des collines tels des orgues monumentaux, le tout forme un panorama splendide dont on a du mal à détourner les yeux.D’autre part, contempler les friables des matériaux de la muraille qui a entouré la forteresse dont un pan ostentatoire et mémorial résume toute la grandeur de cette citadelle. Celle-ci est construite avec de la pierre locale sur environ 1,50m de hauteur et 1m de largeur. A côté, une cabane ancienne tient encore le coup. “C’est un mausolée que les villageois visitent à n’importe quel moment de l’année”, expliqua notre interlocuteur.Un peu plus loin, apparaît après un virage anodin, le village El-Kalaâ, lieu de notre pèlerinage. Nous sommes surpris du nombre impressionnant de maisons tombées en ruines et abandonnées par les propriétaires qui s’étaient réfugiés ailleurs, à la recherche d’une vie décente et étonnés aussi par cette irrésistible forteresse mythique que seules ses maisons séculaires en témoignent de l’acharnement de l’armée française, qui n’a pas lésiné sur les moyens pour raser le village pour en avoir enfanté les héros qui ont donné du fer à retordre aux troupes du maréchal Randon et aux paras de Bigeard. A l’entrée, des ouvriers sont à pied d’œuvre de restauration du cimetière des chouhada qui est dans un état de délabrement, au-dessus du portail flottait le drapeau algérien, à l’intérieur est érigée une grande plaque commémorative où sont répertoriés 162 chouhada et derrière, sont entreposés des carcasses de bombes et les épaves d’un avion que les moudjahidine ont abattu. “Dès la nuit tombée, des bombes tirées à partir d’Ighil Ali, pleuvaient sur le village qui était détruit à 80%, et dans la journée ce sont les B21 qui donnaient la réplique” témoigne notre guide.“Aussi, en 1959 toute la population a été délocalisée et éparpillée vers BBA et Ighil Ali. Déracinés de leurs terres et déstructurés socialement, à l’indépendance, quelque-uns ont regagné le village, d’autres, constatant leurs maisons complètement détruites et par manque de moyens pour les reconstruire ont préféré rester en ville”, regrette notre interlocuteur qui de temps en temps reste un moment silencieux avant de lancer un ralement d’amertume sur les affres endurées par ses pairs durant toute la période coloniale, ponctuée par deux guerres dont la région en est le porte-drapeau.Nous nous pénétrons à l’intérieur du village qui semble être désert. A l’entrée, nous marquâmes notre troisième halte dans une placette ou nous sommes accueillis par l’imam et quelques villageois. C’est là, où se trouve le centre d’intérêt de la famille El-Mokrani. Le premier édifice qui s’offre à nos yeux est la grande mosquée, ElKabir. Sur la longue façade longeant cette placette est scellé un mémorial retraçant la vie du héros El Mokrani. Cette mosquée d’une architecture andalousienne, avec son minaret ornait de pierres turquoises, semble résister encore aux effets du temps et des guerres. malgré son état moyen, composé de deux niveaux, il est encore utilisé. A côté de la porte, une fontaine publique accueille les villageois et les visiteurs, et à l’intérieur, le mausolée de Hadj Mohamed El Mokrani sur lequel est érigé un deuxième mémorial ou est écrit : Mohamed El Mokrani né à El Kalaâ Beni Abbas en 1815 et décédé à Oued Souflate dans la région de Bouira le 05/05/1871. Secondé par son frère Boumezrag et cheikh Aziez Belhaddad de Seddouk et à la tête de 20 000 cavaliers, il a livré une bataille farouche aux troupes de l’armée coloniale”.Derrière cette mosquée la maison, totalement effondrée de la famille El Mokrani. “Cette maison qui a connu une grande épopée devrait être restaurée et classée comme patrimoine historique”, intervient un citoyen. A 100m de là, la trappe d’un bunker très ancienne est recouverte d’une plaque en bois. “A l’intérieur de ce bunker construit en briques et formé d’arcades, des anneaux sont scellés aux murs. Certains disent qu’il a été utilisé comme armurier et poudrière”, a souligné Hamidouche.Nous avons sillonné les artères du village et nous avons constaté que 80% des habitations sont dans un état de délabrement et beaucoup étaient tombées en ruines ou totalement rasées. Néanmoins, certaines maisons de renaissance, dont le nombre est insignifiant ont été construites récemment “avant la colonisation, le village comptait environ 7 500 habitants, aujourd’hui il en reste environ 130 foyers”, regretta notre guide.En effet, les quelques résidents qui vivent dans cette forteresse se plaignent d’un manque criard de commodités les plus élémentaires.“La route est constamment obstruée par les éboulements de pierres et de gravas, notamment en hiver, les habitants n’ont d’autres choix que de se cloîtrer chez eux le temps que la route soit dégagée. Le centre de soins fonctionne avec un seul infirmier dont la présence s’accommode au gré du temps.Les perturbations récurrentes dans la distribution de l’eau courante ramenée à plus de 7km, notamment en été, obligent les habitants à aller chercher ce précieux liquide ailleurs.La scolarité des enfants, en particulier les collégiens, au lieu qu’ils soient inscrits dans un collège à Ighil Ali, ils sont orientés à Thaniet dans la wilaya de BBA.Ne bénéficiant pas de l’internat, c’est l’association des parents d’élèves qui a ramassé de l’argent pour acquérir un fourgon qui leur assure le transport”, telles sont entre autres les insuffisances relatées par Zaâkane Ali, membre de l’association socioculturelle Nadi El Mokrani.La région a connu plusieurs émirs durant le règne de l’empire ottoman, dont Benabderrahmane, aïeul des Mokrani, venu d’abord s’installer vers la fin du 15e siècle dans les Bibans avant de se fixer définitivement à Ath Abbas. Il s’est distingué après qu’il eut bien géré quelques événement et les citoyens lui reconnurent une autorité. A sa mort, son fils Ahmed lui succéda et se donna le titre de roi. Il mourut en 1510 après avoir fondé la Kalaâ N’ath Abbas, une forteresse inexpugnable perchée sur le sommet d’une colline à 900m d’altitude, au milieu d’un grand massif montagneux, entourée de forêts de pins d’hales et de pinèdes et datant du moyen âge. Comme les pierrailles de ses collines elle a résisté au guerres aux forces de la nature et aux effets du temps.Depuis, le pouvoir et les biens des Mokrani sont légués de père en fils.Les Français après leur invasion en 1830, ont fait d’Ahmed El Mokrani, ascendant direct de Mohamed El Mokrani, leur allié, en lui attribuant le titre de bachagha. Entre 1845 à 1847, il s’est isolé dans son royaume suite à une ordonnance de l’autorité française, voulant porter atteinte à son prestige, lui retirant ainsi le pouvoir sur certaines tribus de Kabylie et des Ouled Nail. Il mourut en 1853 et le gouverneur français a profité de l’occasion pour séquestrer une partie des terres à son fils Mohamed El Mokrani qui sera promu bachagha en 1861 lors d’une cérémonie de décernement d’une médaille de la Légion d’honneur.En 1866 et 1869, l’invasion de criquets, et la sécheresse, ont ruiné les paysans qui mourraient par milliers des suites d’épidémies qui se sont déclarées dans la région. Les grands chefs religieux, à l’image des Mokrani, ont distribué tous leurs stocks de céréales sans pouvoir y arriver à juguler la demande.Pour calmer la révolte des paysans, ils ont fait appel aux usuriers juifs pour des emprunts d’argent qui leurs ont servi à acheter des grains chez les minotiers des hauts plateaux., mais malgré cela, la situation est restée des plus critiques.Ce sont les préludes d’une guerre annoncée et El Mokrani malgré les assurances données à l’autorité française sur la maîtrise de la situation dans sa contrée, il n’a pas d’autres choix que de se ranger du côté de ses fidèles.Le 16 mars 1871à la tête d’un bataillon, il déclare la guerre à l’armée coloniale en signant le premier attentat à BBA. Voulant coûte que coûte en finir avec ses alliés d’hier, il fit appel à ses rivaux de la puissante confrérie des Rahmania de Seddouk, Cheikh Mohamed Améziane Belhaddad et de ses deux fils Aziz et M’hand pour mener ensemble l’insurrection du 8 avril 1871. Des émissaires furent envoyés et repérés lors des incessants va-et-vient. Après des semaines de palabres, cheikh Mohamed Améziane Belhaddad réticent et ne voulant pas de cette guerre sur conseils de cheikh Mohand Oulhoucine, mais influencé par ses fils a cédé tout de même en laissant un dicton “ray dhamchoum maâna athnagh”. Attendant le jour du marché à Seddouk, après avoir accompli la prière du dhor, il proclama le djihad devant des milliers de fidèles en les exhortant à combattre l’ennemi colonial. Toutes les régions de Kabylie et d’ailleurs se sont ralliées à l’appel en se lançant à l’assaut des troupes françaises qu’ils ont fait reculer jusqu’à la Mitidja, mettant ainsi en péril tout le système colonial qu’incarnait le sinistre maréchal Randon, le bourreau de Lala Fatma N’soumer. Mais, la réponse ne s’était pas faite attendre par l’armée coloniale, pour venir à bout d’une révolte paysanne la plus importante après la guerre de libération nationale de novembre 1954 d’où la mobilisation d’un important arsenal militaire composé d’hommes, d’armes et de munitions.Mohamed El Mokrani a été tué, le 5 mai 1871, à oued Souflate El Mesdour dans la région de Bouira d’une balle au moment de la prière. Sa dépouille fut transportée à son village natal, sur ordre de son frère Boumezrag, où il fut enterré parmi les siens.Il repose à l’intérieur de la mosquée El Kabir dans un mausolée. Son parcours historique a été écrit sur une grande plaque commémorative. Après 9 mois de combat sans répit, les deux autres héros Boumezrag El Mokrani et Azziez Belhaddad ont été capturés en janvier 1872, déportés avec d’autres chefs militaires à la nouvelle Calédonie, une île du pacifique. Cheikh Azziez Belhaddad a pû se sauver en passant par l’Australie pour rejoindre la Syrie où il fut capturé. Il est mort dans des circonstances non élucidées et enterré à Constantine au coté de son père Cheikh Md Ameziane Belhaddad, lequel en dépit de son âge avancé (80 ans) et de sa maladie, fut jugé et emprisonné dans cette ville ou il mourut en prison au bout de 5 jours.Quant à Boumazrag El Mokrani, il a terminé ses jours à la Nouvelle Calédonie comme une personnalité très respectée. Après sa mort, une place de taxi fut baptisée en son nom.La défaite est des plus sanglantes pour les insurgés, en plus des morts et des déportations des chefs militaires, leurs familles ont subi des représailles inhumaines et des châtiments aux effets durables dans le temps et l’espace. Leurs meilleures terres séquestrées et des amendes leurs ont été infligées.El Kalaâ N’ath Abbas, ce magnifique royaume, ce monument historique haut en faits d’armes attire de nombreux visiteurs qui viennent se recueillir sur la tombe de Mohamed El Mokrani, s’imprégner de son histoire millénaire et découvrir un grand village médiéval qui séduit avec ces célèbres maisonnettes anciennes à pans de bois construites avec les matériaux locaux.

L. Beddar

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