Sur ce plan, le secteur de l’urbanisme et de la construction est sans doute le cas le plus expressif et le plus dommageable de l’anarchie vécue dans l’aménagement du territoire. Les rapports, analyses et études produits à l’occasion du séisme de Boumerdès montrent à ce propos la grande part revenant à l’anarchie urbanistique dans l’ampleur des dégâts. De même, les constructions, parfois en toute légalité, sur des zones inondables ont généré leur part de malheurs suite aux pluies torrentielles survenues au début de l’automne, phénomène somme toute classique sous le climat méditerranéen. C’est le scénario que nous avions vécu en 2008. Depuis la fin septembre, les cris de détresse se succédèrent de Ghardaïa (une cinquantaine de morts) jusqu’aux territoires de la Saoura (des morts, des routes coupées et des maisons écroulées).
La place du renouveau rural
La stratégie de renouveau rural, initiée par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural à partir de 2007 compte, pour venir en aide aux populations montagnardes et de l’arrière-pays steppique, s’appuyer sur les leçons tirées de la mise en œuvre des projets de proximité et sur la vision novatrice de ses concepteurs quant à la qualité des acteurs locaux et au type d’intervention qu’ils sont censé assurer dans le nouveau dispositif. Ainsi, parallèlement aux différents dispositifs de soutien accordés à l’agriculture professionnelle, la politique de développement rural compte toucher les franges les plus vulnérables des populations ayant des revenus trop bas, des propriétés réduites, morcelées et souvent sans titre de propriété. Initiés depuis l’année 2003, les PPDR constituent un apport économique et social non négligeable aux ménages et populations vivant dans l’arrière-pays rural montagneux ou de la steppe. Basés sur l’instruction n°353, qui sera substantiellement modifiée dans son volet ‘’montage financier’’ par l’instruction n°306, ces projets visent à stabiliser les populations dans les villages et les hameaux où elles vivent et à aider ceux qui ont quitté leurs foyers à y retourner.
La formule modernisée et intégrée des projets de proximité (PPDRI) est mise en route à partir de 2008. Les contrats de performance signés entre les conservateurs des forêts et le ministère de l’Agriculture portent sur la réalisation d’un certain nombre de projets liés directement à un thème du monde rural.
Pour ce faire, des actions relevant de plusieurs secteurs d’activité ont été programmées pour améliorer le niveau de vie de ces populations et atténuer, un tant soit peu, le phénomène du chômage qui a pris des proportions inquiétantes dans ces contrées.
Agriculture, élevage, mobilisation des ressources hydriques, ouverture et aménagement de pistes agricoles, aviculture, apiculture, aide aux activités artisanales, salles de soins, AEP, assainissement, habitat rural…telles sont quelques-unes des principales actions initiées par les directions des différents secteurs des wilayas en concertation étroite avec les autorités locales (APC, daïra) et les populations représentées par des animateurs élus au sein des communautés rurales.
Outre les programmes de développement traditionnels, les sources de financement ont été étendues à des fonds spécifiques tels que le FDRMVTC (Fonds de développement rural de la mise en valeur des terres par la concession), le FONAL (habitat), le Fonds de développement de la Steppe, le Fonds de l’Artisanat…
L’équilibre naturel en question
Les dysfonctionnements des systèmes écologiques et environnementaux en Algérie ont atteint un tel degré de menace sur les ressources naturelles et les équilibres spatiaux qu’ils risquent même de compromettre la vie des générations futures. Le couvert forestier se réduit en peau de chagrin sous les coups de boutoir des pyromanes et délinquants de tous bords. La prise de conscience par les spécialistes et les pouvoir publics du grave danger qui pourrait mettre en péril l’équilibre général du territoire a donné naissance à l’idée d’un schéma d’aménagement qui intégrerait les données physiques et biotiques des différentes zones du pays ( littoral, monts du Tell, Atlas saharien, système oasien et zones arides du Sahara) à la composante humaine et à l’activité économique de ces territoires. Les distorsions liées au développement et à la dynamique économique ont conduit, selon les estimations faites en octobre 2003 par l’ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, à ce que » 5 à 6 wilayas produisent 85% de la matière fiscale nationale « .
Les zones de montagne constituent des entités écologiques spécifiques sur le plan physique, biologique et humain. Il convient de signaler que l’intérêt des pouvoirs publics pour les zones de montagne remonte aux années 1980, du moins pour ce qui est des sous-espaces agro-forestiers. En 1988, un établissement étatique fut créé à cet effet. Il s’agit de l’OAMV, l’Office d’aménagement et de mise en Valeur des terres de montagne, qui avait pour mission d’aménager ces espaces fragiles et de les mettre en valeur dans le respect de leurs spécificités naturelles. Cet établissement sera dissous quelques années plus tard. L’action de l’État en la matière sera réduite à des politiques par à-coups caractérisées plus par le ‘’saupoudrage’’ que par la cohérence et l’efficacité.
Le Conseil national de la montagne a été installé en 2006 par Chérif Rahmani, ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement et du Tourisme. Ce Conseil a pour mission de promouvoir et d’aménager les différentes zones de montagne, de définir les activités spécifiques à cet espace et de coordonner l’action des divers acteurs y intervenant. Cette structure multisectorielle est aussi appelée à jouer un rôle prépondérant dans la sensibilisation à la notion d’espace montagneux et de définir les conditions d’octroi des subventions sur le Fonds de la montagne dans le cadre du développement durable. Le cadre réglementaire permettant à tous les acteurs de la politique de la montagne d’agir en parfaite symbiose et synergie est le Règlement d’aménagement du territoire des massifs montagneux.
Des massifs et des hommes
Même les parcs nationaux, comme ceux de Belezma (Batna), Djurdjura (Tizi Ouzou et Bouira) et Theniet El Had (Tissemsilt), dont les structures sont pourtant mises en place depuis plus de 20 ans, n’ont pas encore élaboré une véritable stratégie de la montagne. Leur action s’était confinée, jusqu’à un passé récent, dans une espèce de ‘’tour d’ivoire’’ faisant privilégier la notion de biodiversité dans des zones généralement très peuplées. L’intégration des populations riveraines au développement harmonieux de ces espaces particuliers est une idée récente imposée par la nécessité d’un développement durable.
N’oublions pas que certaines wilayas du Nord d’Algérie ont plus de 60% de leur territoire composé de montagnes. Tizi Ouzou, Béjaïa, Skikda, Jijel sont parmi les régions les plus montagneuses d’Algérie avec une pression démographique des plus fortes (densité allant jusqu’à 500 habitants au km2). Les statistiques de la wilaya de Jijel donnent une proportion de 82% de territoires montagneux sur la superficie totale de la wilaya. La frange de plaine littorale allant d’El Aouana à Sidi Abdelaziz voit parfois sa largeur réduite à 2 km.
Du fait d’une politique peu claire en la matière, les régions montagneuses d’Algérie, qui ont subi les affres de la guerre de Libération et la pression terroriste au cours de la dernière décennie, ont été les parents pauvres du développement et des actions de protection. Les spécialistes ont établi le diagnostic des dégradations qui commencent à affecter sérieusement la montagne algérienne. Ces dégradations ne résultent pas toujours des effets d’un développement inadéquat, mais il est le produit de ce que les aménagistes appellent la ‘’stratégie de survie’’ des populations. En effet, confrontées à la misère et à l’enclavement, les populations, avant de se résoudre à l’exode et au déracinement dans les villes, s’emploient à exploiter au maximum les ressources naturelles au-delà de toute rationalité jusqu’à compromettre leur régénération et entraîner d’autres dommages “collatéraux” difficilement réparables. La déforestation et l’urbanisation anarchique ont entraîné la réduction des espaces cultivables et l’accélération de l’érosion des terrains de montagne. Ce dernier phénomène, outre qu’il annihile l’offre fourragère et arrache la meilleure couche arable du sol, constitue un danger pour certaines infrastructures qu’il déstabilise (routes, rail) ou dont il réduit les capacités de rétention (barrages hydrauliques). D’autres corollaires, à plus ou moins brève échéance, sont encore induits : disparition de certaines niches écologiques, amenuisement de la biodiversité, régression de l’attractivité touristique et dépeuplement des hameaux et bourgades de la montagne. L’exode rural a fini par compliquer et exacerber la crise dans les villes sans pour autant diminuer le rythme de dégradation des zones de montagne.
Les nouveaux instruments juridiques et institutionnels établis par les pouvoirs publics- et qui s’insèrent dans la nouvelle stratégie- de l’aménagement du territoire- seront-ils à même de juguler la régression écologique et économique de nos montagnes pour réhabiliter ces espaces vitaux et ancestraux ?
Nouvelle approche du monde rural
La gestion des systèmes montagneux a été mise à mal par les conditions générales de vie du monde rural où les populations ont subi une grave paupérisation ayant conduit une partie de celles-ci à un exode massif vers les villes. Les populations restantes, dans un effort tenant de la ‘’stratégie de survie’’, se sont employées à une exploitation effrénée des ressources naturelles existantes, dont le patrimoine forestier, jusqu’à compromettre leurs propres chances de stabilité et d’évolution sociale.
A cela s’est greffée la dégradation du climat sécuritaire dans les zones forestières qui a entraîné d’importants dommages au capital ligneux et au couvert végétal des sols.
L’action des pouvoirs publics dans le soutien au monde agricole s’était surtout manifestée dans les filières professionnelles où la dimensions des exploitations et la nature juridique des terres permettaient une meilleure fluidité des mécanismes de soutien.
Les espaces intermédiaires, entre la forêt proprement dite en tant que peuplement, et les plaines agricoles, sont caractérisés par : le morcellement de la propriété, l’absence des titres de propriété, l’indivision, les contraintes de relief, l’enclavement, l’absence d’ouvrages hydrauliques et le déficit en matière d’infrastructures et d’équipement publics.
La reprise en main et la revalorisation de l’espace forestier passent immanquablement par une nouvelle approche du monde rural qui associe le riverain en tant qu’élément vital de ce milieu complexe et en sa qualité de partie prenante privilégiée dans la nouvelle définition du développement rural durable.
C’est ainsi que le Plan national de développement agricole et rural est venu à point nommé répondre à certaines attentes des populations rurales du pays.
Ce plan, qui s’articule autour des projets de proximité, s’assigne comme objectifs l’amélioration de la sécurité alimentaire des ménages, la mise à niveau des exploitations agricoles, la promotion et la revalorisation des métiers ruraux et, enfin, la création de conditions favorables au retour des populations forcées de quitter leurs foyer suite au chômage et/ou à l’insécurité.
Ce vaste programme suppose une intervention multisectorielle et une approche pluridisciplinaire pour pouvoir agir sur les différents leviers de la vie économique et sociale des populations-cibles.
De même, le montage décentralisé des projets de proximité offre des possibilités réelles de tenir compte de la réalité plurielle des espaces, des spécificités, des atouts et des contraintes des zones d’intervention. C’est en tout cas tout le contraire des anciens projets ‘’standardisés’’ sur le plan du devis et du coût au point d’assimiler une route à ouvrir sur le flanc du Djurdjura à celle qu’il faut tracer sur la plaine d’Oran.
Amar Naït Messaoud
