»Les valeurs de l’humanisme sont impérissables »

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La Dépêche de Kabylie : Quelles sont nos nouvelles ?

Youcef Zirem : Je vis depuis un moment à Paris; j’écris toujours, je profite du recul qu’offre l’éloignement, j’essaie de répondre à certaines interrogations de la vie et du monde d’aujourd’hui, souvent violent, tourmenté et insaisissable. J’écris pour rester moi-même, pour faire face aux désordres de l’existence.

Vous venez de publier Le chemin de l’éternité. Pouvez-vous nous présenter cette fiction de façon succinte ?

Ce roman raconte l’histoire difficile d’Amina, une jeune fille algérienne qui a énormément souffert. Elle a d’abord été violée par son père, émir islamiste. Elle accouche de son fils qu’elle garde, elle va à l’université, sur les hauteurs d’Alger, est contrainte de devenir prostituée de luxe, avant de rencontrer Michel, un diplomate français dont elle tombe amoureuse. A travers cette histoire douloureuse, le lecteur revoit tout ce que l’Algérie a vécu durant les vingt dernières années. Cette fiction est également l’occasion de faire un saut à travers la longue histoire des villes d’Alger et de Bgayet ; le rappel historique est parfois nécessaire, surtout à une époque où les repères ont tendance à se perdre.

Il y a aussi dans « le Chemin de l’éternité » le printemps noir de Kabylie du début des années 2000 puisqu’un l’un des frères d’Amina a été tué par les gendarmes. Mais malgré tout ce tableau noir, il y a, dans ce livre, les aspirations au bonheur, à l’amour, à l’espoir des Algériens qui ne cessent de se battre pour un véritable changement.

Quel est l’idée qui vous a poussé à écrire ce roman ?

Je ne pense pas qu’il y a eu un déclic ; j’écris depuis de longues années, ce texte vient en continuité avec mes anciennes écritures, il est également un cri du cœur, une façon de dire que l’Algérie peut faire cent fois mieux à tous les niveaux. C’est une autre manière de souligner que les valeurs de l’humanisme sont impérissables et qu’il est toujours préférable de les prendre en considération. Plus on va vers l’humanisme, la justice sociale, les libertés, plus la situation s’arrange, plus on construit une société plus cohérente, plus solide.

Quel accueil lui a réservé les lecteurs ?

Ce roman a plu à de nombreux lecteurs, souvent Français ; j’ai l’impression qu’ils entendent une autre voix : il faut savoir que pour se faire publier en France, par les grandes maisons d’édition, il faut nécessairement rentrer dans un moule et perdre son âme ; les éditeurs français imposent à de nombreux écrivains d’Afrique du Nord une manière d’écrire, une manière de dire. « Le Chemin de l’éternité » parle de l’Algérie, du monde d’aujourd’hui, de la vie en général, sans aucun tabou ; il n’est pas écrit pour plaire à certains ou d’autres ; ce roman ambitionne de raconter et de présenter certaines réalités comme elles sont dans la vie de chaque jour. J’ai participé récemment à un festival du livre à Rouen, dans le Nord de la France, et là, de nombreux lecteurs furent étonnés par ce roman, par son écriture, par les idées et les images qu’il véhicule.

Quand est-ce qu’il sera disponible en Algérie ?

Je ne sais pas si le roman sera disponible en Algérie ; ceci étant l’affaire de l’éditeur. Et même s’il est disponible en Algérie, s’il est vendu cher, cela reviendrait au même… Je crois qu’il est urgent que le livre soit soutenu en Algérie ; il est également urgent que se crée un Centre national du livre pour réhabiliter l’écriture, la lecture, le livre. Ce Centre national du livre serait normalement dirigé par des professionnels du livre et l’idéal, serait qu’il sait mis à l’abri des pressions politiques, du pouvoir et de l’opposition.

On vous connaît très attaché à la langue Amazighe. Peut-on espérer vous lire un jour en Tamazight ?

Oui, la langue amazighe a toujours été importante pour moi ; toute ma vie, je l’ai passée à défendre cette langue et les libertés en Algérie. J’écrirai certainement un jour dans cette langue ; tout comme j’ai déjà des textes dans cette belle langue qui nous vient tout droit de l’histoire antique. La langue amazighe est un vrai miracle : peu de langues de son époque sont encore là aujourd’hui ; certaines langues qui dominent le monde aujourd’hui n’ont que quelques siècles d’existence ; la langue amazighe nous vient du fond des âges au point où certains chercheurs la considèrent comme l’une des langues mères de l’humanité.

Que pensez-vous de la littérature algérienne de ce début du siècle ?

La littérature algérienne, dans ses différentes langues, est en ce début du siècle très dynamique ; il y a des écrivains algériens de talent qui apportent leur vision du monde et de leur pays à travers des mots qui font, souvent, voyager. Il y a aussi de nombreuses Algériennes et Algériens qui écrivent de belles choses mais qui n’arrivent pas à se faire publier. En Algérie, le secteur de l’édition est en proie à de multiples problèmes ; ailleurs, en France, les voix algériennes originelles ne sont pas vraiment écoutées ; on préfère souvent publier des textes qui ne vont pas à la profondeur des choses. Donc, l’écrivain algérien, quand il veut rester lui-même, est, parfois, contraint au silence. Heureusement que des textes importants et profonds sont régulièrement publiés, que ce soit en Algérie ou ailleurs.

Avez-vous des projets en chantier ?

Oui, j’ai de nombreux écrits qui peuvent être publiés tout de suite ; tout comme je travaille aussi sur d’autres livres. Le plus important, c’est d’écrire ; la publication peut attendre. J’ai encore des nouvelles, des poèmes, des romans complètement inédits ; ils seront donnés au lecteur en temps opportun.

Quel est votre dernier mot ?

Je ne crois pas au dernier mot ; je crois que nous sommes dans un univers qui n’a jamais eu de début et qui n’aura jamais de fin ; peut-être que l’homme disparaîtra un jour, par une de ses folies dont il a le secret, mais l’univers sera toujours là. Les mots servent à s’opposer au néant qui, parfois, vient obscurcir la vision de ceux qui croient en l’humanisme, qui tentent de rendre l’existence humaine meilleure.

Les mots continueront toujours à apporter une certaine harmonie aux uns et aux autres. Il est juste à espérer qu’il n’y aura jamais de dernier mot.

Interview réalisée par Tarik Djerroud

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