Les poètes ne trépassent jamais !

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Déjà, en 1976(nous étions amis inséparables, à l’Ecole normale de Tizi-Ouzou) elle ne s’en cachait point : elle le criait parfois à tue-tête, alors que souvent même des hommes avaient peur de « s’afficher »…

Elle, c’était Ouerdia Chétouhi des Aït Saâda! Je ne puis oublier sa fougue à tenir la dragée haute à certaines camarades « citadines », « civilisées », « fières d’être strictement arabophones »en plein pays kabyle ; mais qui n’aimaient point que nous autres « sshab ledjbal », nous fussions fiers d’être surtout et avant tout Kabylophones, et classés premiers sur la liste des futurs professeurs de langue française. C’était l’époque de Boumediène…

Ouerdia, alias Doudouche, était une battante, une jeune femme courageuse et franche,convaincue de son combat pour la reconnaissance de la langue et de la culture amazighes. Fraîchement mis en veine de confidences, dès nos premiers jours à l’Ecole normale, elle me fit comprendre qu’elle était de tout son sang comptable avec un combat juste,qu’elle ne reculerait devant aucun péril,que c’était dans ce même dessein qu’elle avait rejoint les fameuses chorales des lycées » Amirouche » et « El Khensa »…

« Nous avons des racines identitaires multimillénaires, nous avons une culture…Il faut une chorale d’expression kabyle ! Il n’y a pas que les « mouwachahat » et je ne sais quoi encore… » A ce chapitre, Ouerdia ne tarissait jamais, tout en bravant les taupes du parti unique draconien et allergique à tout sujet inhérent à la culture amazighe…

Ouerdia aimait collectionner les maximes, les expressions et les citations kabyles ou françaises. Il m’en revient une de Victor Hugo, que j’avais apprise dans ce fameux calepin de Doudouche: « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ». Et comment !

Hier, la dépouille de notre valeureuse amie n’a-t-elle pas été inhumée sous l’emblème amazigh? Oui!Et ce pour que vive son âme subtile!Et elle vivra,parce qu’elle a lutté.

Comme ses compagnons de route et de lutte, ses amis de bon aloi, n’avait-elle pas veillé sans répit,afin que cet emblème chèrement acquis ait sa place au soleil ? Cet emblème qui l’a couvée jusqu’à sa dernière demeure, pour ressusciter secrètement son sourire virginal et la douceur du giron de sa mère ? Doudouche n’est pas morte (les poètes ne trépassent jamais) elle a rejoint le sein maternel du Djurdjura immortel. Elle est invité d’honneur à une agape amazighe : Taos Amrouche, Mouloud Mammeri, Hnifa, Mouloud Féraoun, Matoub…Enfin, avec tous les enfants de la « Tribu »au sens katébien.

Mais j’ai quelques regrets, car me revient inévitablement une question proverbiale de Diderot : « Est-ce au moment où vous venez de perdre un(e) ami(e)que vous composez un poème sur lui ? »

Tu me pardonneras, Doudouche, tu comprends déjà mon désarroi, grande Dame. Ma blessure est si profonde et douloureuse que doit en suinter la poésie, goutte à goutte…sur le fier Z amazigh qui perd, à tour de rôle, les meilleurs de ses enfants.

Encore aujourd’hui, une ancienne mélopée émane de source. Tu me la chantait à merveille de ta voix angélique. Elle me revient inéluctablement, elle frôle mes sens pour me dire que tu es et seras toujours parmi nous, même si, brusquement, elle m’arrive d’une distance infinie. Sache, chère amie, que nous t’aimons, que tes enfants soient les nôtres et que le combat continue.

Boualem Rabia

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