Dans la guerre contre le darwinisme menée par les créationnistes turcs, ces derniers viennent de remporter une bataille: ils ont obtenu la censure d’un dossier qui devait paraître en couverture du numéro de mars du mensuel « Sciences et Technologie », édité par le Tübitak, le Conseil de recherche scientifique et technique de Turquie.
Le dossier (16 pages consacrées au bicentenaire de Darwin) a été remplacé par un sujet sur le climat et la rédactrice en chef licenciée.
Le Tübitak, organisme d’Etat, a été rattaché en 2008 au gouvernement islamo conservateur, et il est désormais supervisé par le ministre d’Etat chargé des Affaires religieuses.
C’est la première fois qu’une censure religieuse frappe une institution publique turque. Mais ce n’est pas la première fois que des religieux conservateurs s’en prennent à Darwin! Dès la première parution de l' »Origine des espèces », en 1859, le naturaliste britannique savait qu’il allait se heurter aux théologiens réactionnaires (mais non à l’ensemble du milieu ecclésiastique, dont une partie se montrera favorable à la théorie de l’évolution).
Pour éviter que sa théorie soit violemment rejetée, Darwin s’abstient, dans un premier temps, de polémiquer avec les théologiens qui soutiennent que Dieu a créé chaque espèce séparément. Mais au cours des années suivantes, il découvrira « l’argument qui tue », l’arme fatale contre la rhétorique créationniste, qu’il exposera en 1872 dans la sixième édition de « L’Origine des espèces ».
Cette arme fatale, c’est le rôle du hasard dans le changement évolutif.
Pour les créationnistes, Dieu, dans sa sagesse infinie, a donné à chaque espèce les caractéristiques qui lui permettent de se perpétuer. Toute variation a donc son utilité et peut s’interpréter dans le cadre du plan divin.
Or, Darwin a constaté qu’il existe des variations qui n’obéissent à aucune autre logique que celle du hasard.
Il les a d’abord découvertes chez les orchidées : ces plantes, qui sont hermaphrodites, recourent à une multitude de procédés pour éviter de s’autoféconder, ce qui affaiblirait leur descendance.
Certaines orchidées projettent du pollen sur les insectes, d’autres catapultent les insectes sur le pollen, d’autres contraignent les visiteurs à ramasser le pollen par frottement à l’intérieur de la plante, etc.
« En observant les orchidées, peu de faits m’ont frappé autant que la diversité infinie de structures utilisées pour le même but, à savoir la fécondation d’une fleur par le pollen d’une autre », écrit Darwin.
Cette prodigalité des moyens utilisés pour servir la même fin est le fruit du hasard pur.
Elle ne s’explique ni par l’adaptation à des milieux différents, ni par des différences de lignées.
Elle ne répond à aucune nécessité du plan divin. Sauf à imaginer que le Créateur s’amuse à produire des formes variées par seul goût de la variété- « comme des jouets dans une boutique », ironise Darwin, qui ajoute qu’une « telle vision de la nature est incroyable ».
Un Dieu joueur et capricieux, voilà bien une idée déraisonnable, même aux yeux d’un créationniste turc…
R. C.
