Discret, H’mmu Kemous, chanteur, poète et calligraphe amazigho-belge, originaire d’Igoulmimen au sud-est de Tamazgha occidentale, trace son chemin sans grand bruit. Très attentif à la qualité plutôt qu’à la quantité, il continue en permanence à élargir la palette de ses talents. Portrait d’un artiste rebelle à toute forme d’oppression.
Pionnier
« Un cœur en sucre d’orge ». La sexagénaire belge venue assister le 23 mai 2008 au concert donné par H’mmu Kemous à Bruxelles a ainsi qualifié cet artiste berbère. Cheveux en bataille. Une guitare en bandoulière. L’artiste avait traité ce soir là des loups (Uccan) qui gouvernent la terre amazighe, de la trahison, de la liberté, de la berbérité, sans oublier l’amour. Accompagné par Filip et Evy, il participait bénévolement à une fête organisée à l’occasion du passage à Bruxelles de « La caravane amoureuse ». « J’aurai aimé comprendre les paroles de ses chansons », me dit-elle, un peu éméchée. H’mmu, cet artiste né trois fois à la fin des années 60, n’est autre que le leader du groupe « Times ». Son parcours artistique est hors du commun. Il est en effet le pionnier de la chanson amazighe contestataire et moderne au Sud-est de Tamazgha occidentale qu’il a fini par quitter pour vivre à Bruxelles. Cet artiste singulier perpétue toujours, en chantant, son combat pour la liberté, l’amazighité et la laïcité.
Oppression
H’mmu Kemous est un écorché vif. Un révolté. Il a connu la prison, l’oppression et les tracasseries policières alors qu’il n’était que lycéen. Il avait 17 ans lorsque tout a commencé. H’mmu, qui échangeait des lettres et des cassettes avec des amis de Kabylie, a été arrêté par la police marocaine et accusé de « détention d’armes ». Au début des années 80, il était très risqué de défendre son amazighité. La Kabylie venait de vomir sa colère sur la mafia politico-financière au pouvoir à Alger, alors que les blessures d’Igoulmimen et de tout le grand Tafilalt saignaient encore sous la dictature d’Hassan II. La cadence de la répression s’était accélérée à l’époque et happait les espoirs des rares militants qui pouvaient se revendiquer comme berbéristes. La revue « Amazigh » a été interdite et Ali Azaykou mis en prison. De son côté, Boujemâa Hebbaz a été enlevé à Rabat pour ne jamais réapparaître. C’est dans ce contexte marqué par la tension et la peur que H’mmu a été interpellé au lycée Ghris [1] par des gendarmes. Placé plus de six mois sous surveillance des services secrets (DST), tout le courrier qu’il recevait de Kabylie était lu et épié. L’adolescent traqué partout à cause de son engagement en faveur de la culture amazighe était interdit de quitter son village même pour aller au lycée. Il a fini par abandonner ses études sans toutefois baisser les bras. Quelques années plus tard, il a été interpellé une nouvelle fois à Casablanca où il poursuivait des cours de musique dans un conservatoire. Quelques jours après, me dit H’mmu, « le directeur m’a conseillé de ne plus revenir ». « A ce moment-là, j’avais senti la terre bruler sous mes pieds. Il fallait partir et loin ». Commence alors une longue période d’errance durant laquelle il a visité en auto-stop presque tous les pays de Tamazgha. Il découvrira alors le destin d’autres Berbères confrontés à des dictatures sanguinaires, ce qui le révolta et le marqua d’une trace indélébile.
Times
Avant de fonder le groupe « Times » à Bruxelles en 1992, les chansons de H’mmu circulaient sur casettes dans tous les villages du grand Tafilalt. Ce n’est qu’en 2000 que le groupe sort « Afrag », un CD de promotion de quatre chansons. Quelques années après, le groupe enregistre « Tiwizi », un hymne à la liberté et au peuple berbère. La poésie de H’mmu égrène les thèmes de l’exil, de l’amour et de la liberté. Ses poèmes, d’une grande beauté, sont également des appels à la révolte et au recouvrement de tous les droits du peuple amazigh. L’œuvre, un mélange de différents styles musicaux, dont le blues, le jazz, le slow, le rock et le soukous (style de musique dont l’origine est l’ancien Zaïre), est un véritable appel à l’éveil des consciences.
A. Yafelman
Source : www.tamazgha.fr
