»Jusqu’à l’âge de quinze ans, la Kabylie était mon seul univers »

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La Dépêche de Kabylie : Ali Amran est parmi les rares jeunes artistes à s’être imposé sur la scène artistique kabyle au bout de deux albums. Qui est Ali Amran ?

Ali Amran : Je suis auteur-compositeur interprète de chansons. J’ai commencé à me produire en public à l’université de Tizi-Ouzou quand j’étais étudiant. J’ai aussi touché un peu au théâtre et au cinéma. Après l’obtention d’une licence d’anglais, j’ai enseigné quelques mois dans un lycée avant de reprendre des études de magistère en langue et culture amazighes, tout en continuant à faire de la musique en parallèle. En 1998, au moment de préparer ma thèse, et ce, après avoir bouclé le cycle théorique, j’ai tout laissé tomber pour me consacrer entièrement à la chanson. J’ai enregistré l’album Amsebrid et j’ai formé un groupe pour faire des concerts. Devant le manque criant de moyens et d’occasions pour jouer, j’ai arrêté le projet pour partir à l’étranger. Actuellement, je vis entre la Finlande, Paris et la Kabylie.

Avant que vous vous lanciez dans la chanson, vous étiez aussi parolier. On raconte que vous avez composé des chansons pour Rabah Lani, comment se fait-il que vous chantiez après, un autre style que celui de Lani ?

Effectivement, j’ai écrit les paroles et composé la musique de certaines chansons de Rabah Lani, comme par exemple Tamurt n urag’u, Ayen id-yeqqimen… J’ai écrit cette dernière, notamment, après la sortie de l’album Xali Sliman ; ce qui veut dire que j’avais déjà mon style en tant que chanteur. Je pense que j’ai cette capacité d’adaptation à des univers musicaux différents, et puis je connais bien la chanson kabyle.

Pourquoi avoir opté pour ce style ?

Parce que ce style de musique permet à la chanson kabyle d’être écoutée non seulement par les Kabyles mais aussi par un public plus large qui ne la connaît pas spécialement. C’est une façon de la rendre accessible à de nouvelles oreilles, d’élargir son public et de la renouveler pour être en phase avec notre temps.

Un album dédié exclusivement à la musique moderne, dans le sens où votre album, Xali Sliman, est un mélange de sonorités rock… et votre deuxième est réalisé sur la base d’une musique douce et sentimentale, pourquoi et dans quel objectif ?

En tant que chanteur, j’ai toujours fait de la musique moderne à consonance rock. C’est un travail de longue haleine qui demande des ajustements à chaque nouvelle étape pour arriver à l’équilibre recherché : faire du gros son mais sans étouffer la mélodie qui reste la principale caractéristique de la chanson kabyle. Je pense qu’avec Akk’i d amur, je suis arrivé à cet équilibre qui fait qu’une chanson peut être écoutée et appréciée par un auditeur de chez nous qui ne connaît pas la musique rock autant que par quelqu’un d’ailleurs, qui ne connaît pas la musique kabyle. Il faut dire aussi qu’en ce qui concerne Akk’i d amur, j’ai eu la chance de travailler avec Chris Birkett, un grand producteur-ingénieur du son et musicien anglais qui a su donner une couleur et un son uniques à cet album.

La Kabylie occupe une place prépondérante dans vos textes, pourquoi cette référence à cette région ?

C’est le contraire qui aurait été étonnant vu que je chante en kabyle et que je suis né et j’ai grandi dans cette région ! D’ailleurs, jusqu’à l’âge de quatorze, quinze ans, la Kabylie était mon seul univers.

Vous avez interprété une superbe chanson de Assam Mouloud, Ay Aqlalas, ensuite, vous avez repris la chanson Tabalizt de Hsissen, Rray Ulac de Ccix A3rab, pourquoi ces reprises ?

Parce qu’elles s’insèrent parfaitement dans la thématique de l’album, ce qui m’a donné l’occasion, à travers ces deux artistes, de rendre hommage à cette première génération de chanteurs de l’émigration et de faire le lien entre la chanson kabyle ancienne et celle d’aujourd’hui. Il y a aussi un côté pédagogique dans l’affaire : ce ne sont pas les chansons qui font le style, mais la manière de les arranger et de les interpréter.

Selon vous, une reprise d’anciennes chansons ne freine-t-elle pas l’évolution de la chanson kabyle ?

Il y a reprise et reprise ! Si on reprend une chanson pour lui donner une dimension nouvelle en apportant des arrangements différents, une interprétation…cela peut être positif. Si par contre, on la reprend juste dans l’espoir de se faire connaître parce que la chanson est elle-même connue, je trouve que cela n’a aucun intérêt artistique. La reprise, en elle-même, ne freine pas l’évolution de la chanson ; c’est le manque de créativité et de structures de production professionnelles qui la freine et qui, dans la logique du cercle vicieux, favorise la reprise.

Vous avez chanté et vous chantez toujours un peu partout dans le monde, quel accueil réserve-t-on à notre chanson ?

Je pense qu’on ne peut pas vraiment parler « d’une chanson kabyle ». Il y a plusieurs chansons kabyles et j’imagine qu’il y a des genres qui sont mieux reçus que d’autres. Personnellement, je suis plutôt bien reçu par le public dans les concerts que je donne, c’est peut-être parce que ma musique parle aux gens même s’ils ne comprennent pas les paroles.

Votre nouvel album, Akk’id amur est sur les étals depuis quelques jours, parlez-nous de cet album ?

Akk’id amur est mon troisième album. J’ai commencé à travailler dessus depuis déjà quelques années et je suis très satisfait du résultat final. Je pense que c’est un album qui apporte du nouveau à la chanson kabyle sur plusieurs plans. Sur le plan thématique, il y a une unité en ce sens qu’il y a un sujet principal autour duquel tournent toutes les chansons. C’est le thème de l’émigration ou du voyage dans tout ce qu’il comporte comme errance, exil, difficultés à trouver sa place dans les pays d’accueil, questionnements sur l’identité…, mais aussi espoir d’une vie meilleure sous d’autres cieux. Sur le plan musical, il apporte un son nouveau au niveau de ce qui se fait à l’échelle internationale. Même sur le plan de la présentation, nous avons fait, avec les éditions Izem, un travail de qualité qui est une première en Algérie. Nous avons en effet conçu une pochette à trois volets avec un livret qui contient tous les textes des chansons, des photos et des informations sur les musiciens qui ont joué dans l’album. C’est un signe de respect par rapport à l’art et à la chanson, ainsi que par rapport au public qui mérite un produit de qualité dont il peut être fier. C’est aussi une preuve que la chanson kabyle n’est pas condamnée à la médiocrité.

Vous avez travaillé avec de grands musiciens tels que Chris Birkett, qui a participé, par ailleurs à la réalisation de l’album. Comment est venue l’idée d’associer des musiciens de renom à ce travail ?

J’imagine que tous les chanteurs veulent travailler avec des musiciens et autres professionnels de renom, mais ces derniers ne travaillent pas avec le premier venu… En ce qui me concerne, vu le niveau et la qualité auxquels je voulais arriver avec cet album, je n’avais pas vraiment le choix ; il fallait que je travaille avec des professionnels qui ont le savoir-faire et l’expérience nécessaires pour atteindre mon but. Pour ce faire, j’ai d’abord travaillé à mon niveau en enregistrant toutes les chansons dans mon home studio. Puis, j’ai commencé à prendre contact avec les professionnels pour leur faire écouter le résultat et voir si cela les intéressait de collaborer avec moi. C’est ainsi que de grands noms comme Chris Birkett, Jean Philippe Rykiel et d’autres ont pris part à l’enregistrement.

Idir a aussi participé dans la chanson Ssfina, pourquoi Idir ?

Idir est l’un de nos plus grands artistes ! Il est notamment celui qui a réussi à sortir la chanson kabyle au-delà des frontières en la rendant accessible à un public qui ne comprend pas le kabyle. Aujourd’hui, il reste l’un des rares chanteurs kabyles, si ce n’est le seul, à avoir une place dans le milieu artistique en France. Sa participation dans Ssfina n’est pas venue par hasard ou de manière soudaine. On se connaît déjà depuis un bon moment et je le tiens au courant de ce que je fais, régulièrement. Ma première collaboration avec lui remonte à 2007 lorsque j’ai fait la première partie de son spectacle, la France des Couleurs, au Zénith de Paris.

Vous avez introduit beaucoup, d’instruments dans cet album, les sons sont tellement variés qu’on a l’impression d’écouter plusieurs genres musicaux, pourquoi le ‘oud, le ttar… ?

Il y a d’un côté, les instruments typiques de la musique kabyle traditionnelle tels que derbouka, abendayer, le ‘oud, mandole … et de l’autre, les guitares, basse, batterie qui sont des instruments de la musique occidentale moderne. Il y a aussi des instruments plus particuliers comme le didgeridoo qui est l’instrument des aborigènes et le bouzouki qui est plutôt méditerranéen. Le tout a consisté à trouver une façon intéressante d’utiliser tous ces instruments ensemble pour obtenir un son nouveau qui s’inscrit dans l’univers rock, en général, mais avec une certaine touche kabyle.

Vous avez repris deux de vos anciennes chansons, Huriya et Amesebrid, n’êtes-vous pas satisfait de l’ancienne version ?

Ces deux chansons aussi s’intègrent bien dans l’album, c’est pour cela que j’en ai profité pour les refaire. En plus, elles sont tellement belles que je voulais faire une production à leur hauteur.

Sinon, avez-vous des projets ?

Oui, éditer l’album à l’étranger vers la rentrée et faire des concerts.

Des galas en Kabylie ?

Effectivement, j’ai 4 dates en ce mois de juillet. Le 17 à Bgayet, le 18 à Tizi-Ouzou, le 19 à Tigzirt et le 23 à Maâtkas.

Un mot pour conclure ?

Je tiens d’abord à vous remercier pour l’entretien que vous m’accordez. Je veux également saluer le public qui a accueilli favorablement mon album et j’espère qu’il viendra nombreux aux concerts que je viens de vous annoncer.

Entretien réalisé par Mohamed Mouloudj

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