La dénomination des Berbères et de leur langue

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Le mot berbère employé universellement pour désigner les autochtones du Maghreb provient du latin berbarus. Les Arabes le reprennent sous la forme barbar. Mais alors que chez les Romains le terme désignait tous les Barbares de l’empire, les Arabes le restreignent aux seuls Berbères. De barbar provient barbaresque puis, d’une évolution phonétique, berbère.

Langage animal et humain ?Au sixième siècle de l’ère chrétienne, le poète d’origine latine né en Afrique, Corippe, décrivait ainsi les Berbères : »se déchaînant en un langage haché, ils profèrent des aboiements variés, en de stridents langages de rugueuses paroles, comme des loups en pleine montagne, lorsque les nuées au loin s’étendent sur les terres de leur fréquent ululement frappent les airs et à travers les ombres vides font résonner leur aboiement ».Huit siècles plus tard, Ibn KhaIdun, Andalous réfugié au Maghreb, reprend la métaphore animale pour évoquer l’origine des Berbères et de leur langue :Lorsque Ifrikios (l’un des rois du Yemen qui a conquis le Maghreb) eut vu ce peuple de race étrangère (les Berbères) et qu’il l’eut entendu parler en langage dont les variétés et les dialectes frappèrent son attention, il céda à l’étonnement et s’écria : « Quelle berbera est la vôtre ». On les nomma les Berbères pour cette raison. Le mot berbère signifie en arabe un mélange de cris inintelligibles, de là, on dit, en pariant du lion, qu’il berbère quand il pousse des rugissements confus » (Dans Histoire des Berbères)A la chute de l’Empire, le mot barbarus, barbare, conserve en Europe le sens ancien de « réfractair », mais cette fois-ci, à la religion chrétienne. C’est ainsi que l’on parle d' »invasion barbare » à propos, par exemple des Germains, non encore christianisés.La situation au Maghreb est différente : le mot barbarus est repris par les Arabes sous la forme barbar, mais pour désigner exclusivement les Berbères. La restriction de sens, la désignation des Berbères par un terme, certes, déjà péjoratif, mais englobant plusieurs peuples, vient des Arabes et non des Grecs ou des Romains comme on a tendance à le croire.

Ibn KhaIdoun est moins virulent que Corippe mais tous les deux stigmatisent la langue berbère, décrite comme un mélange confus de sons, évoquant plus des grognements d’animaux qu’un langage humain.L’etymologie qu’Ibn KhaIdoun donne de berbère, en arabe barbar, laisse croire que ce mot est différent du latin barbarus, employé à l’époque de Corripe, en réalité c’est le même mot, les Arabes ayant repris le terme latin.

Barkaroi et barbarLes Anciens Grecs appelaient barkaroï tous ceux qui parIaient une langue différente de la leur. Ce sens se retrouve dans le latin, barbarus. Avec l’extension des conquêtes impériales, le mot prend le sens restreint de  »réfractaire à la civilisation romaine ». On va ainsi opposer les Barbares aux Romains, la langue latine aux langues des peuples dominés. On exceptait les Grecs et leur langue qui, eux, faisaient partie de la sphère restreinte des peuples et des langues civilisés.Au Maghreb, les populations autochtones qui vivaient en marge de la latinité étaient appelées naturellement barbares, quant aux Berbères romanisés, on les appelait Africains, du nom de la tribu des Afer qui occupaient l’ancien territoire de Carthage, devenu la province d’Africa.A la chute de l’Empire, le mot barbarus, barbare, conserve en Europe le sens ancien de « réfractaire, mais cette fois-ci, à la religion chrétienne. C’est ainsi que l’on parle d' »invasions barbares » à propos, par exemple, des Germains, non encore christianisés.La situation au Maghreb est différente : le mot barbarus est repris par les Arabes sous la forme barbar mais pour désigner exclusivement les Berbères. La restriction de sens, la désignation des Berbères par un terme, certes, déjà péjoratif mais englobant plusieurs peuples, vient des Arabes et non des Grecs ou des Romains comme on a tendance à le croire. Les mêmes Arabes ont repris également le mot Africa, sous la forme Ifriqya, d’où ils vont tirer le mot Afariqa, pour désigner pendant une période les Berbères christianisés ayant conservé au moins partiellement l’usage de la langue latine.La péjoration des Berbères va entraîner inéluctablement celle de leur langue. Alors que d’autres pays islamisés, comme la Perse et, plus tard la Turquie, les langues autochtones deviennent, aux côtés de l’arabe, des langues de travail, d’enseignement de culture, le berbère est exclu de l’administration et de toutes les formes d’expression écrite. La stigmatisation va se poursuivre tout au long du Moyen-âge au point que les souverains berbères en viennent à déconsidérer eux-mêmes leur langue. On ne citera qu’un exemple : celui du fondateur de la dynastie zianide, Yaghmorasen qui, selon les chroniqueurs ne parlait que le berbère, mais qui a fait de l’arabe la langue officielle de son royaume.

Quand le Barbare devient le BarbaresqueAu Moyen-âge, les Européens emploient également le mot barbare pour désigner les populations du Maghreb mais le mot n’est pas exclusif aux Berbères puisqu’on l’emploie aussi pour les peuples non chrétiens, y compris les Arabes de l’Orient et du Maghreb. Il est vrai que pour les musulmans on emploie surtout le mot « infidèle » de connotation plus religieuse, mais barbare était courant. Par la suite apparaissent les mots sarrazin, maure et mauresque. Si maure vient directement du latin, maurus et désigne les anciens habitants de la province africaine de Maurétanie, morausque, lui, vient de l’espagnol morisco, issu lui même du latin mauriscus.A partir du 13e siècle, une nouvelle dénomination apparaît en Europe : Barbaria, pour désigner le Maghreb (dans le traité de 123 1 entre Venise et Tunis). C’est de ce mot que l’italien tire barbareschi qui désigne tous les habitants du Maghreb, berbérophones et arabophones confondus. Le Français reprend le mot sous la forme barbaresque. Ce mot apparaît dès le 14e siècle mais son emploi ne se généralise qu’au 16e. Et contrairement à son etymon italien, il ne désigne pas seulement les habitants du Maghreb mais aussi les barbares, c’est-à-dire les sauvages. Un exemple est fourni par le dictionnaire de la langue française du 15e siècle de Huguet qui cite « l’inhumanité barbaresque du roi Clothaire à l’égard de la reine Brunehaut » Le mot disparaît de nouveau pour réapparaître au l8e siècle, d’abord avec le sens de « barbare » puis de Maghrébin.

Alors que les mots barbare et bartaresque avaient un sens unique, le mot berbère a, dès le départ, un sens linguistique, désignant les populations de langue berbère. Le mot se détache de barbarus : il y a désormais une distinction nette, dans toutes les langues européennes entre barbare  »sauvage » et berbère « peuple autochtone du Maghreb et langue de ce peuple ». D’ailleurs, les Berbères eux-mêmes vont employer sans complexe le mot, avant d’introduire leur dénomination propre, amazigh, pour le peuple et tamazight pour la langue.

Le mot devient fréquent dans la correspondance officielle des pays européens, à cause sans doute du développement des relations commerciales avec le Maghreb. Le mot prend ainsi une signification géographique mais une signification floue puisque on ignore tout du Maghreb, de ses habitants et de leurs langues. Le barbaresque, c’est aussi bien l’arabophone que le berbérophone et, plus tard, le turc.En espagnol, on emploie le mot barbaresco mais ici on dispose aussi de dénominations plus précises, qui révèlent, en fait, une connaissance du pays et de ses langues : AIrahrbes (Arabes), Barkaros africanos (berbérophones), Azuaguos (azwaw, c’est-a-dire, Kabyles). Le terme général pour désigner tous le monde est moros, maures, termes désignant en réalité les musulmans maghrébins. En français, le mot barbaresque subit encore une transformation à la fin du 18e siècle et dans la première moitié du 19e, du moins jusqu’à la conquête d’Alger. Le mot désigne les régences turques d’Alger, de Tunis et de Tripoli, c’est-à-dire les pays sous la domination turque, avec le sens net de « pirates ». C’est ce que l’on appelait alors les Etats barbaresques. Avec la conquête d’Alger, en l830, l’Algérie enlevée aux Turcs ne peut plus être considérée comme une terre de Barbares. Si on parle encore de « barbaresque » pendant un temps, c’est surtout pour évoquer le passé des corsaires. Le mot Barbarie est conservé, lui, dans deux expressions, « figue de Barbarie » (ironie du sort, les Kabyles, eux, I’appellent, akarmus urumi, (la figue du chrétien » !) et  »orgue de Barbarie ».Naissance du mot berbèreLe mot berbère, issu d’une évolution phonétique de barbare, apparaît dès le 16e siècle. Dans un document anglais de cette époque, il est question de Berbers, montagnards, par oppositions à Alarbes, Arabes, nomades vivant sous la tente. En français, les mots utilisés étaient Brebs et Arabes. Dans cete langue, l’orthographe berbère se fixe dans la seconde moitié du 18e siècle. Le mot apparaît dans l’un des tout premiers ouvrages sur la langue berbère : Grammaire et dictionnaire abrégé de la langue berbère, de Venture de Paradis, publié en l844 mais composé à la fin du 18e siècle. En espagnol aussi, barbario cède la place à berebère, en allemand, berberishe apparaît dans les premières études sur la langue berbère.Alors que les mots barbare et bartaresque avaient un sens unique, le mot berbère a, dés le départ, un sens linguistique, désignant les populations de langue berbère. Le mot se détache de barbarus : il y a désormais une distinction nette, dans toutes les langues européennes entre barbare  »sauvage » et berbère « peuple autochtone du Maghreb et langue de ce peuple ». D’ailleurs les Berbères eux mêmes vont employer sans complexe le mot, avant d’introduire leur dénomination propre, amazigh, pour le peuple et tamazigh pour la langue. Aujourd’hui, it n’y a plus que la langue arabe pour confondre le barbare et le Berbère, désignés par le même terme, al barbar, et la barbarie et la langue berbère, al barbaria. C’est pourquoi ces dernières années, les Berbères écrivant ou parlant en langue arabe préfèrent employer les termes amazigh et tamazight. Ce sont également ces mots qui apparaissent dans les textes officiels algériens et marocains.

M. A. Haddadou (A suivre)

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