«Oui, il m’est arrivé de parler à Sarkozy en kabyle»

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Entretien réalisé à Paris par Djaffar Chilab

La Dépêche de Kabylie : On imagine que vous ne vous posez pas de questions du genre : «pourquoi un journal kabyle cherche à vous interviewer…»

Rachid Kaci : C’est bien, et ça me paraît logique puisque je m’assume parfaitement comme Kabyle. En tous cas, ça c’est du concret, chacun dans son métier, et puis il y a ce contact, cette réalité qui dépasse le bla-bla…

ça vous fait quoi de vous adresser à un journal de Kabylie ?

Vous savez, dès que j’entends Kabylie, où je mets les pieds là-bas, ça me fait quelque chose. Il faut savoir que mes parents s’y sont retirés, mes ancêtres aussi, mais ça ne m’empêche pas d’y aller tous les ans. J’ai vraiment un attachement profond à cette terre, à la langue, même si je n’y suis pas né. J’aime beaucoup aller là-bas me ressourcer chez mes tantes à chaque occasion, notamment pour les fêtes religieuses. J’aime bien me replonger dans cette ambiance familiale qui me rappelle l’enfance et pleines d’autres choses. Ma femme est aussi d’origine kabyle. Donc, quand je vais chez elle c’est pareil mais comme elle n’est pas de la même région que moi, donc ce n’est pas les mêmes intonations, et on sent la différence. Mais j’aime me replonger dans mon village d’origine.

Pouvez-vous nous dire d’où êtes-vous originaire exactement ?

Eh bien je suis d’origine de Drâa Ben Khedda, du village Megdouldu côté de mon père, et de Drâa Ben Khedda, du Beni Aarif à Tirmitine du côté de ma mère.

Vous y retournez souvent ?

Quasiment tous les ans.

En vacances ?

Oui, on y va régulièrement au printemps. On va plus particulièrement chez mon épouse qui est originaire d’Ifigha. On va là-bas pour des raisons purement pratiques puisque mon père s’étant remarié, notre maison est habité par sa deuxième femme. Et lui il n’est plus de ce monde et comme la maison n’est pas grande…

Si on parlait de votre itinéraire, vous ne vous êtes tout de même pas retrouvé du jour au lendemain conseiller du président de la France…

Je suis parti, comme beaucoup, du tissu associatif. Donc, je suis monté, si j’ose dire, d’abord dans les associations. Mon père est arrivé dans les Hauts-De-Seine dans les années cinquante. Ma mère l’a rejoint en 1960, et on s’est installé à Sureine où je suis né. Pour l’itinéraire scolaire, c’était assez classique, j’étais plutôt bon élève. En fait, nous l’étions tous, mes frères et sœurs, à la maison. J’ai participé à ma première manifestation en 1983, à la fameuse marche des beurs, j’étais très jeune à l’époque, je devais avoir quatorze ou quinze ans, et j’ai été étonné, ce jour-là, de voir un type aux cheveux frisés, c’était le leader de la marche, Toumi Djadja, et il s’est exprimé devant 100 000 personnes à la place de la Bastille. Je pense que tout est parti de là, mais sinon j’ai eu un père qui m’a toujours dit : «Ne t’en fais pas de la politique, et travaille bien à l’école.»

Donc j’ai décidé de m’engager, dans un premier temps, dans le soutien scolaire, et puis j’ai fait un peu de politique parce que pour avoir par exemple des locaux, il fallait faire un peu de pression sur le maire.

J’ai alors commencé par organiser des inscriptions des jeunes de notre cité sur la liste électorale, et puis de la ville de Sereine. Par la suite, j’ai rejoint « France plus » en 1989, ou j’ai travaillé pour Charles Pasqua. Après avoir quitté « France Plus », je me suis engagé dans le tissu politique, et ce, à partir des années 1990. Et puis, j’ai fait la campagne pour Balladur en 1995. Après la défaite de Balladur, j’ai travaillé au cabinet d’Alain Madelin jusqu’à être candidat à la présidence de l’UMP à sa création en 2002. J’ai fait 3,5%. Après cette candidature, j’ai monté un courant qui s’appelle la Droite libre, à l’intérieur de l’UMP. Par la suite, j’ai été à nouveau candidat à la présidence de l’UMP en 2004. Mais cette fois-ci j’étais associé avec Poignant, et là, on a fait 10%. En 2006, j’ai été candidat à l’élection présidentiel au sein du parti UMP avant de me retirer au profit de Nicolas Sarkozy. Enfin, il était sûr de gagner.

Donc, du coup j’ai été candidat à l’élection, et je me suis retiré le dernier jour à Bordeaux au profit de Sarkozy. Et puis je l’ai rejoint à son cabinet à l’Elysée. Parallèlement, j’ai animé quelques émissions à la radio, Berbère Tiwizi, en 1987. Cela représente encore une fois mon attachement à ma culture d’origine.

J’étais animateur et journaliste bénévole. J’ai surtout animé, sur cette radio qui a existé de 1983 à 1992, des émissions où j’ai eu la chance de recevoir Lounes Matoub, Azwaw Saâdi… et Lounis Aït Menguellet mon idole et celle de mes parents. Quand mon père écoutait Slimane Azem et Aït Menguellet, il pleurait dans le noir.

Donc, pour moi, Aït Menguellet c’était un monstre sacré, même si, en réalité, c’est un grand timide. Je l’ai reçu à radio en 1991, il préparait à ce moment là L’Olympia. Après cet entretien que j’ai eu beaucoup de mal à faire, car je pensais sur le coup à mes parents, ma mère décédée et mon père qui était en Algérie, Aït Menguellet m’a proposé de travailler avec lui comme attaché de presse.

J’ai même proposé à mon père de venir à un de ses spectacles pour le voir et même accéder aux coulisses, mais il a toujours refusé en me disant que «j’aime le voir sur ma cassette».

Au jour d’aujourd’hui, tout est encore dans mon esprit et j’envisage d’ailleurs sérieusement de faire quelque chose avec Aït Menguellet. ça me branche, mais ce n’est pas encore concrétisé, je l’avoue.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai envie de lui proposer une tournée, c’est très possible avec tous les réseaux auxquels on a accès. Je trouve que c’est un gâchis que Lounis ne se produise pas sur scène. Il est très rare en dehors des grands rendez-vous du Zénith, L’Olympia…

Moi je trouve qu’il faudrait le produire partout en France, dans les petites salles en Provence par exemple, mais pas forcément dans les grandes salles. Je pense que ça sera franchement grandiose. Je le pense honnêtement.

Vous semblez être quelqu’un d’initié à tout…

Pas autant que ça, même si c’est ma nature de chercher à comprendre tout ce qui m’entoure… J’ai travaillé aussi avec Amina Benguigui sur le film les droits d’immigrés, comme j’ai écrit trois bouquins…

Si on restait sur cette fibre sentimentale qui vous submerge : maîtrisez-vous la langue kabyle ?

Oui, je comprends parfaitement la langue kabyle et je la parle, je dirais à peu près correctement.

Ca t’arrive de glisser quelques mots au Président Sarkozy ?

(Eclat de rire) Et qu’est-ce qu’il y aurait d’étonnant à ce moment- là ?

Franchement ça vous est déjà arrivé de lui lancer « Azul président » au lieu d’un classique bonjour ?

Tout à fait. A maintes fois, je lui sors des phrases de temps à autre quand on se retrouve ensemble.

Et comment réagit-il ? Ça lui arrive de vous balancer des commentaires ?

Je ne vais pas vous mentir en vous disant qu’il réagit, mais durant nos conversations on peut toujours sortir un truc. Je m’exprime beaucoup en kabyle avec maurice Boyan un de ses conseillers diplomatiques. Ce diplomate est sensibilisé sur cette question.

Quand nous partons à Alger, on se balance des «Ulach Smah Ulach». ça lui arrive de sortir des trucs que tous les Kabyles sortaient. Maurice est un bon copain, il est aussi fasciné par la langue arabe.

Comme vous avez fait la transition, si on parlait de ce voyage en Algérie entrepris par le Président Sarkozy…

Oui j’y étais

Qu’en avez-vous gardé ?

Quand il s’agit d’un voyage officiel, on ne voit pas grand-chose du pays. Honnêtement, cela me faisait tout drôle d’aller là-bas sans voir Khalti (ma tante) qui habite à Aïn Taya (El Marsa). Parce que c’était très encadré et sécurisé. Mais c’était plutôt agréable, j’ai même rencontré à l’hôtel des chefs d’entreprises qui étaient d’Ifigha. Mais enfin, c’était l’Algérie que je ne connaissais pas, à titre personnel.

Vous êtes conseiller du Président, est-ce là un cheminement logique de votre parcours ou cela vous paraît-il un petit peu bizarre de vous retrouvez là ou vous êtes ?

Ce n’est qu’une étape de mon parcours, ce n’est pas un aboutissement et c’est comme ça que je vois les choses.

En quoi consiste votre rôle exactement ?

Je suis chargé de la politique de la ville, chargé de tout ce qui touche aux plans de Mme Fadéla Amara avec laquelle j’ai beaucoup travaillé sur l’élaboration des plans. Comme je travaille également sur d’autres sujets comme la laïcité et sur pas mal d’autres sujets sur lesquels je suis sollicité, même si ce n’est pas dans mes attributions officielles.

Justement en quelques mots, qu’en est-il concrètement de ce plan d’insertion ?

Concrètement, nous avons une quarantaine d’entreprises qui se sont engagées à coacher un certain nombre de jeunes. On a des moyens que Fadéla Amara en tant que ministre prend en charge. Elle réunit tous les ministères concernés, notamment celui du Logement, de l’Emploi… Mais ce qui est intéressant dans ce plan, c’est le changement radical de la philosophie : c’est-à-dire que nous ne sommes plus dans la philosophie de misérabilisme, par contre nous sommes dans la philosophie de l’effort et de la responsabilité. Et là, honnêtement, ça se concrétise parce qu’il y a pas mal de gens qui s’engagent autour pour articuler le plan concrètement et saisir leur chance en matière d’emploi, de formation, de coaching et de création d’entreprises. Donc c’est ça ce qui est intéressant.

La diversité, c’est un sujet qui tient à cœur au Président Sarkozy ?

Bien évidemment, il est particulièrement sensible à ce sujet. Le président a parfaitement raison d’impulser Rama Yade, Fadéla, Rachida et d’autres encore dans divers domaines. Je trouve que c’est très important de le faire. Il faut savoir que tout ne vient pas d’en haut tout simplement, il faut aussi que chacun prenne ses responsabilités. C’est important de le faire. Comme c’est un honneur pour Sarkozy d’avoir nommé Rachida Dati à un poste aussi important que celui de ministre de la Justice. Cela permet de casser un peu l’image que l’on véhicule dans la société selon laquelle nous autres nous ne sommes capables de rien, que ce n’est que des postes subalternes… Il est temps d’habituer la société française à avoir des candidats issus de cette diversité, comme on dit.

Vous pensez que la représentativité au sein des institutions est pour le moment suffisante pour pouvoir incarner cette diversité ?

Elle n’est pas suffisante, mais il vaut mieux ça que rien du tout. Les places en politique sont des places très chères aussi bien ici en France qu’en Algérie. Sauf qu’en politique, encore une fois, et je ne m’arrête pas de le dire aux uns et aux autres, les places, elles se prennent. Les places, en politique, il faut aller les chercher.

Et la question des Berbères, pensez-vous qu’elle sont suffisamment prise en charge par l’UMP ? Vous ne pensez pas que d’autres font encore plus ?

Concrètement, il n’y a rien, mais vous savez, personne ne fera rien pour les Berbères si eux ne le font pas pour eux-mêmes. Moi à mon niveau, j’essaie à chaque fois de mettre en avant ça, comme j’essaie de bien spécifier qu’il y a cette identité-là, qu’on ne peut pas nier. Ce n’est pas mon rôle de le faire, mais je le fais à mon niveau.

Maintenant, honnêtement, sur cette question, je pense aussi qu’il n’y a rien à attendre. Je suis ravi de nos amis de Berbère TV, qu’on n’arrête pas de critiquer en disant que ce n’est pas de la qualité, mais elle a le mérite d’exister. Cela s’améliore de jour en jour. Quand je vois M. Sâadi, président de Berbère TV, je suis content de le voir parce que ce n’est pas un type qui se plaint et qui tend la main en disant que vous ne faites rien pour nous… Mais il fait ce qu’il peut, avec les moyens qu’il a, alors que d’autres, au lieu de critiquer et de s’apitoyer sur notre sort, il faut qu’ils créent et qu’ils fassent…

Vous me parlez des autres, à ce moment-là, moi je pense plus aux gens comme Bouakaz, adjoint au maire à la mairie de Paris, il faut s’appuyer sur des gens comme ça pour concrétiser. Mais sinon, pour le reste, on fait des émissions de télé, on débat, on se cartonne les figures… Mais encore une fois, je ne pense pas qu’il y ait des choses à attendre des uns et des autres. Si on veut apparaître incontournables, puissants, forts, il faut s’organiser dans ce cadre-là. Moi-même je suis prêt à m’organiser autour de ce concept d’identité et de culture avec n’importe qui, même avec des socialistes s’il le faut à partir du moment où le point commun dans lequel on se retrouve c’est notre identité. On peut se retrouver tous, mais jusqu’à présent on n’a pas réussi à le faire.

Il existe plusieurs sympathisants de la cause au sein de l’UMP. Pensez-vous concrétiser une idée, un projet qui puisse faire avancer la question berbère en France ?

Oui, au sein de l’UMP, il y a des gens comme ça comme Lynda Asmani, ancienne secrétaire générale de la Coordination des berbères de France. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’à l’UMP, on n’existait pas en tant que Berbères. Mais de mon côté, j’essaie de sensibiliser mes amis politiques de tel et tel endroit, j’essaie de les mettre en contact avec des gens, les institutions locales qui œuvrent dans la culture berbère. Mais la réalité n’est pas facile. On ne vous sert pas comme ça les choses sur un plateau. S’il n’y a pas une force électorale en face d’eux, ils ne bougeront pas.

Les Kabyles, en tout cas, apprécient ce que fait la mairie de Paris…

Je pense que malgré tout, il y a de la sincérité dans ces démarches. Je dirais qu’il y a une prise de conscience grâce à Hammouche qui a commencé à leur faire comprendre que c’est un poids électoral non négligeable, car lorsqu’on fait le calcul du nombre de taxis tenus par les Kabyles… ça pèse électoralement. Je pense qu’il y a des gens qui ont suggéré l’importance électorale de cette population. Donc il ne faut pas se faire trop d’illusions non plus sur l’amour que peuvent porter les politiques vis-à-vis des Kabyles ou de la culture berbère. Je pense qu’ils s’en fichent sauf si on arrive à prouver que ça pèse électoralement. Ils disent que les Kabyles c’est Zidane, Idir mais les Kabyles c’est différent.

On peut parler de vos relations avec les politiques algériens ?

Je n’ai aucun contact avec eux, sauf que j’en connais quelques-uns que j’ai côtoyés à la radio Berbère Tiwizi à l’époque. Mais je n’ai aucun contact avec les politiques algériens.

On ne peut pas clore l’entretien sans évoquer le souci premier entre les populations des deux rives, à savoir la libre circulation…

Dans un contexte de l’émigration, c’est assez difficile, il est vrai, mais il y a une vraie prise de conscience pour faire circuler les gens entre l’Algérie et la France. Je défends le concept de l’immigration choisie. La meilleure immigrés, c’est justement d’avoir une législation parfaitement claire à ce sujet. Chaque année, on a besoin par exemple de 200 000 plombiers, d’informaticiens, il ne s’agit pas de dire qu’on ne fera des contrats qu’avec les pays de l’Est ou les pays d’Asie. Mais il s’agit de définir et de réglementer la démarche. Cela ne me choque absolument pas. ça a toujours fonctionné comme cela alors autant réglementer ça en amont.

Un message aux Algériens, plus particulièrement aux Kabyles

Un vrai message de fraternité, d’attachement à cette terre et à ce peuple parce que pour moi c’est mes frères, les Algériens dans leur ensemble, et les Kabyles en particulier. J’espère de tout cœur que l’Algérie baignera dans la sérénité, le calme, la paix et la liberté surtout.

Sarkozy connaît-il au moins un mot en kabyle ?

Mais oui, on lui apprend des mots. Il connaît déjà «Azul» puisque c’est facile à prononcer, il connaît aussi «Imazighen»… Il m’est arrivé même de lui citer des proverbes notamment «Anarez Ouala Aneknou».

Vous lui en expliquez le sens ?

Bien sûr !

Entretien réalisé par Djaffar Chilab

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