La faillite sanglante d’un système

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C’est dans un climat d’euphorie que le Président Chadli Bendjedid va prendre, en février 1979, les commandes du pays. Il fixa un slogan pour le congrès du FLN dont il était le secrétaire général : “Pour une vie meilleure’’.

Les jeunes Algériens qui commençaient à voir s’assombrir leurs horizons avaient ironiquement donné suite à cette devise en en faisant une belle boutade – “Pour une vie meilleure, il faut aller ailleurs’’– qui va se confirmer vingt ans après par le moyen du phénomène “harraga’’. Pour avoir la paix sociale, dissuader toute forme d’opposition qui remettrait en cause le parti unique et se garantir des mandats successifs sans aucun contrôle, le pouvoir politique d’alors a créé une immense confusion entre la sphère politique et la sphère économique.

L’État, non seulement, encadre politiquement et administrativement le pays, mais aussi vend des chaussures chez Districh, des couvertures à la Cotitex, des téléviseurs à l’EDIED, des Mazda bâchées à la SNVI, des vélos, des poêles à mazout et des lentilles dans le souk el fellah. Cela a fini par créer des clientèles et des réseaux de corruption. Vu que toute initiative privée était brimée, sinon interdite (même les hammams et les salles de cinéma étaient nationalisés au début des années 1960), l’économie du pays évoluait sous le “label’’ de la pénurie.

L’État recrutait à tour de bras dans les entreprises publiques et dans les structures administratives. Il n’était pas regardant sur la dépense. C’est en comprenant la nature du régime politique et son assise économique bâtie exclusivement sur la distribution de la rente que l’on pourra saisir l’intention des autorités du pays de procéder à des réformes suite à l’impasse historique qui a grevé le processus de légitimation par la rente. Moins de vingt ans après l’Indépendance, la société commence à frétiller dans le sens d’une demande de démocratisation des institutions, de la libération des initiatives citoyennes, d’un mieux-être socioéconomique et d’une franche justice sociale.

Ce dernier concept – comme celui de la démocratie d’ailleurs (auquel on se pique de greffer des épithètes de “responsable’’, “populaire’’) – était pourtant chanté sur tous les toits de la République officielle et était inscrit dans tous les textes fondamentaux du pays. Mais, c’est connu à travers le monde, les régimes les plus décriés établissent les lois les plus enviées pour en faire table rase dans la réalité.

La révolte d’Octobre fait partie de ces impasses qui interpellent aussi bien le système politique que l’ensemble des acteurs de la société civile. Subodorant une manipulation sophistiquée à grande échelle, les élites kabyles avaient tout fait pour ne pas impliquer la Kabylie dans une aventure dont on ignorait les tenants et les aboutissants.

Mais cela n’empêcha pas que le célèbre chanteur Matoub Lounès fût mitraillé par un gendarme alors qu’il transportait dans sa voiture des tracts appelant au… calme !

Le “sang chaud’’ méditerranéen qui coule dans les veines des Algériens ne peut guère expliquer à lui seul la tendance à l’anarchie et à l’autodestruction. Face à l’opacité et au clientélisme qui caractérisent les actes d’intervention sociale de l’État et devant la fermeture des horizons pour des milliers de jeunes sans qualification ou diplômés chômeurs, toutes les raisons demeurent les bienvenues pour en faire un tisonnier de la contestation.

La réponse apportée par les autorités à la révolte d’Octobre par les réformes libérales et le multipartisme est vue par les observateurs de la scène algérienne comme une parade destinée à sauver le système. Les grandes interrogations qui ont taraudé l’esprit des Algériens dans ces moments tragiques ne cessent pas de réapparaître à chaque fois que l’État et ses institutions montrent encore des hésitations dans le processus de construction d’un pays moderne qui fait siennes les préoccupation de la bonne gouvernance, du développement économique et de la promotion de la justice.

Amar Naït Messaoud

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