En lieu et place d’une célébration sereine, les députés ont plutôt vécu quelques moments de tension et de douche froide lorsque le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, en commentant une revendication de Louisa Hanoune exprimée juste après les élections présidentielles du 9 avril dernier, dit ne pas exclure la possibilité de la dissolution de l’Assemblée populaire nationale. Mme Hanoune, elle-même députée aux couleurs du Parti des travailleurs, devint alors persona non grata dans les travées de l’Assemblée, elle par qui la catastrophe aurait pu arriver. C’est que, outre les sujets tels que la révision constitutionnelle, la criminalisation de l’immigration clandestine, la révision du Code des procédures civiles qui impose la présentation en arabe de tout document destinée à être exploité par la justice, les députés ont tiré à la hausse leurs propres salaires, les rapprochant d’un montant équivalant à vingt fois le SMIG, ce qui a légitimement choqué une partie de l’opinion et particulièrement la jeunesse algérienne poussée au désespoir. On peut néanmoins observer un aspect positif de l’amendement apporté à la loi domaniale qui sécurise un peu mieux les détenteurs de titres d’exploitants d’EAC ou EAI. Le bail est prolongé à 99 ans renouvelable avec, en plus, la transmission de la jouissance par héritage. De même, les amendements ayant touché le Code des marchés publics ont cet avantage de débureaucratiser légèrement le décret de juillet 2002 et de faciliter aux entreprises et fournisseurs les procédures d’accès à la commande publique.
La loi de finances 2009, signée par le président de la République le 31 décembre 2008, n’a pas subi de grandes modifications par les députés malgré la conjoncture de crise financière mondiale dans laquelle elle a été élaborée. La portée du travail législatif mené par l’Assemblée populaire nationale et sa relation avec l’action du pouvoir exécutif commencent à peine à être appréhendée dans toute sa dimension par les différents acteurs. Cette relation-dont les mécanismes sont fixés par le texte fondamental du pays, à savoir la Constitution-est supposée être l’armature de la bonne gouvernance. Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres. Il y a comme un l’abcès que le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a voulu crever pendant le présentation de son plan d’action il y deux semaines. En effet, une loi organique destinée à régir les lois de finances annuelles sera présentée à l’automne prochain devant les représentants du peuple permettant à ces derniers de suivre les projets mis en place dans le cadre du budget de l’État.
Bilan critique à inventer
Hormis quelques accès de lucidité ayant permis certaines observations superficielles, quel député, partie ou autre instance, y compris les secteurs les plus concernés des pouvoirs publics s’est avisé, deux ans après les élections législatives d’avril 2007, de présenter un bilan partiel critique, ne serait-ce que sommaire, de l’action législative au moment où elle boucle deux années et au moment surtout où un plan nouveau d’investissement public (2010-2014) est initié par le gouvernement? Cette halte aurait permis aux citoyens-électeurs de jauger du chemin parcouru, des dossiers traités et des insuffisances qu’il y a lieu, le cas échéant, de combler ou de rattraper aux prochaines sessions. Nous n’avons pas connaissance d’un tel souci chez nos élus ou chez les départements de l’Exécutif qui sont censés suivre les propositions des projets de lois soumis aux députés pour examen et adoption. Pour toutes les peines que le pays s’est données pour asseoir une ‘’mécanique’’ institutionnelle à façade démocratique, ce déficit de suivi et de présentation de bilan devrait relativiser à plus d’un titre le sentiment d’euphorie qui tenterait les représentants des institutions républicaines. L’on ne peut pas, en tout cas, se contenter de ce qui est appelé habituellement la sanction populaire qui, soutient-on, pourrait faire barrage à des députés de se représenter ou au parti auquel ils appartiennent de réaliser de bons scores. La complexité des jeux institutionnels et la débandade de la classe politique jettent un tel brouillard sur les missions de l’APN et du Sénat qu’une telle éventualité, c’est-à-dire la sanction populaire, demeure un vœu pieux, voire une virtualité. Seule une vie institutionnelle stable et dégagée des interférences parasitaires pourra un jour, si le pays s’engage résolument dans la voie démocratique, faire valoir les choix citoyens et leurs corollaires obligés : la sanction par les urnes et l’alternance au pouvoir.
Un maillon institutionnel à relégitimer
Parce que participant d’une façon décisive à la ‘’mécanique’’ institutionnelle du pays, l’on ne peut honnêtement dissimuler les déficits politiques et fonctionnels de l’APN ou faire table rase des griefs faits au fonctionnement de cette assemblée par certains partis politiques et par des personnalités indépendantes. Ces griefs se résument probablement dans ce verdict peu glorieux qui fait de cette noble institution une ‘’caisse de résonance’’ du pouvoir politique allant jusqu’à déclarer la confusion entre l’exécutif et le législatif théoriquement et constitutionnellement séparés. En effet, que valent, sur le plan technique et sur le plan de légitimité politique, des ordonnances proposées à l’Assemblée pour une adoption en bloc à main levée sans aucun débat sur les détails (articles et alinéas) ? Il est fort possible que, globalement et dans leurs objectifs et esprit, ces ordonnances soient d’une importance capitale dans la vie de la Nation. Il n’est pas non plus à exclure qu’elles émanent d’une réelle volonté de l’exécutif de mettre de l’ordre dans un secteur donné et de le doter ainsi d’une réglementation salutaire. Néanmoins, les départements ministériels initiateurs des projets d’ordonnance et même les services de la présidence-lorsque de telles initiatives en émanent ne sont pas infaillibles. Les débats institués au sein de l’Assemblée et du Sénat sont justement conçus pour corriger le tir, amender, enrichir ou annuler des articles ou des paragraphes du texte proposé. Dans les situations ou des débats sont ouverts dans l’hémicycle pour discuter d’un projet de loi, ou bien encore lors des séances de questions orales au gouvernement, l’on sait quelle tournure ont pris certaines interventions face aux caméras de la télévision. En focalisant les regards sur des détails afférents à la bourgade d’où est issu l’élu, le discours ânonné à l’assemblée perd de sa vigueur et de son importance. Ce souci où la prestation télégénique se greffe à une angoissante recherche d’un autre mandat laisse malheureusement peu de place à la vraie mission législative.
Des missions et des questions
C’est surtout sur le terrain des décisions économiques que cette mission est attendue, particulièrement en cette conjoncture d’incertitudes et de remises en cause à l’échelle internationale. Les journées parlementaires organisées au début de l’année en cours pour évaluer l’impact de la crise financière mondiale sur l’économie et la société algériennes s’étaient confinées malheureusement dans des généralités qui ne permettent de tirer aucune conclusion pratique susceptible de corriger le tir de l’action gouvernementale. Et pourtant, le Premier ministre, en dehors du plan d’investissement public doté de 150 milliards de dollars, prépare déjà un plan d’austérité pour le fonctionnement de l’administration publique. Les députés attendent-ils la loi de Finances complémentaire 2009, prévue pour les prochaines semaines, pour faire des propositions réalistes dans ce sens? En tout cas, des cercles d’analystes et des spécialistes dont les propos ont été répercutés par les médias n’excluent nullement que des projets d’investissements publics programmés au cours des dernières années soient réduits en volumes ou carrément annulés en raison du recul des recettes pétrolières. Le recul de la balance de payement de janvier dernier par rapport à janvier 2008 est un indice inquiétant qui est en train d’être décrypté par des économistes.
L’annonce de la baisse du taux de chômage à 11,8 % en l’espace de quelques mois d’une ‘’politique de l’emploi plus judicieuse’’ n’a suscité aucune remarque ou contestation de la part des membres de l’Assemblée alors que tous ceux qui suivent le dossier de l’emploi, savent que la précarité et la non-pérennité des emplois crées-particulièrement ceux financés par les dispositifs du pré-emploi, du Filet social et de l’emploi de jeunes-sont des données qui relativisent grandement l’optimisme du gouvernement. Lorsqu’on sait que les augmentation des salaires des fonctionnaires-sur lesquelles beaucoup de parties, dont le FMI, se sont montrées réticentes- ne sont pas encore réellement validées pour plusieurs secteurs du fait que leurs statuts particuliers ne sont pas encore adoptés, on imagine un peu la difficulté du sujet. Les députés sont, au moins moralement, interpellés pour hâter de telles procédures.
Quant aux grèves des secteurs de la Santé et de l’Éducation, on n’a pas entendu parler d’une séance parlementaire consacrée au sujet alors que, sur le terrain, la situation ne fait que pourrir par défaut de vrais interlocuteurs. Qui est fondé à remettre en cause les chiffres officiels de l’inflation (moins de 4,2%) face aux démentis du marché du quartier? N’est-ce pas que l’un des critères de la stabilité macroéconomique, à savoir la maîtrise du taux d’inflation, dont se sont targuées les autorités des années durant, commence à être battu en brèche ? Sur le plan social, outre la mendicité, le développement des maladies chroniques et la consommation de stupéfiants, les deux dernières années se sont fait remarquer par deux phénomènes majeurs : les harragas et le suicide. À aucune époque de l’histoire algérienne, ces deux calamités n’ont atteint le degré de gravité atteint depuis le début de ce siècle. Sous d’autres cieux, les élus du peuple sont censés consacrer des séances spéciales pour étudier le mal qui ronge la jeunesse algérienne et proposer des solutions pour en atténuer la douleur et offrir de nouveaux horizons à la nouvelle génération. Le même silence radio est enregistré par les députés lors des grandes émeutes qui ont émaillé le territoire national. La commission parlementaire diligentée sur Bériane suite à de graves émeutes intercommunautaires n’a pas eu le temps ou l’occasion de présenter à l’opinion son rapport qu’une autre série d’émeutes a éclaté entraînant incendies de maisons, destructions de biens et des blessés.
Comment consacrer le “contrat social”
Il est indéniable que l’évolution de la société et l’émergence de nouveaux problèmes liés à cette évolution nous contraindront sous peu de répondre à la question de savoir pourquoi des forums et d’autres réunions coûteuses et harassantes sont organisés par les pouvoirs publics lorsque le contenu peut et doit être le ‘’menu’’ normal, voir banal, de l’Assemblée populaire nationale. Il en est ainsi de ces fameuses rencontres gouvernement-wali, ou bien encore des auditions des ministres par le président tout au long des soirées de Ramadan. Les commissions parlementaires spécialisées et la plénière, lorsque la session arrive à échéance ou lorsque la nécessité se fait sentir, sont censées prendre en charge l’ensemble des questions et des problèmes qui se posent à la collectivités dans tous les secteurs d’activité.
Ces procédures qui consistent à mettre directement en contact les décideurs et les agents d’exécution, même si elles sont nourries de la bonne foi et du souci de faire avancer les choses, n’en comportent pas moins un style et une méthode dépassés par le temps. La cohérence, le souci d’efficacité et la gestion démocratique des grands dossiers de la Nation ne peuvent faire l’économie d’une mise en conformité des grands principes constitutionnels-issus des efforts graduels de la démocratisation de la société avec l’ossature institutionnelle mise en place.
C’est incontestablement de cette manière que l’un des attributs essentiels de l’alternance au pouvoir peut jouer son rôle d’une manière efficiente.
Pour ces raisons et pour bien d’autres encore plus saillantes, les citoyens-électeurs accordent difficilement du crédit à cette noble institution qu’est l’Assemblée populaire nationale. Cette confiance est d’autant plus frêle et vacillante qu’elle ne se voit pas confortée par un quelconque bilan des législatures passées. La logique voudrait qu’on accorde sa confiance à l’institution d’abord avant de l’accorder aux partis se proposant à y siéger.
Et il semble que sur ce point, la non-prise en charge complète des prérogatives constitutionnelles de l’Assemblée par les élus qui la composent et le déficit en communication qui jette un voile sur les bilans de la législature ne sont pas faits pour rassurer complètement les citoyens/électeurs sur le rôle et l’efficacité de l’APN, supposée être la pierre angulaire de l’édifice institutionnel du pays.
Amar Naït Messaoud
