»L’arrêt de renvoi a subi un lifting »

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Le tribunal criminel près la cour de Blida entame son 43e jour dans le procès de l’affaire Khalifa, ouvert depuis le 8 janvier dernier. Au cours de sa plaidoirie en faveur de l’accusé Laoudj Boualem, ancien directeur des affaires juridiques et du contentieux à la banque Khalifa, maître Fetta Sadat a développé un point de vue d’une extrême lucidité. Tout simplement, elle a dit tout haut, sans fioritures, ce que la rue algérienne ressasse sans cesse. Voici le film de la plaidoirie. L’avocate entame son intervention en disant que 5% de la population s’est appropriée 42% des richesses nationales. D’emblée, elle dit que le peuple algérien est avide de connaître “toute la vérité”. «On veut savoir si les accusés cités dans cette affaire sont les seuls auteurs de cette gabegie? A qui veut -t-on faire croire que ce sont seulement ces personnes qui ont été derrière cette hémorragie des deniers de l’Etat et du peuple ?», s’interroge -telle et d’ajouter, avec beaucoup de serenité, “l’arrêt de renvoi a subi un lifting, nettoyé des personnes qui pourraient déranger. La rue algérienne, madame la présidente, murmure des noms qui dérangent». Me Sadat soutient que le rôle du tribunal est de faire éclater le vérité quel que soit les responsables ayant joué un rôle quelconque dans cette affaire. «Je suis triste pour le peuple algérien, car on lui a toujours caché la vérité», déplore-t-elle. Pour etayer ses propos, l’avocate se demande si l’opinion publique connaît la vérité sur les fomenteurs des évènements tragiques du 5 octobre 1988 et l’identité des commanditaires des événements ayant ensanglanté la Kabylie en 2001. «Ils (les manifestants) ont été tirés comme de vulgaires lapins», rappelle-t-elle devant une assistance attentive écoutant dans un silence religieux. Elle ne tarde pas à répondre à ces interrogations : «ce n’est pas la cas malheureusement pour le peuple», lâche-t-elle avant d’indiquer que l’opinion n’a jamais eu connaissance des différentes commissions d’enquête installées par les pouvoirs publics. Me Sadat affirme le peuple attend toujours la vérité sur ces multiples événements. L’affaire Khalifa, qualifiée de colossale, ne doit pas être réduite à ces insignifiants faits tels que les cartes thalasso. «Il y a de quoi se poser des questions», s’exclame-elle.

Cour suprême et chambre d’accusation au banc des accusés !

Revenant au cas de son client, l’avocate relève que Laoudj était celui par qui l’affaire Khalifa a éclaté. Elle ne peut s’empêcher d’exprimer son étonnement devant l’accusation portée contre son mandant, à savoir la non-dénonciation de crime. Tentant de démonter les mêmes charges, elle part en guerre contre la Cour suprême et la chambre d’accusation, précisant que cette dernière s’est limitée uniquement à conforter le raisonnement « simpliste » du juge instructeur. Elle n’a pas, également, épargné l’arrêt de renvoi de ses critiques, en estimant que celui-ci n’est pas un modèle à enseigner aux étudiants de troisième année de droit. «La loi dit que la Cour suprême unifie la jurisprudence. Or, en matière de règles juridiques, celles-ci ont été allègrement bafouées et d’une manière dangereuse par la Cour suprême, laquelle a violé même la Constitution», fait-elle remarquer. Elle dit qu’il est inacceptable que la Cour suprême contredise la loi, au moment où le législateur lui donne le délai d’un mois pour formuler un mémorandum pour le pourvoi en cassation. Me Sadat qualifie de «dangereuse» la décision de la Cour suprême, pleine de carences, dans la mesure où celle-ci s’est echinée, pour l’envoi de l’arrêt de renvoi vers la cour criminelle de Blida. Plus loin, elle ne résiste pas à la tentation d’exprimer son doute sur l’exemplarité de l’arrêt de renvoi. «Ce n’est pas trop exagéré. J’ai été interdite, pour des raisons mystérieuses, de donner les moyens de ma défense», lance-t-elle à l’adresse de Mme Brahimi. Me Sadat rappelle, ensuite pour convaincre le tribunal, les différentes réalisations de son mandant lors de ses fonctions au sein de la banque Khalifa. Elle note que Laoudj était celui qui, aussi, avait réussi à recouvrir 296 millions DA de créances, la conclusion de deux conventions d’hypothèque pour un crédit sans documents de 26 milliards de centimes au profit de Nordine Ounissi et la mesure de saisie, de mesure conservatoire sur 3 ATR (petits avions) de Khalifa Airways au profit de la banque du même nom. Elle cite aussi le nantissement, effectué par son client des biens mobiliers pour la même banque et la provocation de l’assemblée générale des actionnaires de la banque Khalifa en mars 2003 et l’arrestation, suite à son alerte, des trois personnes appréhendées par la Police des frontières (PAF) en possession d’une mallette contenant 2 millions d’euros. «Même mon client a été félicité par l’avocat de la partie civile et le procureur général pour avoir mis un terme aux agissements de la banque Khalifa.», note-t-elle. Selon l’avocate, ces faits prouvent que son mandant a tout fait pour sauvegarder les deniers de l’Etat et des déposants. Me Sadat estime que les hautes autorités de l’Etat n’ont pas réagi, en rappellant les témoignages pathétiques du ministre des Finances, Mourad Medelci, et du secrétaire général de L’UGTA, Sidi Saïd. L’avocate, toujours perspicace, s’interroge si la justice,n’est pas à double vitesse. Sur ce, elle réitère que l’arrêt de renvoi a subi un lifting avec cette remarque : «Espérons que la rue ne gronde pas comme cela a été le cas en 1988.» Me Sadat revient sur les conditions du dépôt de plainte le 28 mai 2003 contre la banque Khalifa, laquelle s’est vue retirer son agrément, un an après, soit le 29 du même mois. Elle estime que son client avait remis tous les dossiers et les documents de la banque le 2 juin avant de partir en congé. Elle souligne que Laoudj n’avait pas l’intention de dissimuler le crime. En réclamant la relaxe de son mandant, l’avocate laisse échapper des larmes d’émotion en évoquant la mémoire de son père moudjahid. L’intervention de maître Sadat lui a valu des applaudissements nourris au fond de la salle d’audience.

« L’administration ingrate est une mangeuse d’hommes »

Auparavant, maître Ouali Laceb, plaidant la cause de l’accusé Sahbi Daoud, PDG de l’ENAFOR, filiale de SONATRACH, souligne, pour sa part, qu’il se trouve devant un arrêt de renvoi vide. Il rappelle que c’était les autorités algériennes qui avaient fait que la banque Khalifa ait pu exister. «Nous sommes devant une ineptie juridique. Celui qui devait être accusé se trouve témoin», dit-il dans une allusion à Sidi Saïd, patron de l’UGTA. «Je ne sais pas ce que mon client a fait pour se retrouver ici. Les dépôts ont été effectués dans le cadre de la loi 1988», estime-t-il. Au sujet de la carte de gratuité sur les lignes de Khalifa Airways, l’avocat soutient que l’ancien P-dg de l’ENAFOR ne savait pas qui en était l’expéditeur. Il dit être peiné de voir des cadres d’entreprise loyaux avec des étiquettes d’accusés. «L’administration est ingrate et une mangeuse d’hommes (…) On est en train d’assassiner l’intelligence et de promouvoir la médiocrité et la régression», lâche-t-il avec grand dépit. Me Laceb réclame la relaxe de son mandant.

Avocat de Ali Aoun, P-dg de Saidal, maître Abdelkader Brahimi entame sa plaidoirie en s’interrogeant s’il est possible que Moumen Khalifa puisse corrompre tout l’Etat sans qu’on lève le petit doigt. Sans le citer nommément, il se demande pourquoi Sidi Saïd, secrétaire général de la Centrale syndicale, n’a pas été accusé et jugé comme les autres prévenus, lui qui avait affirmé, argue-t-il, devant le tribunal avoir falsifié un document et assumer sa responsabilité. L’avocat se demande aussi s’il était possible que Khalifa puisse dépenser 3 millions d’euros dans une seule soirée où des artistes de renom avaient été invités sans que les responsables algériens ne soient au courant. Pour convaincre le tribunal, il rappelle les bienfaits que le P-dg de Saidal a apportés au peuple algérien avant de lister les multiples postes occupés par son client. Selon lui, Aoun avait été nommé en 1995 pour liquider le groupe pharmaceutique Saidal qui était en faillite. «Grâce à son intelligence et aux travailleurs, il a pu redresser la situation.», estime-t-il. Dans cet ordre d’idée, Me Brahimi affirme que Aoun a réussi un chiffre d’affaires de 7 milliards de DA en sus des conventions signées avec des opérateurs étrangers dans le domaine du médicament et la production de l’insuline dans l’usine de Constantine. Toutefois, il déplore que l’on puisse le poursuivre pour corruption et trafic d’influence. L’avocat avoue que son mandant «gênait la maffia du médicament, lequel est porteur de gros sous». Au sujet de la voiture C5 dont il aurait bénéficié, sans le savoir, que plus tard, l’avocat affirme qu’il a tenté de la restituer, en vain. «L’administrateur lui avait dit qu’il ne pouvait rien faire alors que le liquidateur lui avait proposé de la restituer comme il faisait avec les VIP. Ce que mon client avait refusé. Il avait payé la voiture tel un prêt. Alors où est la corruption ?», s’interroge l’avocat. Ce dernier informe le tribunal que son mandant avait ouvert 4 comptes d’encaissements à la banque Khalifa uniquement par souci «d’efficacité», puisque, ajoute-t-il, les clients de Saidal avaient pour habitude de payer avec des chèques domiciliés dans ladite banque. Il réclame la relaxe de Ali Aoun.

De son côté, maître Miloud Brahimi, avocat de Foudad Adda, ancien directeur de l’Ecole de police de Ain Benian, dénonce la décision de la chambre d’accusation de prolonger le mandat de dépôt contre son client sans pour autant savoir ce que le juge instructeur pense de l’accusation du directeur de l’Ecole de police. «Est-ce que cela est acceptable dans un pays se targuant de sa justice. Je n’ai jamais vu de ma vie de telles décisions. Comment puisse-t-on violer les lois de la République de cette manière ?», s’interroge-t-il, écœuré. S’agissant de l’accusation de corruption, Me Brahimi dit défier quiconque de lui prouver que cette charge figure dans l’arrêt de renvoi. «Je regrette de jouer sur l’honneur des citoyens qu’on accuse sur la base de rien», déplore-t-il, en réclamant la relaxe de son client afin de lui rendre justice. Les plaidoiries reprennent aujourd’hui avec les avocats de la défense des personnes poursuivies pour des faits criminels.

Hocine Lamriben

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