Sur ce système, la polémique n’a pas cessé de s’enfler et d’épouser les contours de l’opinion de chaque intervenant dans le domaine. Ces remous, l’université les coltine depuis au moins le début des années 1990, lorsque la population universitaire commençait à devenir très importante. Les premiers signes de malaise furent le déficit en infrastructures pédagogiques, ce qui obligea les gestionnaires du secteur à imaginer des solutions d’urgence pour parer au plus pressé. Ainsi, des ITE (anciennes écoles normales), des ITMA (lycées agricoles), des salles de cinéma étaient pris d’assaut par l’administration universitaire pour y assurer des cours, des travaux dirigés et d’autres prestations pédagogiques ou d’intendance. Ces solutions de bricolage ont été généralisées au niveau de tout le territoire national avant que les programmes d’investissement publics (PSSR, PCSC) ne viennent combler les déficits. Ainsi, de nouveaux pôles universitaires ont vu le jour à l’image de celui de Tamda, à l’est de Tizi Ouzou.
Si sur le plan des infrastructures et de certaines parties de l’intendance (restauration, hébergement, transport) les choses paraissent bénéficier d’un intérêt de plus en plus accru des gestionnaires du secteur et des autorités politiques du pays, l’accompagnement pédagogique, la gestion de la ressource humaine (corps des enseignants) et la recherche scientifique sont, de l’avis de plusieurs analystes, les parents pauvres de la politique de développement de l’université algérienne.
Dans ce contexte, les mouvements de protestation récurrents portent essentiellement sur la valorisation de la fonction enseignante et de la politique de la recherche. La gestion des carrières, l’évolution et la promotion du personnel pédagogique constituent, en effet, la base minimale sur laquelle sont censés reposer les autres éléments de l’édifice institutionnel et technique de l’Université.
Dans l’état actuel des choses, entre les idéaux de développement économique et de formation des élites pour lesquels, selon le président de la République, l’Université est censée travailler, d’une part, et l’état dans lequel celle-ci se trouve aujourd’hui- où se conjuguent baisse du niveau pédagogique, profils peu adaptés aux débouchés économiques, tensions permanentes et grèves récurrentes. D’autre part, les analystes, les responsables gestionnaires et la société toute entière sont fondés à tirer la sonnette d’alarme et à désigner les termes de référence pour un nouveau contrat qui devra servir de base consensuelle à une université. C’est une charte qui est censée épouser complètement les préoccupations et les ambitions de la société en matière de savoir, de progrès technologique et de développement économique.
Outre une population de jeunes bacheliers qui donne chaque année une envergure nouvelle à nos structures universitaires, ces dernières vivent des remous, des grèves et d’autres formes de perturbations où se mêlent les revendications sociales, les questions d’intendance et les exigences pédagogiques des programmes. Ces aléas, où s’enchevêtrent les questions sociales, les motivations politiques et les contradictions culturelles ont fini par prendre en otage l’Université et la projeter dans la zone des incertitudes.
Un passif à surmonter
En tant qu’instance de formation supérieure l’université algérienne a été travaillée au corps par des luttes politiciennes depuis que, faute de démocratie et de liberté d’expression, les organisations clandestines de la société (partis, associations, syndicats) y avaient élu domicile. En effet, l’université algérienne ne faisait, depuis la fin des années soixante-dix du siècle dernier, que régresser et se fourvoyer dans une voie sans issue.
Elle fera les frais de l’économie rentière qui s’installa insidieusement et qui a fini par casser tous les ressorts de la société. Les conséquences d’une telle situation ne pouvaient être qu’à l’antipode des missions dévolues à l’Université : formation de l’encadrement nécessaire pour l’économie et l’administration du pays, reproduction des élites et renforcement des valeurs de la citoyenneté.
Il s’ensuit que le niveau de certaines questions et revendications –comme celles liées à l’intendance, au transport et à la cantine- paraît en déphasage complet par rapport aux enjeux que charrie le fonctionnement d’une telle institution. Autrement dit, la place et le rang qui doivent revenir à l’Université sont censés permettre de dépasser allégrement ces questions qui relèvent de la gestion quotidienne. Des budgets colossaux sont mis en place pour la construction de nouveaux centres universitaires et de nouvelles résidences pour étudiants et étudiantes. De sommes conséquentes sont destinées à la dotation de laboratoires en équipements pédagogiques de recherche. La paradoxe est que des chapitres moins budgétivores souffrent d’un déficit de prise en charge correcte et, de ce fait, laissent la voie ouverte vers la contestation et le pourrissement.
C’est dans ce contexte d’interrogations et de remises en cause que les gestionnaires de l’économie nationale et les nouveaux capitaines d’industrie, qui commencent à conférer au secteur économique ses vraies valeurs de rentabilité et de compétence, se posent d’ores et déjà la grande question de savoir où se trouvent les relais en matière de ressources humaines appelées à prendre en charge les entreprises et à manager leur politique d’investissement.
Ce sont là les préoccupations exprimées à maintes reprises par les autorités politiques du pays et les responsables de l’enseignement supérieur. Déjà auparavant, des séminaires et autres colloques se sont tenus pour analyser la relation entre l’Université algérienne, en tant qu’instance pédagogique et académique, avec le monde du travail tel qu’il s’est établi sous l’impulsion de l’ouverture sur le marché.
Aussi bien l’entreprise algérienne que l’entreprise étrangère appelée à travailler en Algérie, aucune d’entre elles n’a l’assurance de tomber sur des qualifications valables dans leurs domaines d’activité respectifs.
Le constat le plus indulgent est que la relation intime et dialectique entre la formation et l’emploi n’a pas pu bénéficier de l’intérêt à la hauteur des défis de l’heure de la part des pouvoirs publics. Le challenge actuel c’est de mettre la main sur la stratégie permettant de rationaliser et d’harmoniser le rapport entre la qualification et le background universitaire d’une part et les besoins d’une économie émergente d’autre part. Néanmoins, l’engagement de l’Algérie dans l’économie de marché- supposant compétitivité, performance et management moderne- ne peut souffrir davantage les atermoiements d’un système scolaire et universitaire qui forme des chômeurs en puissance. La recherche de la main-d’œuvre qualifiée, d’agents de maîtrise et de cadres compétents demeure le point noir de la politique du déploiement des entreprises dans notre pays. Le déficit en ressources humaines se pose avec une acuité inégalée depuis que le pays s’est engagé dans l’économie de marché. La particularité du chômage en Algérie est le fait qu’il soit lié à un déficit de qualification et de compétence.
Quelle politique de recherche ?
Le volet de la recherche scientifique en Algérie, et par-delà la partie qui commande le projet de recherche et la partie appelée à en utiliser les données pratiques, voit son noyau inévitablement se cristalliser dans l’instance académique et universitaire.
Celle-ci, promise à des réformes annoncées depuis longtemps, patauge encore dans des difficultés où l’intendance et la logistique les plus rudimentaires prennent en otage l’organisation entière et réduisent l’offre pédagogique dans ce qu’elle a de plus substantiel. Le salaire et le logement des enseignants, l’hébergement, le transport et la restauration des étudiants, l’accès aux sources documentaires et informatiques, les indemnités d’encadrement des mémoires et autres thèses de recherche, bref, tout un éventail de problèmes qui mettent face à face les étudiants, les enseignants, le syndicat et l’administration. A tort ou à raison, cette dernière est toujours vue comme évoluant dans une tour d’ivoire qui lui ferme la vue sur l’environnement pédagogique et social de l’université.
La nouvelle grille des salaires de la Fonction publique ne semble pas agréer à l’ensemble des fonctionnaires de ce secteur. De même, le statut de l’enseignement-chercheur, en dehors d’une tradition institutionnelle comme celles en vigueur dans les pays développés- à l’image du CNRS en France, avec ses démembrements départementaux et ses différents services liés aux spécialités universitaires-, ne peut atteindre tout de suite sa maturité de façon à assurer la sécurité du chercheur sur le plan de son évolution professionnelle et de sa condition sociale, de façon aussi à donner à la recherche ses lettres de noblesse par une rentabilisation optimale des investissements réalisés dans les laboratoires.
La nouvelle vision de la recherche scientifique dans notre pays- déclinée à travers un secrétariat d’État, un budget et des commissions de validation de sujets de recherche- réclame indubitablement d’autres conditions à même de favoriser le climat de la recherche, l’intégrité du processus pédagogique et l’application des résultats des travaux.
Pour la recherche, le gouvernement a mobilisé depuis 2008 un montant de 100 milliards de dinars. Des commissions spécialisées sont installées pour homologuer les thèmes proposés et les doter du financement nécessaire. Cependant, la relation intime entre le monde de l’économie (industrie, agriculture, services,…) et la recherche universitaire ne semble pas acquise pour le moment, sachant qu’au stade actuel, l’Algérie a besoin particulièrement de la recherche appliquée de façon à généraliser et adapter les résultats de la recherche fondamentale menée par des laboratoires étrangers puissamment équipés.
L’efficacité et la pertinence de la recherche est aussi liée au mode de financement de sa réalisation. En effet, tant que l’argent dépend de la bonne volonté des pouvoirs publics sans, pour autant, que le prolongement pratique sur le terrain économique soit assuré, la recherche voit ses horizons se réduire à force de manque de visibilité et d’absence d’objectifs. Comme dans les pays développés, l’on ne peut pas réussir une recherche universitaires si les futurs utilisateurs –entreprises, bureaux d’études et autres structures techniques tenus par l’obligation de réussite- ne mettent pas la main à la poche. Avec de nouvelles modalités de financement et de choix des thèmes, la recherche universitaire se donnera les chances de s’arrimer à l’économie et de lui servir de moteur inépuisable. Mais, en plus de l’Université, les efforts doivent tendre aussi à susciter au sein de l’entreprise (publique ou privée) le désir d’innovation et d’utilisation des résultats de la recherche.
Amar Naït Messaoud