“Les discours importent peu, il faut agir !”

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La Dépêche de Kabylie : A. Bouguermouh comment va la santé après les rudes épreuves que vous venez de subir ?

Abderrahmane Bouguermouh :

… Eh oui, doucement, doucement, je reprends le rythme, mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas comme avant, je me déplace de chambre en chambre.

Apparemment, la radio nationale Chaîne II vous prépare un vibrant hommage pour la fin de ce mois d’avril 2009 : qu’en pensez-vous ?

En fait, au début, je n’étais pas tellement chaud pour répondre à l’invitation, mais en réfléchissant à tout ce que cette radio a donné pour la culture, la langue et l’identité tamazight et même pour moi,- elle a toujours était d’une grande honnêteté-… Je me suis dit, après tout je peux dissocier la télévision de la radio. Je les remercie d’avoir pensé à moi.

Bouguermouh Abderrahmane Que pouvez-dire à la nouvelle génération qui va vous découvrir à travers l’émission ighzif ayidh ?

Je ne sais pas comment ça se passe, mais sur place je leurs dirai qu’ils sont les bienvenus, je remercie tout ceux qui ont pensé à moi.

Abderrahmane Bouguermouh, a consacré toute sa vie à l’identité, la langue et la culture amazighe : peut-on dire que vous avez atteint vos objectifs ?

C’est évident. On a fait quelques pas en avant, mais on a pas tout acquis, il reste beaucoup de choses à faire, en commençant par la reconnaissance officielle de la langue amazighe et la création de cette académie qui nous a été toujours refusée. Les gens doivent savoir qu’on a déjà crée cette académie dans les années 80, mais elle a été dissoute par le gouvernement de l’époque. Maintenant il faut passer à l’action, il ne suffit pas de prononcer des discours sur tamazigth, mais il faut surtout donner les moyens nécessaires pour son épanouissement. Le plus grand travail est fait par les Kabyles. Tant mieux ! Que les autres suivent la justesse de cette identité amazighe !

Dans un passé récent, vous avez commencé l’ébauche d’un livre intitulé 100 ans de Kabylie : où en êtes-vous avec le livre ?

Ce n’est pas 100 ans de Kabylie, mais c’est l’évolution des personnages à travers un siècle de Kabylie. le projet a été accepté par la commission de lecture,quant à son contenu, il s’agit d’une période qui n’est pas connue par tous les Algériens. Nous avons connu la guerre, le militantisme et autres, mais l’évolution sociale des gens, du peuple a été très mal rendue, chacun racontait à sa façon un peu son époque dans un contexte donné et enfermé. Par contre, ce que je fais, c’est d’essayer d’être fidèle à mes souvenirs, je n’invente rien. Ce sont des souvenirs que j’ai vécus et qui sont arrivés à mes parents et à mes grands-parents, c’est tout cela qui a été tissé l’un après l’autre pour faire le collier de ce livre. Je dirai que le mouvement national, n’a jamais été raconté de cette façon. Je parle de tous ces gens qui ont travaillé dans l’ombre et aujourd’hui, ils n’ont demandé aucune reconnaissance ni de récompense, ils ont fait le devoir patriotique sans demander de contrepartie. Il faut dire que ces gens sont partis avec la conscience tranquille.

Que pensez-vous du lancement de la Chaîne 4 en tamazight ?

Il faut lui donner le temps. On m’a dit qu’elle a démarré un peu difficilement, mais c’est tout a fait normal A ce que je sache, ce n’est pas une Chaîne kabyle, mais une Chaîne berbère.

Donc toutes les variantes d’expression amazighe sont associées, mais c’est nécessaire après tant d’années de lutte, il ne faut pas oublier le sang qui a été versé et les prisonniers depuis le temps, c’est un acquis qui a été arraché. Les gens doivent le savoir, on donne rien pour rien.

A un moment donné, vous étiez sur un projet de réalisation d’un film sur l’insurrection de 1871 de la période cheikh Belhadad et El Mokrani, qu’en est-il du projet depuis le temps ?

Oui, J’allais faire un film sur l’insurrection de 1871, de Cheikh Belhadad et El Mokrani. Le ministre de l’époque m’avait permis d’accéder aux archives nationales y compris les archives qui se trouvaient en France. J’en ai rassemblé pas mal, mais malheureusement le film n’a pas été réalisé à cause de la censure. Après cela, j’ai décidé de garder ces archives pour qu’elle servent à d’autres réalisateurs, chercheurs et écrivains qui voudront travailler sur les sujets. Ils feront des photocopies mais les originaux resteront chez moi.

Justement, puisque il s’agit d’un film d’importance historique, peut-on s’attendre à quelqu’un qui pourrait justement rebondir sur cette période très importante pour l’histoire du pays, d’autant plus qu’on est en démocratie plus au moins par rapport à la période en question ?

J’espère bien, mais il faut comprendre une chose : nos télévisions n’ont pas les moyens de ces films.

Ces projets demandent beaucoup plus de financement, de gros budgets pour les costumes, les scènes de bagarre et la construction de décors etc, à moins que l’Etat accorde 52 milliards à un réalisateur comme il en a été fait pour d’autres films sur l’histoire.

Parfois, les citoyens ignorent la valeur d’un village ancestral, d’autant plus lorsqu’il se retrouve en grand plan d’un film historique, peut-on penser à la réhabilitation de ces symboles qui ont des portées historiques : culturelles, touristiques et autres ?

Quand j’avais reconstitué le village où l’on avait tourné le film, La Colline oubliée, j’ai demandé au wali si l’on pouvait mettre un gardien pour sauvegarder ce village qui pourrait servir pour d’autres cinéastes, chercheurs et touristes, pour avoir un aperçu de l’époque, il a accepté dans le temps, mais depuis rien n’a été fait. Pis encore, ce sont les gens du village eux-mêmes qui ont détruit le village, en prenant tout ce qui est en bois et autres matériaux traditionnels précieux- le tremblement de terre qui a eu lieu dans la région de Beni-Maouche à l’époque a détruit encore le reste du village. Quant à Beni yenni, le village a été reconstruit dans une autre place, c’est-à-dire, plus bas que le village ancien. En parlant de l’importance de la sauvegarde des villages traditionnels, je vous cite à titre d’exemple, un village près de Nice France, où habitait le peintre Picasso, qui a été completement restauré, et très protégé. Je pensais que les villages seraient considérés de la même manière pour les sauvegarder, mais ce n’est pas le cas malheureusement dans notre pays.

Après tout ses festivals du cinéma amazigh où on vous a rendu hommage et autres, peut-on dire aujourd hui que les Kabyles gratifient les leurs convenablement, surtout ceux qui ont milité et lutté pour leurs culture, langue et identité ?

Ecoutez, je ne demande aucune reconnaissance, je n’ai fait que mon devoir.

Bien que j’aie découvert quand même quelque chose de positif à travers ces manifestations. la Kabylie profonde existe. Ça donne envie aux créateurs de continuer sur le chemin tracé par les anciens.

Quel est votre souhait à l’âge de 74 ans ?

C’est toujours la même chose, mon souhait c’est de partir tout en sachant que thamazigthe avance à grand pas.

Autre chose pour conclure M. Bouguermouh ?

Je dis à tous les Kabyles qui m’appellent et m’écrivent via Internet, si l’on m’a oublié, moi je ne les oublie pas. ils sont toujours dans mon cœur. Je me souviendrai toujours de la Kabylie profonde, je suis beaucoup plus à l’aise avec mes compatriotes.

A l’occasion je remercie le professeur Ouahmed qui m’a pris en charge pour la deuxième fois, et il me demande pour la troisième fois encore pour revenir à l’hôpital pour la rééducation. Comme je remercie tout ceux qui m’ont soutenu dans les situations difficiles de près ou de loin.

Entretien réalisé par Mohand Saïd Amazigh

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