Entre hier et aujourd’hui

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Un mois à l’origine conçu pour que l’être humain en bon musulman réapprenne les bonnes manières et se remettre dans le bon chemin pour être en conformité avec les recommandations de notre religion, et ce en se, consacrant un mois durant à une pratique, religieuse intense faite de prière, de piété et de solidarité. L’Aïd viendra tel une cerise sur le gâteau faisant du coup la joie et le bonheur du devoir accompli chez les adultes comme chez les plus petits qui l’attendent déjà depuis des jours avec impatience et engouement. L’Aïd, une fête religieuse qui fait le bonheur de tous les musulmans du monde en général et des Kabyles en particulier car en Kabylie, il constitue également une journée de solidarité, d’entraide, de partage et surtout de réconciliation. Les coutumes et les traditions relatives à cette fête le démontrent largement.

Malheureusement, nous constatons aujourd’hui, que les gens adoptent un autre comportement et s’éloignent petit à petit, des us dites anciennes donc non conformes à ce qui est appelé la modernité et le progrès. Enorme erreur ! Car dans nos traditions, il y’a de très bonnes choses que nous ne devons à aucun moment et à aucun prix abandonne car elles sont toujours d’actualité et peuvent nous servir encore aujourd’hui et demain si nous tenons à préserver notre identité, notre patrimoine, notre union et nos valeurs connues et reconnues à travers toute la planète.

L’Aïd des années 60

Pour en connaître la manière exacte dont est fêté l’Aïd nous avons jugé utile et préférable de prendre attache, avec Dda Mouh, un homme âgé d’une soixantaine d’années. A notre question, Dda Mouh scrute le ciel, se gratte la tête comme pour exciter et réveiller ses souvenirs d’enfant ; des minutes passent et Dda Mouh ne parle toujours pas. Dans ses yeux absents, nous devinons la mélancolie et la nostalgie de l’homme qui remonte le temps et son pénible parcours. Nous le comprenons et saisissons parfaitement ses regrets et sa décéption à la fin bien sûr de l’entretien que nous avons eu avec lui. Petit à petit Dda Mouh revient à lui et décide enfin de parler : “Inutile de vous dire que l’Aïd d’antan n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Dans le temps, l’Aïd était synonyme de joie, de partage et de réconciliation. L’Aïd de mon enfance avait un goût spécial, c’était l’extrême joie, le bonheur était indescriptible chez tous les citoyens et pourtant la pauvreté accablait tous les glas de la misère et du bonheur c’était la féerie de l’Aïd. Incroyable !”

La Dépêche de Kabylie : Dda Mouh voulez-vous avoir la gentillesse de nous parler des préparatifs ?

Dda Mouh : “Etant enfants notre grand souci c’était les effets vestimentaires et au village il n’y avait aucune boutique mais il y avait un seul couturier donc il fallait aller le voir deux semaines à l’avance, il prenait nos mesures et nous cousait des chemises et des pantalons, aujourd’hui encore je me demande comment à lui seul, il arrivait à satisfaire tous les enfants du village ? Un brave ! Dda Mbarek ! A la veille de l’Aïd, nous allons chez lui récupérer nos habits neufs, puis il fallait nous couper les cheveux, s’était généralement nos parents qui s’en occupaient, pendant la soirée c’est le traditionnel hénné. De bon matin, nos mères nous faisaient notre toilette, les vêtements enfilés à la hâte et les quelques sous en poche. Tous les enfants du village regroupés dans la placette du village, en route et à pied au marché des Ouadhias distant de 7 km en compagnie bien sûr de certains parents présents au village car la majorité sont sous d’autres cieux (France). Au marché c’était grandiose et merveilleux, les adultes font leur provision de viande, de fruits et de légumes car au village il n’y avait point de boucherie et d’épicerie. Il faut dire qu’on s’amusait beaucoup au marché et on le faisait pleinement car ce n’était, pas toujours qu’on avait l’occasion. Vers la mi-journée on remontait au village sans avoir oublié d’acheter des jouets et la fameuse petite boîte de sardines et un morceau de pain qu’on avalait en cours de route. Une fois à la maison, on aidait nos parents à décharger les ânes de leurs lourds fardeaux car chaque adulte était chargé de faire des commissions pour tout son voisinage dont les chefs de famille étaient absents. Le reste de la journée est fait de jeu où on comparait nos jouets et les mettons à l’essai. Au diner, c’était le régal de la viande cuite à la braise dont le goût et l’odeur me restent encore aujourd’hui à l’esprit. La viande d’autan était particulière et n’a rien de semblable à celle d’aujourd’hui, vous savez pourquoi. C’est au moment où nous allons dormir que nous mères passaient à l’action, le pain maison doit être pétri la veille et cuit de bon matin, à Tajmaït il faut réussir le meilleur pain maison possible”.

Le partage du pain

“Chaque adulte, chaque enfant et même les bébés doivent se rendre à Tajmaït de bon matin et chacun doit remettre au moins un pain aux sages du village qui se chargeront de partager et de répartir équitablement, le pain à tous les présents mais avant les vieux vérifiaient soigneusement que tous les villageois sont présents et si quelqu’un manquait à l’appel, on envoie le chercher et s’il ne vient pas, ce sont les vieux qui effectueront le déplacement chez lui pour le rappeler à l’ordre. A la Djemaâ, la présence de tous est obligatoire nous allons savoir pourquoi. Des que tout le monde est réuni, on procède au partage de tamtount d’une manière à avoir surtout tamtount des autres familles c’est ce qu’on appelle “Tagoula d El Melh” le pain et le sel pour lier et consolider les relations. A la fin de la répartition, on lit la fatiha et on finit par des embrassades et des saha aïdkoum. Si par malheur il y’a des fâchés et des gens qui ne se parlent pas, ils sont sommés de se réconcilier et c’est pour cela que la présence de tous était obligatoire. Quelle manière de régler les différents, il n’est pas besoin d’aller devant les tribunaux, les vieux du village s’occupaient de régler les litiges et de réconcilier les citoyens entre eux même pendant le jour de l’Aïd, une traditions digne d’être retenue et d’être pratiquée même de nos jours, plutôt surtout de nos jours. Et enfin, selon toujours l’honorable Dda Mouh, vient l’heure de rendre visite aux proches, aux relations et aux amis. Bien sûr, même les morts ne sont pas oubliés et on leur envoie leur part par le biais des démunis qu’on gratifie de bon repas destinés aux âmes de l’au-delà. Rien et personne n’est oublié. A l’occasion de l’Aïd et lorsque les années sont bonnes on organise Timechret, c’est justement le cas même cette année au village de Tighilt Mahmoud dans la commune de Souk El Tenine, un village qui continue de perpétuer cette tradition ancestrale”.

Timechret à Tighilt Mahmoud

Tighilt Mahmoud est un village d’à peu près 3500 habitants, dans la commune de Souk El Tenine. Un village structuré et organisé d’une manière magistrale et comment ? Puisque les membres du comité de village… ménagent aucun effort non seulement pour améliorer le cadre de vie au dit hameau mais aussi pour perpétuer les traditions et les coutumes que nous ont légué nos aïeux… pour preuve, Timechret est organisée chaque année à l’occasion surtout de l’Aïd El Fitre. Pendant que presque la totalité des villages voisins s’écartent et s’éloignent des us et des mœurs anciennes, les paisibles villageois de Tighilt Mahmoud continuent sans relâche de préserver notre patrimoine et nos bonnes pratiques venues du fin fond de notre longue histoire. En effet, les préparatifs de Timechret commencent bien avant le jour J, des réunions sous l’égide du comité de village, se tiennent et on procède à la collecte des dons. A préciser que les citoyens sont libres et ne sont soumis à aucune imposition ! Les pauvres et les démunis ne sont pas tenus de participer au don et leur droit à leur part au même titre que les plus aisés est sauvegardé, c’est d’ailleurs l’essence même de Timechret. N’oublions pas que les émigrés participent avec des sommes conséquentes destinées à Timechret mais aussi à entretenir les nécessiteux du village. Quelle belle intention ! Ainsi, grâce à l’argent collecté, 7 taureaux sont achetés et acheminés vers Amdoun, la placette du village où les villageois sont réunis dans une ambiance festive et bon enfant. Des bouchers de Mechtras sont conviés pour procéder à l’abattage des bêtes. Au su et au vu de tous les habitants et sous les “houga” des enfants qui extériorisaient leur joie et leur bonheur. Illico presto, les bêtes égorgées, dépouillées et pesées, puis on passe au partage et établit des lots (toun : + 8 kg). Au petit matin, les représentants des quartiers (idermen) s’attelleront à leur tour à servir les lots aux chefs de famille selon des normes équitables et égalitaires. Et comment ? puisque Dda Ahcène Amani, un mathématicien averti s’en est occupé avec des calculs minutieux. Signalons au passage que tous les citoyens faisant parti du territoire du village, tous les invités et toute la diaspora vivant à l’extérieur du village sont invités à récupérer leur quota dans une organisation parfaite et légendaire des Kabyles.

La finalité de Timechret

Timechret : une tradition ancestrale propre aux Kabyles constitue une preuve irrévocable de la solidarité, de l’osmose et de réconciliation entre les citoyens du même village. A ce propos, M. Amani, un membre actif du comité du village dira : “Timechret sert d’abord à maintenir nos anciennes traditions et à préserver notre patrimoine riche en valeur humaine et puis elle sert aussi à consolider les liens entre les villageois et à réconcilier également ceux qui ont des différends car Timechret finit toujours par des embrassades et des saha aidkoum, sans oublier évidemment la joie que cela procure surtout aux plus petits et aux pauvres qui pourront manger de la viande sans avoir à s’inquiéter des frais et des dépenses surtout en ces temps de vaches maigres”. M. Chebiri Rabah, un autre membre du comité a ajouté que “c’est une satisfaction totale de voir tous nos citoyens réunis pour un même objectif. Cela favorisera l’entente, la compréhension et l’union au sein de notre village. Loin de toute superstition, Timechret protégera notre village et nous permettra d’aller de l’avant. N’oublions pas aussi que Timechret instaure une égalité entre les riches et les pauvres au moins pour un jour car nous aurons tous droit au même repas”. Par la mobilisation de tout un chacun, le village de Tighilt Mahmoud a réussi là où les autres villages se plantent, il faut dire que nous avons assisté à une fête de l’Aïd qui nous a renvoyé aux années phares de la Kabylie où l’entraide, la solidarité et l’amour de son prochain régnaient en maîtres. L’exemple de Tighilt Mahmoud est à méditer et à imiter si nous voulons vraiment retrouver nos qualités, nos valeurs et notre identité véritable. Il est tout à fait établi et légitime d’évoluer et d’avancer mais cela ne doit pas se faire en détriment de nos bonnes coutumes qu’il faut vaille que vaille maintenir et améliorer et sauvegarder s’il y a lieu.

L’Aïd d’aujourd’hui

Que dire de l’Aïd des temps présents ? Sinon que la joie et le bonheur ont sensiblement diminué ! Et comment ! puisque le coût de la vie a considérablement augmenté créant une paupérisation généralisée.

Comment faire la fête, alors que les poches sont vides ? La joie et le bonheur ne font jamais long ménager avec le dénuement et la misère surtout lorsque la solidarité, l’union, le partage et l’entraide ne sont pas au rendez-vous. N’empêche les parents s’usent à trouver des solutions de rechange pour offrir à leur progéniture un semblant de joie. Dans tous les cas, l’Aïd de cette année 2009 est de loin l’Aïd le moins joyeux surtout chez les adultes qui ont fait face aux dépenses relatives au Ramadhan avec la légendaire et éprouvante flambée des prix de la totalité des produits de large consommation, puis vint la rentrée scolaire avec ses dépenses et enfin l’Aïd.

Cet autre invité pourtant attendu mais hélas, les portefeuilles sont trop légers faisant voler en éclat le bonheur chez surtout les plus modestes. Les bonnes habitudes ancestrales telles que la Rahma, la solidarité, Timechret et le partage du pain sont renvoyés aux callendes greques. D’autres comportements sont adoptés, un autre mode de vie est apprivoisé. Timechret est remplacé par la boucherie favorisant l’augmentation du prix de la viande avec os qui a atteint 750 DA le kilo. Le partage du pain “tamtount” a laissé la place aux différents gâteaux et aux différentes sucreries préparés par les ménagères à des prix aggravant et affectant sérieusement les bourses.

Certes, les enfants continuent à tirer un peu de joie et à se distraire mais si jamais ils apprennent à quel prix et dans quelle situation, ils mettent leurs parents, je suis sûr qu’ils y renonceront. L’Aïd conçu pour procurer de la satisfaction, de la liesse chez les enfants comme chez les jeûneurs constitue aujourd’hui surtout chez ces derniers, une rude épreuve et un casse-tête de plus. Dans tous les cas et en attendant le meilleur, bonne fête de l’Aïd à tous les Kabyles et à tous les musulmans !

Hocine Taïb

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