La participation bouleverse la donne

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Si le ministre de l’Intérieur s’exprima de façon trop embarrassée au lendemain des élections législatives de mai 2007 en raison du trop faible taux de participation, Zerhouni d’hier avait aussi la phrase hachée et le regard happé pour une raison tout à fait contraire à la première. Les résultats de l’élection présidentielle du 9 avril 2009 (taux de participation et scores des candidats) qu’il était appelé à lire devant la presse au CIP d’El Aurassi étaient peu communs dans l’histoire de l’Algérie pluraliste.

La forte affluence drainée par l’élection présidentielle de jeudi dernier et la reconduction d’Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’Etat avec un taux historique confirment un souci du stabilisation du champ politique par un recentrage dicté par les défis de l’étape d’évolution du pays. Recentrage ne signifie nullement changement de cap ou revirement, mais un supplément de caractère et d’imagination pour appréhender dans toute leur ampleur les tâches de reconstruction nationale et de réhabilitation des structures de l’État, un temps obérées par l’étroitesse des visions exclusivement partisanes ou par des ambitions personnelles à la limite de la morbidité. Il est établi que la construction démocratique et le respect des règles censées y mener sont un chemin long et ardu, mais pourtant nécessaire. Dans une vieille démocratie comme la France, les chronomètres des partis de l’opposition politique et du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) viennent, le jour même du scrutin algérien de jeudi dernier, d’épingler le président Sarkozy sur le record de temps d’antenne qu’il tient à la télévision pour des activités relevant parfois de la simple vie organique de son parti, l’UMP, qu’il tient à faire répercuter par les médias d’une façon abusive.

Chez nous, l’apprentissage des règles éthiques devant encadrer le projet démocratique est appelé à acquérir graduellement ses lettres de noblesses en s’ancrant un peu plus chaque jour dans le corps de la société. Ce n’est qu’une fois que la société s’empare définitivement de l’idée et du projet de construction démocratique que la démarche politique qui y mène pourra assurer sa réussite. Depuis les fameux forums des démocrates ébauchés au début des années 1990, aucune espèce de synergie démocrate n’est venue par la suite tempérer les ardeurs volcaniques de la poussée islamiste qui a eu à en arriver à faire couler le sang des Algériens pour faire valoir son idéologie médiévale. Ce handicap des démocrates algériens a bien sûr aussi fourni du carburant au courant conservateur pour se redéployer et reprendre les rênes du pouvoir dans la majorité des institutions après qu’il eût été terrassé par la jeunesse martyrisée d’octobre 1988. Ce duo politique, nourrissant une relation dialectique de vases communicants et se nourrissant de la même rente, constituait, jusqu’à un passé récent, l’horizon unique, opaque, obscur et inquiétant offert aux Algériens. Dans ce “triangle des Bermudes’’ où le souffle du vortex a failli emporter les espoirs de la société et d’hypothéquer l’avenir des générations futures, l’espoir démocratique – fil ténu mais voie émergeant des profondeurs de la société lassée des rentiers du système et des aventuriers politiques – ne peut être canalisé que par les forces de progrès qui comptent rompre avec les ronronnements liés aux basses rixes de leadership. Car, au fond, qu’est-ce qui oppose les partis se réclamant de la démocratie ? Outre cette histoire du “culte de la personnalité” — mêlant nombrilisme et esprit de la tribu, et qui fait assurément partie du sous-développement culturel du pays —, la distance entretenue par rapport aux deux grands freins historiques de la Nation — les conservateurs et les islamistes — a également pesé de tout son poids pour créer des lézardes dans le camp républicain et démocrate sommé, en quelque sorte, de se déterminer par rapport à cette factice bipolarité.

Elle est factice dans la mesure où elle avait lancé la même OPA sur l’Algérie du progrès, des idées, de la justice sociale et de la modernité. En Kabylie, les tiraillements générés par les vaines rivalités entre les deux anciens partis traditionnellement ancrés dans cette région ont fait que ces deux entités se sont retrouvées toutes les deux dans une impasse historique, l’une en faisant de la politique de la chaise vide sa religion, l’autre en vidant de sa substance — ressources humaines et cohérence idéologique — une structure pourtant promise à un avenir moins dramatique. Le vide sidéral, un moment comblé par l’avènement du Mouvement citoyen des aârchs, tend aujourd’hui à être investi par d’autres formes d’organisation ou de regroupement qui se reconnaissent dans un pragmatisme qui fasse table rase des comportements aventuriers qui ont trop pénalisé la région depuis la fameuse ouverture démocratique de 1989. Si le concept de “vote kabyle” avait naguère un quelconque sens, c’était par rapport surtout à une sensibilité identitaire faisant partie de l’histoire des luttes de la région. Mais, entre-temps, beaucoup de masques sont tombés et un véritable sentiment de dépit a gagné de larges franges de la population, des électeurs et même de militants qui, désillusionnés, ont découvert une forme de mythification sophistiquée. C’est pendant ces grands moments d’interrogation et d’anxiété légitimes que d’autres alternatives proposant une nouvelle voie devraient pouvoir tenter de secouer les consciences abusivement mises au rebut sous le grossier prétexte qu’elles ont en “marre” de la politique.

Amar Naït Messaoud

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