Les arts traditionnels ressuscités

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Devant la situation qui prévaut dans le pays où le marché de l’emploi est fermé, seules les idées comptent. Dans ce versant sud de la wilaya, les entreprises publiques, fleurons des années 1970-80, ont été toutes fermées si bien que pour vivre, il fallait trouver des substituts. Nombreux sont ceux qui ont investi dans de petits créneaux, mais finalement avec le temps, ils ont compris qu’ils sont très porteurs. Dans ce reportage que nous allons livrer à nos lecteurs, nous avons pénétré les secrets des uns et des autres qui n’ont pas caché leurs ambitions de nous parler de leurs activités ressuscitées alors qu’on les croyait disparues à jamais. La deuxième édition de la fête du couscous traditionnel nous a permis tout de même de rencontrer ces artisans, ces fabricants et ces potières. Le couscous traditionnel et ses dérivés devient le plat culinaire le plus apprécié des Algériens et même des étrangers. D’ailleurs, la fabrication de ce produit a pris un essor tel qu’on ne parle plus du couscous dit roulé “à la main” c’est-à-dire industriel. Dans ce versant sud de la wilaya, notamment à Frikat, pas moins d’une dizaine de petites boîtes sont ouvertes ici et là. La manière de fabriquer ce couscous est la même. En somme, on utilise encore le tamis. Ces fabricants recourent souvent à des femmes. On en citera certaines : Maison Frikat (Amrouz), Maison Diafi, Couscous Ahsène et bien d’autres que nous n’avons pu évoquer, car elles ne représentent pas vraiment grand-chose sur ce marché. Il faut dire que ce créneau bien initié par les hommes, toutefois, offre de l’emploi beaucoup plus aux femmes. “J’ai des femmes permanentes dans l’entreprise, mais je fais appel à d’autres qui roulent le couscous chez elles. La condition première que je leur pose est le respect des règles d’hygiène. Je n’aime pas que des clients me fassent des reproches”, nous a confié un fabricant de la région de Frikat. Même si cette localité est réputée pour le couscous plus à l’extrême sud de la wilaya, les sœurs Ahsène ont, elles aussi, leur mot à dire dans la fabrication de ce produit. “Ecoutez, même si l’on fait du couscous de très bonne qualité, il nous faut d’autres moyens, notamment un espace et des séchoirs, il ne faut pas oublier aussi le prix de la semoule dont la hausse très sensible freine quelque peu l’activité. Les pouvoirs publics doivent nous encourager”, nous a confié le frère des Sœurs Ahsène qui se démêne pour faire connaître leur couscous. “Tout compte dans ce métier, l’hygiène, la qualité, la finesse et même l’emballage. Lorsque par exemple vous avez un emballage de très bonne qualité, votre produit attire les clients”, a souligné cet interlocuteur. “Nous attendons toujours l’aide des autorités et de tous les autres partenaires pour valoriser ce produit”, a-t-il conclu. Avec tous ses artisans, Frikat devient la plaque tournante de ce produit.

La poterie n’est pas en reste

A Aïn Zaouia, nous avons appris qu’une petite entreprise de fabrication de la poterie traditionnelle fonctionne depuis une dizaine d’années. Outre les travailleurs permanents, cette petite fabrique forme des jeunes apprentis. Durant, dix-huit mois, ils apprennent vite le métier, constate un responsable au sein de cette entreprise. Si au niveau de cette dernière, un matériel moderne y a été introduit, dans les villages comme Hallil, dans la commune de Frikat, une mère de famille continue à fabriquer la poterie kabyle traditionnelle manuellement à l’instar de nos grands-mères. Et plus précisément, c’est la famille Yacoubi. Du simple plat en terre cuite en passant par les marmites jusqu’au chandelier (el mesvah), toute une gamme d’ustensiles originaux décorés de manière traditionnelle, cette femme aidée de sa sœur déploie d’immenses efforts pour subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leurs enfants, mais aussi pour inculper ce métier à d’autres jeunes filles du village. Rencontré dernièrement lors d’une exposition à Frikat, le jeune Mehdi Yacoubi nous a fait part de cette idée de revaloriser le travail de l’argile qui tend à disparaître de nos villages. “Tous les objets que vous voyez ici passent par les mains de ma mère et de khalti”, nous a-t-il fait savoir. A entendre Mehdi parler de sa maman et de sa tante, nous nous rappelons vite Fouroulou (dans Le Fils du pauvre), c’est-à-dire Mouloud Feraoun qui raconte la même histoire de la naissance d’une poterie et son ingéniosité dans la description de ce métier. “Nous ne commercialisons pas ces objets à grande echelle. Généralement c’est sur commande. Nous aurions aimé que la chambre des métiers et de l’artisanat nous aide pour développer plus cette activité”, a estimé Mehdi. Nos interlocuteurs à ce sujet souhaiteraient que le ministre de la Formation professionnelle introduise ce métier dans les CFPA. Les objets conçus par ces deux femmes gardent toujours leur originalité bien que d’autres produits de valeur réduite envahissent nos marchés. Il nous a été donné d’apprendre que non seulement ces ustensiles sont demandés par nos émigrés en vacances au bled, mais aussi par les jeunes mariées. “El mesvah occupe maintenant une place importante dans le trousseau de la mariée”, nous a lancé une visiteuse de passage devant ces objets dont les motifs nous rappellent les hiéroglyphes d’Egypte ou encore les nœuds de l’alphabet des Incas du Mexique. Pourtant c’est typiquement berbère. Une telle activité mérite un soutien des pouvoirs publics parce qu’elle peut résorber un important taux de chômage, mais aussi parce qu’elle constitue un pan considérable de notre culture.

Avernous (burnous), ahyek et les tisseuses…

Après la poterie, nombreuses sont les femmes qui ont repris le tissage, car elles jugent que c’est là un métier à revaloriser comme tant d’autres. Avec le chômage qui touche des familles entières, c’est un métier un retour aux traditions rentable. Dans ces villages de Kabylie, et plus précisément à M’kira, nombreuses sont ces tisseuses qui ne font pas de ces habits et de ces couvertures une activité lucrative, mais elles le font surtout pour sauvegarder azzeta (tissage de laine en kabyle). Le burnous occupe maintenant lui aussi une place dans nos fêtes. Le marié l’arbore même s’il porte un costume. Alors qu’ahayek (couverture en laine), garnit la garde-robe de la mariée, si bien que ces femmes considèrent que le travail de laine peut avoir sa place comme toutes les autres activités. Dans notre enquête dans les villages du sud de la wilaya, nous n’avons pas trouvé d’entreprises spécialisées dans cette fabrication, le tissage se fait au sein de certaines familles qui avaient déjà pratiqué cette activité à un moment ou à un autre. “Je tisse des burnous sur commande. Nos jeunes mariés préfèrent le porter ces derniers temps. C’est un plaisir quand je reçois une commande, j’aurais aimé que nos jeunes mariées portent elles aussi des burnous et non les robes blanches”, nous a confié avec une fierté de femme kabyle, Na Rosa. Et d’enchaîner : “J’ai deux filles à la maison, elles sont étudiantes, mais elles maîtrisent parfaitement ce métier. Elles préparent leurs trousseaux avec l’argent qu’elles gagnent en tissant des couvertures en laine.” Cette industrie peu développé dans la région se limite donc à l’autoconsommation (habits pour la famille) où parfois la femme aide son mari en raison notamment de la crise qui touche de nombreuses familles. Impossible de connaître avec précision le nombre d’articles fabriqués par telle ou telle tisseuse encore moins le prix de revient et la vente d’un article tissé en laine, le marché est conclu entre la tisseuse et le demandeur. Tout de même comme les autres activités, il faut penser au développement de ces petits métiers qui font vivre.

Plus au sud-ouest de la wilaya, la vannerie et la canne d’Ath Houalhadj font parler d’elles…

A Aït Yahia Moussa, dans son versant est au chef-lieu l’ex-Oued-Ksari, les vanniers sont de retour, corbeilles, paniers en osier plient sous leurs mains noueuses, ô combien porteuses de virilité. La canne d’Ath Houalhadj est connue partout. “Ces derniers temps, ce métier pourtant oublié durant des années fait nourrir des familles entières. Même ceux qui sont employés dans des bureaux, enseignants ou autres agents de l’administration fabriquent la canne”, explique un intervenant qui nous fait savoir que celui qui ne sait pas faire une canne n’a qu’à aller ailleurs. Dans cette région, dès les premiers mois d’été, les vanniers parcourent les maquis de la localité à la recherche des roseaux et de l’osier. “C’est un travail qui demande beaucoup de temps et de patience. On ne fait pas seulement ces corbeilles pour être utilisées en hiver (cueillettes des olives) et en été (cueillette des figues), mais aussi elle servent à d’autres usages, faire ses emplettes au marché par exemple. Pour les vendre, on ne trouve aucune difficulté. La demande devient de plus en plus importante. Les gens retournent aux sources ces derniers temps. C’est notre culture”, a expliqué un vannier décorateur du village Afir. Car, cet artisan s’occupe aussi d’objets de décoration même pour les grands salons et hôtels de luxe. A Aït Yahia Moussa, finalement, le travail du bois à retrouvé sa place. Un autre fabricant de canne Taâgazth Nath Oualhadj, nous a appris que cet objet typiquement kabyle de par sa forme car il diffère de celui des autres régions du pays, a été primé à plusieurs reprises dans des expositions même en dehors de la wilaya. Il a été reconnu comme métier par la chambre des métiers et de l’artisanat. N’est-il pas temps de trouver un moyen de faire de la transformation du bois une industrie qui peut créer des emplois dans la région ?

La forge de Da Mouh, un endroit à sauvegarder

L’échoppe du forgeron, le seul d’ailleurs activant à Draâ-El-Mizan, a son histoire. L’on se souvient que Da Mouh était au centre-ville jusqu’au début des années 1980. La forge a été transférée au quartier dit l’Abattoir, qui n’a pas eu au moins la chance de tendre le morceau de ferraille à Da Mouh pour recevoir le lendemain une hache ou une bêche scintillante ? Durant des années, Da Mouh est là dans une petite masure devant sa forge et son enclume à donner des coups ici et là pour remodeler une barre de fer. En dépit de sa vieillesse, ce forgeron atypique n’a jamais posé son marteau ou son ciseau ni encore moins oublié de mettre du charbon dans le four. Quand nous l’avons interrogé, il nous a simplement répondu : “C’est une histoire de famille. J’ai appris ce métier alors que je n’avais que quinze ans. C’est de père en fils, mais…” Ce “mais” a une grande signification pour Da Mouh en dépit de son âge avancé. “La forge, c’est mon deuxième domicile. C’est là que je me retrouve” a-t-il continué avant de nous expliciter ce “mais”. “Malheureusement, on ne trouve plus la relève. Combien reste-t-il de forgerons en Kabylie ? En tout cas, il n’y en a pas beaucoup”, s’est-il interrogé. Le vœu de Da Mouh est de recevoir dans son lieu de travail maintenant très développé de jeunes apprentis. “On entend parler de tous les autres métiers dans la formation professionnelle, mais pas de celui de forgeron”, a-t-il regretté. Durant plus de cinquante ans d’exercice, notre forgeron à tordu des tonnes de fer et d’acier tout juste pour obtenir des objets utilisés partout dans les champs et les forêts. Alors que d’autres souhaitent que le maréchal ferrant reprenne sa place dans nos marchés comme au bon vieux temps. Si ces métiers reprennent timidement leur place, c’est qu’il y a un besoin, il faudrait donc leur donner une place dans le cycle de la formation professionnelle car, faudra-t-il le souligner, la réussite de ce secteur dépend de ce qui est demandé sur le marché de l’emploi. Forgeron, potière et même potier, tisseuse, rouleuse de couscous et autres métiers artisanaux sont indispensables dans notre société dont la demande existe déjà.

Reportage réalisé par Amar Ouramdane

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