Un creuset de nostalgie

Partager

Pour son premier roman rédigé en langue amazighe, Mohand Arkat, né en Kabylie tient-il à préciser, a réuni un florilège d’ingrédients relatifs à la vie locale pour offrir une œuvre dense, dans une prose à la fois délicieuse et haletante. Dans Abrid n tala, roman de 182 pages en format de poche et dont la couverture épouse le titre, l’auteur n’a pas gardé sa plume dans sa poche ; les événements se suivent pour s’amplifier et la verve jamais tarie, comme un robinet ouvert à haut débit !

Publié aux éditions de la Pensée en septembre 2009, Abrid n tala est un morceau de légende kabyle. Muqran est un jeune que sa mère adorée pousse obstinément à prendre épouse.

Mais, ne se sentant pas en âge de fonder un foyer, il se barricade derrière l’alibi des études… Vieille rengaine ! Cependant, à une époque (les années 1970 sûrement) ou il n’y avait ni électricité, ni télévision, ni parabole, ni eau domestique, le chemin de la fontaine est un passage très fréquenté par les femmes, les hommes et le bétail.

Et de mémoire de villageois, beaucoup de relations se nouent durant cet itinéraire mythique ! Ainsi, Muqran, le dandy du village tombe sous le charme de Fadhma, la princesse des lieux.

A partir de ce contact à la symbolique humaine, l’auteur nous transporte dans les paysages d’autrefois, les us de la société et les roueries tentaculaires du cœur. Cependant, Muqran ne se comprend pas. Cœur d’artichaut qui s’ignore, là où il va, toute fille sur qui tombent ses yeux devient rapidement sa muse.

Il multiplie les rencontres, collectionne les aventures, et se cherche un port d’attache au fil de ses balades. Mais, à son corps défendant, les ukases impérieux du destin le drive sur d’autres chemins jamais soupçonnés. Et chaque halte, légère ou féroce soit-elle, représente une pierre précieuse au service de la construction de soi.

La description imagée rend l’histoire vivante et l’intrigue prenante. Comme saisi par une violente nostalgie, et profondément marqué par la sève villageoise, Mohand Arkat semble emprunter à la légende pour mieux la nourrir par des tranches de vie apparemment révolues.

Licencié en Sciences de l’éducation, l’auteur a au bout de sa plume le goût du détail et le plaisir de traduire à l’identique les élucubrations de l’esprit, par dialogues interposés, et en kabyle s’il vous plaît ! «J’écris en kabyle parce que c’est ma langue. Ensuite, il y a des choses qu’on ne peut pas raconter, ni saisir le sens profond qu’avec la langue originelle des personnages,” dit cet auteur, enseignant de langue française de son état. Mon souhait est de réconcilier le lecteur avec sa langue maternelle.»

Bref, Abrid n tala c’est comme du Feraoun mais sans Mouloud ! Pas une seule fois on serait tenté de reporter la lecture, et nul besoin de faire appel à un dictionnaire. Abrid n tala ne se trouve pas sur le chemin de la fontaine, mais sur les rayons d’une librairie. Bingo !

Tarik Djerroud

Partager