Le souvenir de la dernière minute cairote stresse davantage. L’arbitre se décide enfin à siffler la fin du supplice khartoumien. Ouf ! C’est la délivrance. Bouira rugit de joie. Ne pouvant être contenue entre quatre murs, l’exultation prend la porte et envahit la rue. Jamais de mémoire d’homme un événement n’avait fait sortir autant de monde et autant de mécaniques. Femmes, bébés, vieux, vieilles, jeunes, moto, tracteur camion… Même les quadrupèdes ont émis leur joie. Oui, le cheval était de la partie ! A vingt-heures trente minutes, nous nous trouvons encore à la sortie ouest de Bouira. Rejoindre le centre-ville en véhicule n’était pas chose facile. Les quatre roues avançaient à pas d’escargot. Arrivés au environs de l’ancien hôpital de Bouira, même le pas d’escargot ne tenait pas la route. Nous y resterons coincés pendant une bonne demi-heure, un temps que nous ne sentirons pas passer, absorbés que nous étions par la liesse qui nous cernait. Nous chargeons notre numérique pour immortaliser ces instants de bonheur échappant à tout contrôle. Notre appareil ne sait où donner du “flash” : tout était sublime.
Un jeune s’approche de la vitre et nous dit sur fond d’un sourire : « qul, anta masri (dis, t’es un Egyptien)? » Comment ça ? En fait, le jeune fêtard nous reprochait de n’avoir pas de drapeau. « Mettez au moins les feux de détresse ! », nous suggérait-il. Une demi-heure plus loin, nous atteignons Pont Sayeh. Le tout Bouira y converge pour longer le nouveau boulevard. C’est pare-chocs contre par-chocs que les automobiles font semblant d’avancer. La côte n’arrange guère les choses. Et toc, une noria de véhicules sillonne la ville ! Dans d’autres circonstances, les automobilistes en arriveraient aux mains, sinon, au moins au “constat’’. Rien de cela : les deux conducteurs s’échangent des sourires. « Makan walou ya kho (pas grave l’ami)! », s’interpellent les auto tamponneurs. Vingt-deux heures passées, nous sommes toujours pris en otage par la liesse au niveau du Pont Sayeh. Les plaquettes de freins polluent l’atmosphère. Pendant que nous attendions que le cortège avance de quelques mètres, un…dromadaire fait son apparition. Par un curieux effet d’entraînement et de suggestion, l’image de ce quadrupède nous renvoie aux pyramides. Impossible de bouger. Nous tirons le frein à main, éteignons le moteur et allons au contact du bonheur grandeur nature. Entre deux automobiles, des jeunes hommes habillés de robe kabyle rythment leur danse à la cadence d’un tube égyptien revisité. Les dames qui assistaient au spectacle insolite n’en croyaient pas leurs yeux. Elles semblaient en admiratifs devant ces déhanchements qu’elles arroseront de youyous perçants à réveiller les… momies. Nous atteignons tant bien que mal le boulevard Zighout-Youcef. Toutes les familles de la cité Drâa El Bordj y déversent leur joie. Le spectacle qu’offre le boulevard se passe de tout commentaire. Il est tout simplement sublime. Le bonheur défilera ainsi jusqu’à Harkat. Il est onze heures passé. Reprendre le chemin du retour est impossible, avant le lendemain matin. Il fallait contourner Bouira via les Allemands pour espérer rejoindre notre point de départ dans les meilleurs délais. Le lendemain, et même mal réveillés, les Bouiris reprennent le chemin de « djazaïr ya mma ! », une Djazaïr qu’aucun discours politique n’a réussi à inventer. « Seul le peuple… », disait Matoub.
Salas O. A.