C’est le cas de plusieurs citoyens, qui pour la plupart ont de maigres revenus, dans le cas où ils ont la chance d’avoir un emploi ou ils sont carrément en disette, réduits à se rouler les pouces tout au long de la journée en attendant la nuit pour noyer leur mélancolie et leurs rêves foisonnants dans le sommeil. Et bien sûr pour se réveiller le lendemain, l’air hagard, le regard vitreux et les poches vides.
« Quoi ? Vous êtes en congé ?… Je n’ai même pas l’honorable chance de m’ennuyer, même à en mourir, à ne rien faire durant le congé… D’abord, faudrait-il que je trouve un soi-disant boulot et prétendre à ce congé qui vous ennuie tant », dira Mourad, un jeune universitaire en chômage depuis des années à Ferhat, son ami d’enfance qui venait passer une semaine de son congé au village.
Celui-ci travaille comme vendeur dans une superette pour un salaire mensuel de 10 000 DA pour une besogne qui dure en moyenne 10 à 12 heures / jour.
De nombreux jeunes se retrouvent, hélas, dans le cas de Mourad et de Omar. Il y a ceux qui ont le diplôme universitaire en poche, mais sont progressivement engloutis dans la routine du village, au fil des années, faute d’opportunité de trouver un emploi et, il y a ceux qui peinent à joindre les deux bouts ; entre la fin du mois et le début du suivant, ils ont recours souvent aux acomptes.
Ils se démènent sans cesse même dans leurs rêves, soumis aux tumultes de la vie quotidienne tellement ils se retrouvent dans la fameuse formule : « Il manque dix-neuf pour faire vingt », dans n’importe quel projet qu’ils entreprennent.
Que peut-on envisager avec 10 000 DA par mois ?
Remarquant notre présence, Mourad nous fait signe de le rejoindre et de lancer avec un brin d’ironie : « Je vous paye un café ? » Visiblement, ayant gros sur le cœur, notre interlocuteur semblait saisir l’occasion inouïe de se faire entendre à travers les colonnes d’un journal. « Si vous veniez à faire un article dans ce sens, dites qu’entre ceux qui vont à Sousse (Tunisie) et à Malte en congé et les spéculations sur les statistiques du taux du chômage et les pseudo-emplois créés dans les cadres multiples ces dernières années, il y a la réalité vécue au quotidien par de nombreux jeunes de l’Algérie profonde », dira-t-il avec désolation. La gorge nouée par une boule d’angoisse, il confie : « Heureusement que je n’ai pas retenu ma dulcinée, sinon elle se serait retrouvée dans l’infernale et interminable attente. Sans emploi, je n’oserai jamais m’aventurer à fonder un foyer. »
En effet, le taux de chômage ne cesse de prendre de l’ampleur au sein des populations, notamment les franges juvéniles. Plusieurs sources, pourtant officielles, donnent chacune son taux. Telle source avance le taux de 9%, telle 11% et telle autre 14%.
Quel que soit le chiffre, ce qui est sûr, c’est qu’il englobe en majorité des jeunes appartenant aux couches les plus défavorisées de la société.
Ceux éjectés par le système scolaire, qui, avec le temps, s’habituent au bricolage, en exerçant de multiples travaux de débrouille et ceux universitaires, diplômes en poche, voyant leurs rêves et leurs désirs briser dans les dédales du temps, qui file à vive allure. En proie aux vicissitudes de la vie et à la morale sociale, tout se transforme à leurs yeux en chimères. Du jour au lendemain, leur rêve, tant caressé, de mener une vie paisible se volatilise et nombreux parmi eux qui finissent par avoir l’égo émoussé par l’ironie et le sarcasme auquel ils font face au quotidien. « Prétendre à une vie décente pour moi, c’est simplement avoir droit à un travail décent et rémunéré selon l’effort consenti, avoir un toit pour fonder un foyer », ajoute notre interlocuteur et « d’ailleurs, cela prémunit même contre plusieurs maux », enchaînera-t-il.
Il est vrai que le chômage est un boulet qui induit de multiples privations, dans la mesure où l’on ne peut prétendre à un semblant d’autonomie, ni même envisager de réaliser quoi que ce soit… Prendre un congé ou des vacances n’est qu’un vœu pieux. C’est que nombre de ces jeunes n’ont pas la possibilité et les moyens inhérents pour passer des moments de farniente et de bronzette. Ce pour quoi ils optent pour la destination chimérique du virtuel.
Ahmed Kessi