»La langue tamazight a besoin de plus de moyens pour son développement”

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La Dépêche de Kabylie : Le CNPLET est opérationnel depuis 5 ans déjà, qu’en est-il de son évolution en matière de recherche en tamazight ?

Abderrzak Dourari : Le Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de la langue tamazight, comme vous le voyez est un long acronyme et imprononçable. Le CNPLET, a été créé sous le décret du 03/470 du 2 décembre 2003. Moi-même j’ai été installé à la tête de ce centre le 22 décembre 2004. Les missions du centre auxquelles je n’ai pas participé à leurs rédactions, sont très variées, dont il y’ a de quoi, créer une dizaine de centres. Ce petit centre devait réaliser toutes ses missions de recherche en pédagogies de tamazight, dont la normalisation lexicale, syntaxique, morphologique, création de dictionnaires, suivi des enseignements, innovation pédagogique et autres qui sont d’une immense complexité, et que vous pouvez trouver sur le site du centre (cnplet.org). J’ai réuni un comité d’experts vers la fin de janvier 2005, et à l’occasion de cette réunion, nous avons constaté qu’il était impossible de remplir toutes les missions scientifiques qualitatives imparties au centre avec une structure et un statut qui a été énoncé dans le décret cité ci-dessus. Afin de parvenir aux exigences, nous avons proposé en début février un changement, ou un modificatif du statut pour pouvoir atteindre les objectifs des recherches, mais malheureusement il n’ y a pas eu d’écho à notre demande auprès des pouvoirs publics concernés. Nous avons eu pratiquement toutes les discussions dans ce sens, et après cela, nous avons eu le soutien du ministère de l’Education qui est notre tutelle, malheureusement au niveau de la Fonction publique qui est partie prenante ainsi qu’au niveau du SGG (Secrétariat général du gouvernement) qui devait bien évidemment avaliser ces textes, il y’ a eu rétention de l’information et depuis 2005 à ce jour, je n’ai pas eu d’information sur la question. Mais on a continué à travailler convenablement, en faisant semblant qu’il n’y a rien, tout en ayant fait l’essentiel pour obtenir un Siège pour ce centre et qu’on a reçu au mois de septembre 2005. Ce Siège était composé de deux grands hangars inhabités et inutilisés. Il a fallu que je fasse moi-même le chef du chantier en fin d’année 2005 et toute l’année 2006, avec mes moyens personnels, sans pour avoir d’autre personnel, car j’étais le seul à être nommé. D’ailleurs, pour votre information, j’ai consommé le budget de 2005 tout seul. « J’ai mis en place ce qui devait être fonctionnel, les murs et autres aménagements nécessaires, le téléphone, l’Internet etc, disons les commodités nécessaires pour le bon fonctionnement du centre ». Vers la fin 2006, on a informatisé le centre dans sa totalité, tout en soulignant qu’en parallèle, on était sur la mise en œuvre juridique du centre. Il fallait un arrêté ministériel d’organisation, il y’ a bien des choses qui sont faites et proposées par nos soins et qui sont passées facilement. Mais, par contre, nous buttons encore à ce jour, sur la classification du centre. Car tant que nous n’avons pas une bonne classification, il est impossible d’avoir des chercheurs qui puissent faire avancer les choses dans le temps. Disons qu’il y’ a un véritable blocage à ce niveau.

Cette fois-ci, nous avons eu le soutien du ministre de l’Education national,le soutien de la Fonction publique, mais un rejet sans explication du ministère des Finances, qui refuse la classification du centre au même titre que les autres institutions homologués du ministère de l’Education qui sont créées dans le cadre de la réforme de l’année 2003, dont le Centre national de l’intégration des innovations technologiques appliquées à l’éducation, qui est le premier homologué et l’ONEF (Observatoire national de l’éducation et de la formation). Pour pallier à cette situation, afin de pouvoir fonctionner malgré cela, nous avons organisé plusieurs journées d’études : trois colloques internationaux, et le prochain sera organisé avec l’université de Paris VIII, l’Ecole des Hautes études en sciences sociale à Paris nord et le laboratoire paragraphe, qui est une annexe à l’université Paris 8e, à Tipaza du 30 mai au 1er juin 2009. C’est un colloque dans lequel nous pourrons poser la problématique des TIC (Technologie de l’information et de la communication), appliquée à l’éducation, et l’enseignement à distance par Internet, afin que tamazight puisse intégrer ces domaines, et nous avons de très bonnes propositions de communications qui nous parviennent à travers le monde.

Qu’en-est-il justement de la prise en charge des recherches en langue amazighe ?

Une de nos fonctions c’est de refléchir sur la pédagogie de tamazight et sur les gens qui sont les médiateurs de la langue. Et pour répondre aux besoins, Nous avons lancé un groupe de recherches sur le profil de la langue tamazight, nous avons travaillé avec 5 chercheurs associés par contrat. Le travail a été terminé, la recherche dans sa globalité est bien faite, mais le fait que nous n’ayons pas actuellement des chercheurs qui appartiennent au centre, on absorbe difficilement la recherche. Mais malgré cela, nous avons quand même publié des colloques, et c’est très important pour nous. Parce que nous n’avons pas l’habitude de publier. Hors dans le directoire scientifique du centre, il n’ y a que moi, et je n’ai pas de chercheurs au niveau du centre, et même le secrétaire général n’a été installé qu’au mois de janvier passé. Il faut compter en aller-retour quatre heures pour arriver au centre et revenir chez soi à Tizi Ouzou. Nous avons trois publications : une publication a été déposée à l’ENAG, le prochain colloque sera publié à Paris à la prestigieuse édition ERMES, et dont j’espère qu’il sera aussi disponible en Algérie. Il faut que vous sachiez que malgré le manque de moyens, ce centre a réussi à se mettre sur l’orbite nationale et internationale. Nous avons des liens avec toutes les institutions, notamment les institutions de la langue arabe, des rapports directs avec l’Académie de la langue arabe, le Haut Conseil et le Centre de recherche en traduction de la langue arabe et tout les homologues au niveau du ministère, comme nous travaillons aussi avec l’université d’Alger, avec laquelle nous trouvons beaucoup de compréhension et d’entraide. Nous travaillons avec l’Ecole de l’administration, nous essayons d’apporter une expertise scientifique sur l’enseignement de tamazight, nous travaillons avec des institutions de renommées mondiales, comme nous sommes aussi connue et reconnue au niveau de l’Unesco.

Ne pensez-vous pas qu’il y’ a un manque de médiatisation des résultats de vos recherches ?

Mais oui, c’est le moins que l’on puisse constater. Sauf que toutes nos actions et recherches sont mises sur notre site internet. On ne peut faire plus que cela. Il y a de grandes universités qui n’ont pas de site Internet fonctionnelle. Pour votre information, depuis le mois de septembre passé, nous n’avons pas d’informaticien. Mais nous avons quand même un site statique, bien que nous aurions aimé que ce soit un site dynamique. Toutes nos activités et organisations du centre sont mises sur site. Sur ce plan, nous avons une pratique d’ouverture totale. Quant à notre présence dans la presse écrite ou à la télévision, je vous le dis tout de suite : la télévision ne s’intéresse pas beaucoup à nos activités, sauf occasionnellement, c’est-à-dire en fonction des conjonctures. On fait quelques enregistrements et rien de plus, comme cela a été le cas ces jours-ci. A la radio nous sommes présents, mais dans la presse écrite, c’est lorsque il y’ a des colloques. Donc, à l’occasion nous sollicitons l’aide de la presse écrite, afin de publier nos appels à communication ou autres. Nos moyens financiers sont très limités, et ça ne nous permet pas justement de financer une publicité soutenue. En d’autres termes, il y’ a un manque de communication important qui est dû fondamentalement à l’absence de ressources humaines, car nous ne pouvons pas recruter, malheureusement pour un ensemble de raisons, dont la classification qui constitue notre premier obstacle.

Quels sont les moyens humains et matériels du centre ?

Pour l’instant nous avons sept employés contractuels, répartis entre les services, quelques licenciés, dont un qui s’occupe de la bibliothèque. Nous avons une bibliothèque que nous numérisons au fur et à mesure que nous recevons la documentation. Tout ce qui est numérisé dans le monde, est disponible dans notre bibliothèque. C’est un centre virtuel, mais qui produit beaucoup plus que des institutions qui ont des centaines. Prenez n’importe quelle université et vous verrez le nombre de colloques qui ont étés publiés, et pas seulement qui ont été tenus. Parce que, tenir un colloque, c’est pas compliqué, mais c’est publier qui est plus difficile, vous voyez bien le peu de moyens que l’on a et le comble c’est que, j’emprunte même le personnel d’appui, dont les administrateurs qui viennent de l’université d’Alger, que je remercie au passage. Si l’on fait une comparaison avec l’institution homologue au Maroc, dont l’ IRCAM, (Institut royal de la culture amazighe), c’est l’équivalent de 10 fois ce centre. Le Maroc a 3 variétés de langues amazighes, en Algérie, nous en avons 17. En matière des ressources humaines pour la recherche en langue amazighe, Ils ont de quoi combler tout le Maghreb. Par contre en Algérie, on a que très peu de spécialistes en matière de recherche en tamazight. La comparaison ne tient pas du tout. Le directeur de L’IRCAM du Maroc, était recteur. Donc, ils ont réglé le problème de classification dès le départ, cela dit, les chercheurs peuvent aller à l’université ou à l’ERCAM, sans aucun problème. Par contre en Algérie, ce n’est pas possible. Je suis rémunéré pendant 3 ans par l’université d’Alger, tout en continuant à exercer comme professeur à l’université d’Alger et directeur du centre, sans recevoir aucun sous. Parce que, si je prenais le salaire du centre, j’aurais perdu environ 30 000 DA, l’on peut comprendre que tout a été fait pour nous décourager en quelque sorte. Alors si je compare une deuxième fois ce conseil, puisque tamazight est une langue nationale au même titre que la langue arabe, donc j’avais cité le Conseil supérieur de la langue arabe, l’Académie de la langue arabe et le Centre de recherche en traduction, et tous les laboratoires de recherche en Algérie s’occupent de la langue arabe. Ce qui veut dire qu’il y a beaucoup de moyens au profit de cette langue, mais je ne vois pas beaucoup d’efforts se déployer en faveur de cette langue nationale qui est tamazight. « Le texte de création de l’académie de langue amazighe avait reçu l’aval du gouvernement, mais il n’a pas atteint le niveau du Conseil des ministres, or, la langue qui a le plus besoin de moyens en recherches, c’est bien la langue tamazight, si l’on veuille bien s’occuper de cette langue sérieusement. Ce centre ne pourra jamais fonctionner et progresser jusqu’à son classement de sorte à attirer des chercheurs spécialisés en la matière, ou alors on n’aura pas crée un centre, mais une vitrine ».

Vous avez évoqué changement et statut, vers quel statut souhaitiez-vous en arriver ?

La recherche scientifique, ne peut se faire que sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur. Tous les textes portant sur la recherche scientifique, relèvent de l’enseignement supérieur. La recherche scientifique, n’est pas applicable au niveau du secteur de l’éducation. Or, ce centre de recherche a été crée dans le cadre de l’éducation. Donc nous avons dit « changement de tutelle », parce que, c’est plus simple. Mettez-nous sous l’egide de l’enseignement supérieur, ceci comme première solution ; la deuxième solution, serait : accepter de créer ce qu’on appelle un EPA (Etablissement publique à caractère administratif), mais spécifique. Ce type de typologie juridique nous ne l’avons pas inventé, mais elle existe belle et bien dans l’Etat algérien.

Les recherches touchent-elles toutes les variantes de la langue amazighe en Algerie, ou encore va-t-on vers l’unification de la langue ?

Ça devrait toucher tous les Parlers en Tamazight. Nous avons 17 variétés différentes ce qui est tout à fait naturel, dans un grand pays qui a plus de 2 millions de km2. C’est impossible d’avoir une seule et même langue. Depuis sa naissance, tamazight n’a existé que sous forme de langue plurielle et non pas en langue unie. Jamais au grand jamais, il n’y a eu dans l’histoire un quelconque témoignage de l’existence d’une langue. Mais logiquement à partir du fait qu’aujourd hui les variétés linguistiques sont apparentées, ce qui laisse dire plus tôt, qu’il y a des choses communes entre ces langues, et à partir de ce moment-là, on peut supposer qu’a un certain moment dans le temps, il y a eu une langue mère commune. Maintenant à la question de savoir, s’il y’ a possibilité d’inversion ou de retour à l’unique qui n’a jamais existé ou connue, ce n’est pas possible, il ne faut pas rêver. La langue arabe s’est dialectalisée, s’est multipliée et elle s’est variée dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui, on ne peut revenir à une langue arabe unique. Par contre l’existence de la langue arabe standard ou celle de l’école qu’on appelle l’arabe académique, cette langue est plus ou moins commune à tous les pays arabes. Mais c’est au niveau de l’élite et dans les situations élitistes formelles que sont les écoles, les sciences, etc. Le reste ça n’a jamais été la même langue. Il y a eu à un certain moment donné dans l’Arabie ancienne, la formation de ce qu’on a appelé Koinè (mot grec) qui est une espèce d’unification de la langue, grâce au Coran notamment. C’est un événement assez important qui a fait bouger les esprits dans ce sens. Et c’est grâce à la création de l’Etat arabe à l’époque, car il n’ y avait pas d’Etat arabe avant le Coran. C’était des tribus qui vivaient partout dans l’Arabie, mais qui n’étaient pas unifiés sous la même autorité. Il y a eu naissance de cette autorité avec notamment la création de l’état de Medine par le prophète Mohamed (QSSSL), et notamment après son retour à la Mecque, donc tous ces éléments ont contribué à l’unification de l’arabe, ce qui est n’est pas le cas pour tamazight. Il n’ y a aucune raison objective, ou subjective. Mais, c’est que les locuteurs de tamazight, sont au moins bilingues. C’est à dire au niveau de la fonctionnalité de types élaborés, ne sont plus prises en charge par les variétés du berbère. Par exemple, si je suis Mozabite, je fais la prière en arabe. Quand j’écris, j’écris en arabe, quand je vais à la justice, je traite en langue arabe etc. donc tout le domaine du travail et des activités, est pris en charge dans d’autres langues, donc il y a une fonctionnalité réduite pour le berbere. Quand je suis Kabyle, je parle aussi l’arabe ou le français ou une autre langue, ceci dit, d’autres langues occupent le domaine officiel et l’activité professionnelle, littéraire ou scientifique au quotidien qui réduit la fonctionnalité de la langue kabyle. Et dans ce cas, mon kabyle reste dans un usage extrêmement réduit. Est ce qu’il est dans l’intérêt du Kabylophone aujourd’hui, de généraliser l’usage fonctionnel de son kabyle, je ne le crois pas. A mon sens, c’est un marché de langues et dans celui-ci, c’est une question d’économie, ce n’est plus une question de subjectivité. Même si on aime notre langue, rien n’empêche que dans la réalité il y’ a d’autres choses qui se font.

Notre pays s’apprête à lancer une chaîne de télévision en langue tamazight, qu’en est-il de la question de la diffusion des variantes de la langue, qu’en est-il des avantages et inconvénients par rapport à la question des variations ?

C’est quasiment impossible de diffuser avec les 17 variantes en tamazight, il faut le dire dès le départ. J’ai été sollicité une fois par le Directeur de la Chaîne 2, en exposant le même problème, en me disant que c’est une chaîne nationale, mais je n’arrive pas à trouver une langue qui soit comprise par tous. Je lui ai dit que vous êtes tout simplement face à la réalité de la pluralité. Donc rendez votre diffusion plurielle. La langue qui a unifié tous les locuteurs algériens, et la majorité de ces locuteurs sont d’origine berbère, qui ne parlent pas tous cette langue, et ce depuis très longtemps pour la majorité. Cela dit, La langue qui leur permet de communiquer de manière intensive c’est bien l’arabe algérien, ou l’arabe maghrébin qui peut se comprendre en Tunisie, au Maroc ou en Algérie. En berbère ce n’est pas possible. Quand on fait une politique linguistique, et une Chaîne de télévision, cela devrait obéïr à une conception globale de la chose. Il faut se poser des questions d’abord : Pourquoi crée-t-on une chaîne de télévision ? Pourquoi crée-t-on ce Centre ? Pourquoi enseigne-t-on tamazight ? Dès lors, Si c’est une réponse à une demande sociale, et il y’a beaucoup de locuteurs qui la demandent. Dans notre cas, il s’agit de démocratie linguistique, si l’on parle de démocratie, on est obligé de parler franchement du nombre. Les Kabylophones, sont le segment le plus important numériquement dans le domaine. Certains collègues américains qui ont fait des calculs prévisionnels avec des formules mathématiques, parlent de 4 ou 5 millions de Kabylophones, disons 4 millions. Les Mozabitophones se situent entre 250 000 ou 300 000 les Touaregs environ 300 000. Les Chaouis ne sont pas nombreux, ce sont quelques milliers. Nous avons le bloc kabylophone qui est le plus important et dans le même bloc, il y’ a de grandes variations. Mais l’aménagement linguistique peut se faire sous forme de convergence sur le long terme. Les Chaouis ont deux grandes variétés : les Kabyles de Sidi Ghilès, les Kabyles de Chenoua, (Thachenouith), les Zenata qui est très réduit pour ne pas dire en danger de disparition. Donc, Je crois que la demande de l’enseignement de tamazight est une demande fondamentalement de reconnaissance d’une différence citoyenne à l’intérieur d’un pays, et qui est reconnue par tous dans le monde, comme étant leur pays. Qu’il soit Mozabitophone, Terguiphone avec ses quatre variétés différentes,et tout le reste Chaouia ou Kabylophone ou quelqu’un d’autre qui parle l’arabe à algérienne,c’est tout le monde qui revendique sa citoyenneté algérienne, c’est-à-dire sa reconnaissance de la différence au même temps son intégration dans le tout. On peut dire qu’on est plus tôt dans la reconnaissance culturelle, symbolique et dans la simple reconnaissance d’un fait. et avant tout cela, il y a eu un déni identitaire depuis les années 40, et depuis bien avant, Mais dans les années 40, la question s’est exprimée par la crise du PPA et MTLD de 1949. Ce qui fait que les gens ont gardé en mémoire tout cela. On n’a pas à dénier l’identité des composantes communautaires, linguistiques, culturelles et religieuses. Nous avons vu récemment avec le conflit de Berriane entre les Mozabites et les Arobophones doublé d’un conflit confessionnel et au même temps Ibadite, alors que nous, nous sommes Malékites. Il n’est pas normal que dans une Algérie moderne et dans un Etat démocratique, ne pas reconnaître les gens tel qu’ils sont. Je vous rappelle par exemple que dans le cas de Berriane, pour les Mozabites, c’est l’Etat rostomide qui a islamisé tout le Maghreb. Donc, si on connaît aujourd’hui, l’islam, c’est grâce aux Mozabites et au madheheb Ibadite. Aujourd’hui, qu’on leur fasse un déni d’existence dans leur propre pays, c’est pas normal. « Voila comment je vois la fonctionnalité d’une télévision. Si la télévision n’intègre pas un Conseil scientifique composé de linguistes, sociolgoues, anthropologues et des spécialistes du domaine de la religion et non pas des religieux, si on a pas un Conseil scientifique qui veille au grain et qui passe au crible toute la production, on risque de créer un événement malheureux dans ce pays ». Il est nécessaire que cette télévision aide à l’apaisement identitaire pour que le pays et le citoyen, s’occupent beaucoup plus de choses intéressantes telle l’économie.

Justement y’a-t-il répercussion de vos recherches dans le domaine tamazight, sur les établissements scolaires où tamazight est enseignée ?

Nos recherches sont disponibles sur nos sites. Les résultats de nos colloques et de toutes nos communications que ça vienne de l’Australie ou du bout de la planète -et il y’en a eu- on les met à la disposition du grand public et à la disposition de notre tutelle. Par exemple, pour les premiers actes de nos colloques, nous avons remis 200.000 exemplaires au ministère de l’Education nationale. Nous ne nous sommes pas responsables de la gestion de ces résultats, du moment qu’ils sont mis à la disposition de la tutelle. Maintenant vous dire comment ils sont gérés, je ne saurai le dire, je ne sais pas, cela ne relève pas de mes compétences.

Comment pourrait-on accéder à ces recherches, Est-ce aux établissements scolaires de s’adresser au centre ou bien l’inverse ?

Nous, nous n’avons pas ces problèmes protocolaires. Nous portons les résultats de nos recherches, jusqu’au bureau du concerné. Nous les mettons sur site Internet pour l’information des populations et des chercheurs, et nous avons ces mêmes documents dans notre bibliothèque. Nous sommes un centre public ouvert.

Quelles sont les perspectives du CNPLET ?

Le Centre de tamazight pour l’instant n’a pas de perspectives. Nous avons un programme qui va aboutir pratiquement au mois de juin 2009. Donc, c’est au prochain colloque que nous allons organiser avec nos collègues et partenaires européens, tunisiens, libyens, marocains, maliens, nigérians. Il y aura aussi des Anglais, des Espagnols qui vont venir je l’espère bien. Mais après cela, s’il n’y aura pas une reconnaissance du centre, pour lequel j’ai proposé un minimum pour son classement comme les autres centres homologues qui ont été créés dans le cadre de la réforme de 2003. J’avais proposé la 1008 dans l’échelle de classification, et, malgré l’importance stratégique de ce centre qui n’est pas du même ordre que les autres domaines. Vous pouvez faire de la recherche comme vous voulez en langue arabe, vous avez tous les moyens et vous avez aussi l’appui du monde arabe, mais pour la langue tamazight, vous vous retrouverez tout seul. D’abord, il n’y a pas beaucoup de chercheurs pour la langue amazighe, ce n’est pas évident que les gens vous écoutent. Donc, s’il n’ y a pas une bonne classification de ce centre s’il n’est pas doublé d’une Académie, et s’il n’y aura pas la création au fur et à mesure d’une dizaine ou quinzaine d’autres centres de recherches et les moyens nécessaires à mettre en place, il est quasiment impossible de s’occuper de ce problème. Car un jour ou l’autre, on va revenir à des situations conflictuelles dont personne n’en voudra et si ça continue comme ça : Je crois que l’essentiel c’est de mettre en place les institutions qui vont gérer les problèmes de la société dans un cadre institutionnel, scientifique, que de les laisser à la rue.

Autre chose pour conclure, professeur ?

J’aimerai très sincèrement que nous arrivions dans notre Etat à une conception moderne de la gestion du plurilinguisme. Nous sommes un pays de plurilinguistes et un pays pluriculturels. Il y’ a une algerianité sous-jacente qui intéresse toute cette variation culturelle, religieuse et autres. Nous avons, je le redis encore une fois, des Chiites sur notre territoire, des Ibadites, des Malékites, des Hanbalites et des non religieux et il faut absolument le dire. Donc, au niveau des langues, nous avons une grande variation. Il est nécessaire de créer une synergie entre cette variation et non un affrontement. Le meilleur moyen pour vider un peu ces conflits qui sont en train de s’accumuler et qui risquent de miner le fondement même de l’Etat national, c’est une gestion rationnelle du pluralisme, qu’il soit culturel, linguistique ou religieux. Il est possible de constituer une politique nationale qui prend en charge la totalité de cette variation. Les Algériens ne cherchent pas des problèmes, mais ils cherchent des solutions et les solutions sont dans ce type de propositions.

Entretien réalisé par Amar Chekar

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