Documentaire en tamazight sur des sites historiques

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Il est caché, et entouré d’une muraille qui l’adjoint à la maison d’un privé. Malmené, squatté, le mausolée turc — car il s’agit de lui — fait une tout autre office que celle pour laquelle il a été destiné. Sur son origine, aucune contradiction. Les vieux Akbouciens racontent qu’autrefois, le mausolée était un lieu de piété, culture et de savoir. Il assumait même le rôle de la mosquée d’un cimetière. De grandes analogies de formes, architecturales, artistiques avec le tombeau du sultan Mehmed 1er (Turc) sont constatées. Ce monument historique qui gagnerait à être jalousement protégé, est délaissé, devenu par l’ironie du sort, une… cuisine.Deuxième étape du reportage… Les membres de l’association pour la sauvegarde des vestiges historiques de La Soummam, initiatrice du tournage du documentaire, accompagne l’équipe réalisatrice en contrebas, à 5 mn de trajet à pied. Comme dans un film d’horreur, la bâtisse s’élève dénudée, éventrée, déchirée, déchiquetée… Les qualifiants ne suffiront pas pour décrire le sinistre archéologique. La construction se dresse, comme un dessin en carton œuvre d’un garçon marchiavélique, suspendue à un fil de fer et que le vent fait tournoyer au gré de ses caprices. Plus aucune porte ! Plus aucune fenêtre ! Et pourtant, il y en avait à profusion, tel que le laissent consulter les nombreuses ouvertures faciles à discerner. Il ne manque plus que les coups de tonnerre, les rafales de vent, les flots de pluie et le noir entrecoupé d’éclats lumineux d’éclairs pour faire de la maison une caricature d’horreur digne des films d’Alfred Hitchkock. Chose bizarre ! La plaque, au-dessus de ce qui a dû être la porte d’entrée, s’élève fièrement, narquoise, narguant. “Gendarmerie”, y lit-on.Oui, c’était l’ancienne brigade de gendarmerie d’Akbou, contiguë à la prison de la localité. Brigade transférée à la cité des 540 Logements, à Arafour. Le transfert s’est opéré il n’y a pas si longtemps pour justifier l’état de délabrement total. Des mains humaines y sont passées dénotant d’une sauvagerie haineuse, rancunière. Des mains ont réalisé une destruction à la hauteur de la colère assurément ressentie. L’intérieur est encore plus affreux. Du plan, il ne reste plus que des pans de murailles, des amas de terre et de mortier effrités. Des traces de bureaux, des sous-sols totalement visibles de loin laissent deviner ce qu’étaient les cachots. Des traces même de cachettes. Haouchine Belkacem, le réalisateur, flanqué de l’équipe, allait prendre les témoignages d’anciens moudjahidine ayant été torturés en ce lieu lors de la guerre de Libération, selon leurs déclarations. “Il y a trop de vent.Oui, trop de vent pour réussir les prises”, dit avec la grimace de connaisseur, Rabhi Noureddine, le cameraman. L’équipe de la boîte Thaïs a ramené un matériel qui, de l’avais de Haouchine, est d’une grande qualité. Elle le met aux fins du documentaire à un prix de 50% de remise, une manière de contribuer dans la lutte pour la sauvegarde de l’histoire et des sites inhérents. Quant à Haouchine Belkacem et son épouse Malika (assistante du mari réalisateur), le travail est à titre bénévole. Pour les témoignages, il est opté pour l’intérieur de la bâtisse. Le 1er à être écouté est Boukir Seddik, ancien membre de l’ALN, à l’origine de la création de l’association Soummam pour la protection de l’histoire et des vestiges historiques, association dont il est président d’honneur. “On a été ramenés en ce lieu en 1954. On était deux.C’était après la 1re opération. Plusieurs bourgades y avaient pris part, mais les Français sont allés à Taddart Iwataniène”. Dans ce bureau même, on nous a affreusement torturés. Eau savonneuse, coups, électricité. J’avais 22 ans. Avec un mouchoir, on nous étouffait, puis on nous plongeait la tête dans un bassin d’eau savonneuse. Dès qu’on nous sortait de l’eau horrible, on nous écrasait le ventre posant comme une litanie, cette question : “Quel rôle assumes-tu ? Qui est avec toi ? Où sont-ils ?”. M. Boukir a brusquement le regard fixe. Visiblement, il remonte le temps. “Je me rappelle de Hamidouche Ali. Ils le sortaient du bassin puis lui posaient les mêmes questions. Il leur répondait courageusement : “mauvaise graine. Sale race. Notre souhait est que ces endroits soient protégés, préservés comme sites historiques, pages de notre histoire. Et nul autre que l’autorité ne peut assumer cette tâche. Qu’elles assument leurs responsabilités ! Quand il n’y aura plus de traces de notre glorieuse guerre, nous aurons trahi ces hommes et ces femmes qui ont donné leur vie pour une Algérie indépendante et souveraine. Si les générations futures ne trouveront plus ces endroits, ils ne sauront rien de leur histoire réelle”, termine M. Boukir, cédant la place à M. Barrache Abdelkader. “Je suis d’Ighil Nacer, Ighil Guilef avant. Je suis né le 24 mai 1933 et j’avais 22 ans à mon emprisonnement en ce lieu. J’activais dans mon village. Je me rappelle avoir découvert ce jour-là mon village encerclé par l’armée française. J’essayais de savoir pourquoi. La sentinelle m’avait demandé d’où je venais. A 14 h, ils sont repartis emmenant certains de nos frères. Moi, non car ceux qui étaient rentrés au village dans la journée, on ne les a pas pris. Mais le lendemain, ils sont revenus. Un vieux les a guidés vers ma maison. Six gendarmes et un collaborateur algérien m’interrogeaient.C’était ici. On me demandait où j’étais la nuit du mercredi. Ici, je n’avais subi que des interrogatoires. La torture, c’était à Tazmalt. Le chef de brigade était un juif”. M. Barrache s’arrête de conter. Les souvenirs sont toujours vivaces, et insupportables. Difficile à raconter… L’équipe retourna au musée du Moudjahid sis à la place Colonel Amirouche.C’est l’ex-église. En plus de ce que peut contenir un musée, il y a deux boîtes d’ossements déterrés lors de la destruction de l’ex-caserne. Objet de courroux de moudjhahidine qui trouvèrent alors (et toujours) un affront aux chouhada, torturés en ce lieu. La caserne colonel Amirouche, surnommée ainsi il y a quelques temps, a été construite par le maréchal Rondon, bourreau de Lala Fatma N’Soumer, explique Seddik Boukir. Elle a été bâtie en 1854 aux fins de briser la résistance de “la tigresse du Djurdjura” qu’il (le général) capturera le 27 juillet 1857 au village Ath Atsou, Azrou Thor, Djurdjura. Au déclenchement de la guerre de libération, la caserne avait déjà un siècle d’existence, remplissant une mission de sévices des plus ignobles et assurant même des rôles de pénitencier lors de la Guerre mondiale. Sa démolition à des fins de construction de logements a suscité colère et indignation. “Suite à des faits rares qui se sont produits à Akbou et profitant de l’anniversaire du déclenchement de notre glorieuse guerre, je vous prie de publier ce cri de conscience d’un vieux militant, un cri de cœur pour dénoncer les opportunistes, dont notre patrie regorge aujourd’hui, et leurs actes délibérés de démolition de nos vestiges”, écrivait Boukir Seddik dans la presse. Une pétition fut lancée, suite à laquelle est née l’association suscitée.

Taos Yettou

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