La Toussaint libératrice et les Printemps contestataires

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“La d-nesmektay ldjil yettun/ghef udar asmi nzemed arkas/ mi yeftel i weâdaw seksu /nek ftel-agh-as ahlalas (nous rappelons aux amnésiques/ le jour où nous nous sommes engagés/ alors qu’il roulait le couscous à l’ennemi /nous, nous lui roulions le plomb”.

C’est cette dimension “sacrifice anonyme” que retient Ait Menguellet dans “Agu”. Le poète, cet autre témoin de son temps, suggère que seule la souvenance sans accommodement est à même de renforcer la mémoire et de susciter la fierté d’appartenir à un peuple qui a fait le fabuleux Novembre. Chaque année, l’Algérie, officielle, marque solennellement une halte, Planc Vert et Rouge en s’efforçant d’écraser une larme autorisée en souvenir du fabuleux baroud libérateur. Depuis le premier anniversaire et en y mettant la forme démagogique qui sied au pouvoir du moment, l’Algérie officielle se recueille sans vraiment méditer. Les grandes parenthèses de colères citoyennes, qui pratiquement chaque dix années haussent le ton démocratique, n’ont, jusque-là, pas réussi à réinventer la Toussaint. Plus d’un demi-siècle après le Premier Novembre 54, le papillon n’est toujours pas sorti de sa chrysalide. “Minute papillon, c’est encore trop tôt !”, stoppe-t-on net les aspirations du Congrès de la Soummam. Les irréductibles partisans des libertés – qui ne sont pas là où on le pense forcément- ne l’entendent pas de cette oreille. Sans crier gare, ils sortent dans la rue pour libérer le lépidoptère. Pour ce faire, le printemps semblait tout indiqué. Comme tous les élans de la générosité humaine, cela n’a pas été prémédité. Sur fond de “tamazight di lakul”, la Kabylie se mobilise pour donner vie au Printemps berbère. La protesta à la Belgrade venait d’être adoptée en terre d’Algérie, au grand dam d’un pouvoir sourd, muet et suffisant. L’université, la ville et le village étaient en symbiose avec les faiseurs de Novembre. La chrysalide est toujours là. Près de dix années plus loin, en 1988, Octobre ambitionnera de rattraper Novembre. Cette fois-ci, la rue sent la poudre, le sang a coulé. La chrysalide n’avait plus d’autre choix que de libérer le papillon. La “démocratie” est concédée à contre-cœur. Le pouvoir en place permet aux partis politiques d’exister. Ouf, une bouffée d’oxygène ! s’empressait de se féliciter l’algérien. Il ravalera tout de suite son enthousiasme : toujours myopes, les dirigeants politiques avaient aussi autorisé l’ennemi juré des libertés. Le papillon ne sortira pas. La vie même de la chrysalide était en danger. L’islamisme ne s’accommode de rien et de personne. Il s’en prend à tout ce qui flirte avec démocratie, république et liberté. Pieds et mains liés, le pays était livré au wahhabisme intégriste. A quelques cheveux de voir l’Etat kaboulisé, Novembre inspire encore une fois les citoyens. Femmes, intellectuels, syndicalistes, soldats, militaires…tous résistent. Les appétits moyenâgeux sont refoulés dans leurs terriers. La chrysalide est sauve. L’Etat est en position de force.

Maintenant, il pouvait rectifier le tir. Il n’en fera rien. Il joue au funambule.

La logique de l’équilibrisme maintient l’intégrisme en vie. Près de dix ans après Octobre 88, la Kabylie se (re)mobilise pour concocter une plateforme de revendications légitimée par le sang 123 martyrs du Printemps noir, un autre Printemps qui se réfère au premier Novembre. Mais, le papillon n’est toujours pas sorti. La chrysalide est toujours là. Dans dix ans peut-être…

T. Ould Amar

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