Les ahans d’une douloureuse transition

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Outre les conditions internes qui avaient pour noms cessation de payement, plan d’ajustement structurel, fermeture des unités de production, licenciements massifs et subversion terroriste, le contexte mondial n’a pas, lui non plus, fait de cadeau à l’Algérie et a pesé de tout son poids pour donner du travail, de l’outil de production et du travailleur une image complètement transformée par le triomphe du capital et le recul forcé des idées sociales. La chute du mur de Berlin symbolisa cette rupture avec le passé des deux blocs et contraignit les économies socialistes de l’Europe de l’Est à se mouler dans le credo du libéralisme. Ce chamboulement qui a généré ses malheurs chez les populations de l’ancienne Europe pro-soviétique n’a pas manqué d’irradier les autres contrées du monde et d’imposer ses schémas dans les pays à économie dirigiste et administrée à l’image de l’Algérie. Sur le plan de l’évolution interne, la transition économique en Algérie, censée avoir pris son départ avec la loi sur l’autonomie des entreprises publiques de 1988, semble légitimement être trop longue aux yeux de tous ceux qui, à un niveau ou un autre de la pyramide sociale, sont concernés par les réformes y afférentes. Ces réformes étaient, dès l’origine, destinées principalement à faire évoluer l’économie algérienne d’une situation rentière à une position d’économie de production. En lieu et place d’une politique offensive en matière d’industrie censée être boostée par l’embellie financière constatée depuis le milieu des années 1990, les observateurs de la scène économique en général, les patrons algériens et les organisations syndicales en particulier sont tentés par un jugement plutôt nuancé. Certains vont jusqu’à parler d’économie de bazar au vu de la libéralisation débridée du commerce extérieur et des investissements étrangers assez frileux pour le moment puisqu’ils s’appuient surtout sur le gain facile de représentations commerciales de firmes étrangères. Les appréhensions des acteurs économiques algériens, privés et publics, à l’égard de l’Accord d’association avec l’Europe entré en vigueur en septembre 2005 et de l’éventuelle entrée de notre pays dans l’OMC, actuellement en négociation, trouvent aussi leur prolongement chez les travailleurs que l’actuelle situation, faite de fermeture d’unités de production et de licenciements, n’arrange pas. Le déficit de stratégie gouvernementale en matière de relance industrielle a été publiquement reconnu par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, trois semaines avant les dernières élections présidentielles.

La voie étroite

Depuis le triste souvenir de la cessation de payement dans laquelle est tombé notre pays au début des années 1990 et du rééchelonnement de la dette extérieure sous la férule du FMI, le processus de désindustrialisation a subi une accélération vertigineuse. Tout le potentiel industriel national se trouve remis en cause pour plusieurs raisons : structures lourdes (héritées des “industries industrialisantes’’), manque de politique de management, fragilité du processus de production dû à la dépendance par rapport à certaines matières premières, limitation de la maîtrise technologique par le principe débile d’usines ‘’clefs en main’’,…etc.

La vocation agricole du pays, longtemps mise en avant par la ‘’littérature’’ gouvernementale, a trop souffert des aléas fonciers, techniques et climatiques que les ressources issues de la facilité offerte par la rente pétrolière a empêché de prendre sérieusement en charge.

Mieux et plus que tous les pays du tiers-monde qui commencent à émerger du lot, l’Algérie a les possibilités financières et l’assise industrielle minimale de mener une politique industrielle aux dimensions maîtrisables en investissant des créneaux jusqu’ici laissés presque en friche (agroalimentaire, chimie, pharmacie, textile,…).

Les investissements publics consentis au cours des deux premiers quinquennats du président Bouteflika ont été orientés vers le renforcement des infrastructures et équipements publics. La création d’emploi que ces investissements ont réalisé n’a pas de durabilité ; ce sont des chantiers de travaux publics dont les postes de travail prennent fin avec la clôture de l’opération. Ce n’est qu’en attirant des investissements liés à la petite et moyenne entreprise privée, que de telles infrastructures pourront générer de l’emploi.

Dans l’étape actuelle de l’économie algérienne, et au-delà de la notion de chômage et d’emploi, les contrastes de statut social n’ont jamais été aussi apparents et leur décryptage n’a, non plus, été aussi illisible au sein des différentes franges de la population qu’au cours de ces dernières années reconnues comme étant la période faste de la stabilisation des indices macroéconomiques (très faible encours de la dette extérieure, taux d’inflation de 6,1 % jugé ‘’tolérable’’, taux de croissance appréciable du PIB, taux de chômage officiellement réduit à moins de 12 % de la population active,…). Au cours de cette période de transition de l’économie nationale-étape sensible pour tous les pays passant d’une économie administrée à une économie de marché-, le hiatus entre les différentes couches de la société se fait de plus en plus béant menaçant parfois même la stabilité du pays et la paix civile. Le nombre d’exclus ne cesse, en effet, d’augmenter, même si le gouvernement- à travers certains de ses différents dispositifs sociaux- essaye de contenir le cercle de la pauvreté en venant en aide aux catégories les plus vulnérables.

La pauvreté en marche

Aussi bien à travers le monde- où institutions internationales et organisations non gouvernementales s’échinent à baliser le phénomène sur le plan théorique et à contribuer à le faire prendre en charge sur le plan pratique- qu’en Algérie- où les économistes, les médias et les pouvoir publics ont essayé de cerner la problématique de la pauvreté-, les manifestations de ce ‘’mal’’ sur le plan social et sur le plan de la cohésion des peuples et des nations n’aident pas nécessairement à le définir d’une façon définitive et uniforme. Si l’on retient, pour des commodités de raisonnement, le principe de la Banque mondiale qui désigne comme pauvre une personne vivant avec moins d’un dollar par jour, le compte serait bon pour que l’écrasante majorité des Algériens soit déclarée comme vivant sous le seuil de pauvreté. Si on prend l’exemple d’une petite famille de cinq personnes, et l’on prend la valeur la plus stable du dollar par rapport au dinar (80 DA pour 1$), il en résulte que cette famille devrait avoir un revenu minimum de 12000 DA par mois. C’est le seuil de pauvreté correspondant à sa taille.

Ce critère adopté par la BIRD relève plutôt d’une situation idéale se basant sur une référence plutôt ‘’exotique’’.

Le taux de chômage, à lui seul, n’explique pas non plus la dimension de la pauvreté. Actuellement revu à la baisse dans notre pays, ce phénomène quantifiable ne permet pas, à son tour, de quantifier la pauvreté. Cela est d’autant plus vrai que plusieurs chefs de ménage déclarés comme étant employés ne possèdent pas les ressources nécessaires pour vivre décemment, scolariser leurs enfants, avoir des loisirs, se soigner, se chauffer,…etc. A ce niveau, on peut faire une jonction avec la définition de la Banque mondiale sans la prendre, en valeur absolue, comme argent comptant.

SMIG et pouvoir d’achat

Depuis l’accord de la Tripartite en 2006 (patronat, gouvernement, UGTA) où un SMIG de 12 000 dinars a été arrêté, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ; le niveau de vie a baissé d’une façon inquiétante. Les statistiques officielles viennent de reconnaître un taux d’inflation de 6,1 %. Les statuts particuliers de beaucoup de secteurs de la Fonction publique ne sont pas encore approuvés pour que leur soient appliqués les changements induits par l’amendement de la loi sur la Fonction publique. À la veille des élections présidentielles du 9 avril dernier, te sont pas mois de 20 000 travailleurs des entreprises publiques qui étaient restés sans salaires pendant plusieurs mois. Les propositions et autres spéculations sur le nouveau SMIG, allant de 15 000 dinars pour certaines parties jusqu’à 25 000 selon d’autres, risquent sans doute de voiler le vrai problème, à savoir que le pouvoir d’achat ne s’acquiert jamais par une augmentation nominale et généralisée des salaires. Une éventuelle opération du genre ne servira qu’à aggraver l’inflation. Pour ne pas céder au populisme, le gouvernement est tenu de ‘’venir en aide’’ au pouvoir d’achat par l’encouragement de l’investissement productif, le maillage du territoire par les PME/PMI et l’incitation au micro-crédit destiné aux jeunes. En d’autres termes, et pour adopter une démarche valable sous toutes les autres latitudes, il n’y a que l’entreprise qui crée de l’emploi. L’augmentation de la productivité au sein des entreprises et le renforcement de la formation qualifiante pour la rendre en adéquation avec la demande réelle de l’économie sont d’autres facteurs ‘’collatéraux’’ à même de booster le niveau des vie des travailleurs.

Amar Naït Messaoud

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