Il ne se passe pas un mois sans nous signaler un ou plusieurs cas de suicide en Kabylie, ou de tentatives de suicide. Cette triste réalité est vécue quotidiennement dans la région, et ce depuis notamment la fin des années 1990, où le suicide est devenu subitement un phénomène ravageur qui menace la société kabyle dans ses propres fondements. Les chiffres des hôpitaux, de la Protection civile… indiquent que la Kabylie est classée parmi les régions les plus touchées en Algérie. Rien que pour ce début d’année, quatre cas ont été enregistrés à Tizi-Ouzou, sans s’étaler sur le nombre des cas enregistrés à Bgayet et à Bouira durant l’année écoulée.
Les raisons d’un tel bouleversement des choses trouvent leur origine d’abord dans la situation généralisée du marasme moral et psychologique des citoyens de la région. Ainsi, l’inconscient collectif est tellement chargé de sinistres images de violences, de répression, de disette, que, mis à part le suicide comme acte de vengeance extrême contre une situation personnelle se pointant à l’horizon, aucune autre perspective de changement ne vient alléger ce fardeau. La situation sociale elle-même ne peut pas expliquer tout ce phénomène pourtant traité par les sciences humaines.
Dans ce cas, les spécialistes indiquent que pour arriver à “comprendre” ce phénomène, il faut faire appel à plusieurs disciplines comme la psychologie, la sociologie, la théologie, l’histoire…
Cet acte délibéré de mettre fin à sa vie était, jadis, perçu comme un acte de lâcheté par la société. L’explication donnée à ces raisons se situe autour de problèmes personnels face auxquels le suicidaire ne peut pas apporter de solution, dans ce cas, la mort devient ainsi l’unique solution.
Cette “réaction” réprobatrice de cet acte est induite par les comportements sociétaux propre à notre société, comme l’entraide que l’on connaît depuis la nuit des temps en Kabylie, l’assistance aux personnes en difficultés, l’honneur de la famille… Toutes ces approches ne peuvent fournir ni explications ni solutions. L’être humain est confronté à des situations diverses, à des influences externes, à des pressions… qui font que cet élément d’une société “encaisse” sans rendre les coups. Dans ce cas, on est amené à évoquer les retombées de la perte de repères identitaires et culturels sur la région, l’altération des valeurs. Pour ainsi dire, le déni identitaire et le brouillage culturel exercé sur la Kabylie seraient parmi les causes de ce phénomène. L’identité qui résiste à celle importée et imposée, la culture et la langue qui persistent contre l’acculturation soutenue… autant de raisons qui encouragent cette perte dont les conséquences se vérifient chez les peuples qui ont à subir le même sort.
La désagrégation de la société et du peuple dans son ensemble a aussi des effets ravageurs sur les citoyens. Toutes les tentatives d’acculturation dans le monde sont soutenues par une disette économique programmée, une école ne reflétant pas la réelle image de sa société, une histoire mystifiée d’abord et ensuite falsifiée pour les besoins de l’idéologie et l’identité dominantes.
Face à ce funeste ensemble, fait de problèmes socio-économiques, politiques, personnels…, le citoyen ne trouve d’issue que par cet acte violent dont l’objectif est de mettre fin à sa vie, une vie qui ne vaut rien, même si, en réalité, rien ne vaut… la vie.
M. Mouloudj
