“Bandit d’honneur” de l’Aurès (1917-1921)

Partager

Condamné injustement ou voulant se venger d’une injustice, un paysan devient hors-la-loi : il prend le maquis et se fait redresseur de torts, donnant aux pauvres ce qu’il prend aux riches. Aidé par son clan, il est invulnérable, jusqu’au moment où, trahi, il est arrêté et tué. Les conditions créées par la guerre de 1914-1918 ont favorisé la résistance aux autorités : insoumis, déserteurs, criminels de droit commun, victimes des gardes forestiers, ils se réfugient dans la montagne. Une bande évolue, en 1917, dans le sud des Aurès, sous les ordres de Boumesrane. Une autre se manifeste à Foum Toub, dans la nuit du 14 au 15 octobre : une quarantaine de bandits pillent les maisons, ligotent les vieillards, bousculent les femmes. On met ces exactions sur le compte de Benzelmat (le ‘’gaucher’’).

Qui était cet homme ? Originaire du douar Zellatou (T’Kout), il avait juré de venger son frère Ali qui, emprisonné à Arris pour le vol d’un mulet, s’était évadé, après avoit tué son dénonciateur, puis avait été assassiné dans le maquis. L’autorité française essaie tous les moyens pour réduire ces bandes : menaces, primes, indicateurs, patrouilles de goumiers et de volontaires, etc. Mais, la population, sachant que ces bandits n’en voulaient qu’aux traîtres, admire leur audace et leur impunité, colporte et amplifie leurs faits d’armes, et leur fournit, à l’occasion, nourriture, munition, hospitalité, renseignements.

Malgré les multiples opérations, montées contre les bandes, leurs chefs courent toujours. Jusqu’en 1919, Benzelmat avait respecté les Européens, même s’il semble en avoir dissuadé l’un ou l’autre d’exécuter ses projets. Le Gouvernement Général décide de lancer, en octobre 1919, une vaste opération regroupant fantassins, cavaliers, tirailleurs et Sénégalais.

La population s’en plaint : malgré les accrochages, les bandits restent insaisissables et continuent à rançonner ou abattre leurs adversaires. Le 20 février 1920, le caïd Messaoud du douar Chélia est assassiné par Benzelmat lui-même, dont on suit à la trace les déplacements.

Boumesrane, dénoncé par des bergers, est tué le 12 octobre 1920 près de Biskra. Benzelmat qui se cachait dans le djebel Chechar avec l’intention de gagner la Tripolitaine, échappe de justesse, à la mi-décembre. Il est tué le 7 mars 1921 au douar Mellagou par des goumiers. On retrouve sur lui le fusil Lebel l886, 72 cartouches, le cachet en argent du caïd assassiné, des jumelles de théâtre et un petit Coran de poche.

L’annonce de sa mort se répand rapidement. L’Écho d’Alger du 13 mars évoque ses vingt victimes et ses huit condamnations, ainsi que les 10 000 francs qui ont été répartis entre les dix goumiers qui l’ont éliminé.

S’il n’a pas la dimension d’un héros national, le ‘’bandit d’honneur’’ reste un symbole. Il est craint, mais admiré parce qu’il tient tête à celui qui domine, il n’a pas peur d’affronter la souffrance et la mort.

Dans la légende qui est venue amplifier le chant des “Azryate’’ (femmes libres, courtisanes), il est l’homme de la nuit, à la balle rapide, capable d’enlever la femme qu’il aime, capable de tuer l’homme qu’il hait, capable aussi de jeter à pleines mains des billets de banque tachés de sang que les danseuses foulent du pied au rythme des bracelets d’argent (Jean Servier). Il est aussi celui qui est généreux pour les pauvres et qui sait faire rendre gorge aux puissants.

La mémoire collective ne peut l’oublier :

-Ô mon bien-aimé,

Toi qui fais la loi sur l’Ahmer Kheddou,

Toi qui va libre dans la lumière des étoiles,

Tu fondras comme un aigle sur ton ennemi,

Tu le tueras et tu prendra son troupeau.

-Il est le lion dans son domaine.

Son corps dur est bâti à la romaine.

Ses yeux ont un regard

Qui me pénètre droit au cœur.

-Son cœur est plein de bonté

Ses actes ne sont que gestes charitables.

Il dépouille le riche au cœur trop sec

Pour nourrir les mesquins toujours en peine.

-Mon bien-aimé est mort,

Lui qui était le plus fort.

Il a été trahi, il a été tué par des amis de rencontre.

Je l’ai cherché sans le trouver.

D’après le livre «En flânant dans les Aurès»

De Philippe Thiriez

Editions Numidia-1986

Amar Naït Messaoud

Partager