Nous sommes un jeudi. Une matinée éclairée par un soleil dont les rayons nous réchauffent en ce mois de janvier. Nous prenons la direction de Bab Ezzouar, plus précisément le bidonville ou devrait-je dire la favela d’El Djazeera qui se situe à 10 km à l’est d’Alger. Le contraste est saisissant. A peine 15 minutes de route et un changement radical se dessine à l’horizon. Dans la périphérie de la capitale, il existe bien des bidonvilles, mais celui-ci est de loin miteux, un état des lieux nous renseigne à première vue sur la misère dans laquelle vivent ses locataires.
Dans le temps, c’était un endroit désert où le bétail venait y brouter l’herbe, mais la ramification des couches sociales durant les années 1980 a conduit à l’installation des populations plus au moins pauvres, formant au fil des années une sorte de campement à la brésilienne où banditisme, drogue et prostitution se mêlent et cohabitent dans la plus grande macération.
A notre vue, certains habitants se précipitent pour nous relater les conditions misérables dans lesquelles ils vivent, un drame que les autorités ignorent, une réalité qui démontre la cruauté de la vie. Ici la débrouille est la solution la plus apte pour survivre.
Une famille de onze personnes dans 65 m2
Rapidement, une femme d’un certain âge nous invite à visiter sa maison. Se montrant insistante, nous la suivons dans les méandres du bidonville à travers un chemin accidenté, où des odeurs nauséabondes se dégagent, des rats se baladent en plein jour sans crainte. Les gens semblent s’habituer à ce paysage, à la limite funeste et accablant.
Nous pénétrons à l’intérieur de la demeure, une baraque où nous apercevons deux vieilles personnes. “Ce sont mes beaux-parents”, nous dira la dame dans un souffle. Des conditions de vie pénibles s’additionnent à l’exigüité des lieux. “C’est là que dort une partie de la famille”, la femme nous montre un endroit insalubre, sorte de petite cour où sont entreposés des bassines et du linge sale.
Le vieux très commode, nous raconte : “Les conditions dans lesquelles nous vivons sont difficiles mon fils, enfin des gens qui s’intéressent à notre misère.” Et de poursuivre entre deux bouffées de cigarette : “Les jeunes d’ici ne travaillent presque pas, ils sont à la merci de toutes sortes de fléaux, et la consommation de drogue en est un.”
Les nuages investissent le ciel abandonné un laps de temps par le soleil. Trois chambres composent cette habitation de fortune que la femme à tenu à nous faire visiter à la loupe,Elle cohabite avec deux belles-sœurs et un beau-frère marié. Pas de cuisine, si ce n’est un espace pour préparer quelques repas, encore moins de douche. Les membres de la famille ont la possibilité d’aller au hammam ou se doucher dans les toilettes !
Etriqué pour abriter autant de monde, comment faites vous ? « Vous savez, on ne vit pas, on survit et on tente d’envoyer nos enfants à l’école sans moyens, les miens ont 4 et 5 ans et je ferai tout pour qu’il l’intègre. »
Nous quittons l’habitation. Un autre sujet nous préoccupe, la consommation et le trafic de drogue. Les statistiques de la Sûreté nationale et de la Gendarmerie nationale sont effarantes. Les saisies et les arrestations sont fréquentes et les faits divers rocambolesques défraient la chronique.
La personne qui nous accompagne pour la réalisation de ce reportage semble connaître bien les lieux, des amis à lui y habitent et cette option nous facilite la tâche.
Il nous présente trois personnes. La discussion prend forme : « Que voulez-vous que les jeunes fassent ici, ils ne vont pas à l’école et n’ont pas de travail, certains subviennent à leurs besoins en dénichant de petits jobs, d’autres se livrent à la vente de… et d’autres volent », nous dira Mourad. Il n’a pas voulu prononcer le mot “kif”.
« Hier, ils ont arrêté une bande de jeunes, pris la main dans le sac, ils ont été passés à tabac et on s’est insurgé contre les flics », nous lance son ami.
A la question de savoir comment ils passent leurs journées, nos interlocuteurs sont unanimes : « Voyez vous-même la situation dans laquelle on se trouve, pas de travail, pas de logement et pas de mariage, la donne est simple.” Un autre nous confie sans retenue : « Nous dormons à tour de rôle et il y en a même ceux dont les filles et les femmes se prostituent alors qu’ils le savent, ils n’ont pas d’autre alternative ».
Nous visitons le bidonville de l’une des personnes qui s’est confiée à nous. Même constat que le précédent, mêmes conditions de vie, insalubrité et exigüité. Ce sont les termes avec lesquels on peut qualifier ces taudis qui abritent des êtres humains dans des conditions lamentables. “Voici notre chien, le fidèle compagnon qui trouve sa place au sein de la famille”, martèle-t-il.
Avançant dans la brume, qui couvre un temps soit peu encore le bidonville en cette matinée, on aperçoit des petits jouant avec des pneus, à première vue, ils ne vont pas encore à l’école.
Un coup d’œil furtif à notre montre, il est 10h16, l’endroit s’anime peu à peu et l’atmosphère s’annonce incertaine. Des regards nous dévisagent. Ici tout le monde se connaît.
Au loin, un homme aménage un coin, une chambre probablement, seule alternative pour s’offrir ce luxe au vu et au su de tout le monde.
Nous rencontrons au passage un jeune qui se confie à nous : « Je suis gardien de parking la nuit, ça me convient car la nuit, il n’y a pas assez de place chez moi pour dormir, alors je travaille la nuit et le jour quand tout le monde est debout il y a assez de place pour dormir. »
Dans les contours de cette favela, des policiers en civil rôdent à l’affût du moindre geste suspect. « Je dois m’en aller, ils sont déjà là”, faisant allusion aux “flics”.
Notre virée dans ce bidonville est furtive. Trois heures pour voir et constater, d’autant plus que nous n’étions pas assez armés pour affronter tous ces imprévus. Notre ami nous fait signe pour s’en aller, non sans avoir nous avoir au préalable informer : « La nuit, il est imprudent de s’aventurer ici, il faut vraiment y habiter et connaître du monde pour y mettre les pieds », en réponse à notre volonté de revenir le soir pour mieux saisir l’atmosphère qui règne ici une fois le soleil couché.
Le ministre de l’Habitat a promis d’éradiquer tous les bidonvilles qui portent atteinte au paysage urbain. C’était il y a deux ans, mais pour le moment rien n’est fait, le programme des deux millions de logements des plans quinquennaux 2004-2009 et 2009-2014 changera-t-il la donne pour un avenir plus radieux et des jours meilleurs pour les locataires de ces taudis ? Seul l’avenir nous le dira.
Hacène Merbouti
