“Pour un statut de cadre de la nation au nationaliste Amar Imache”

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En introduction, le conférencier déclare que Amar Imache a été pour le mouvement national ce qu’a été Abane Ramdane pour la guerre d’indépendance de l’Algérie. Il les considère comme étant deux hommes aux visions intellectuelles de portée politique hautement significatives du sens donné à l’indépendance du pays et au grand débat de la décolonisation de l’Afrique. Se référant à l’ouvrage de l’historien Amar Ouerdane « La Question berbère dans le mouvement national algérien » qu’il considère être une synthèse exceptionnelle de l’évolution politique du mouvement, marqué par sa rigueur scientifique et un travail de recherche très documenté, Abdennour Abdesselam fait un survol sur cette mutation avec comme personnage central Amar Imache et son opposition aux visées sournoises de Messali Hadj.

Emigré en France après la première guerre mondiale, l’ouvrier Amar Imache verra sa formation politique progresser au contact de la langue française, de la modernité et de ses rapports avec les animateurs du Parti Communiste Français (PCF) de l’époque.

Il deviendra un pôle d’attraction d’éveil et de conscientisation politique aussi bien pour ses compatriotes que pour les travailleurs marocains et tunisiens. Il s’inspirera de la révolte du Berbère marocain Abdelkrim qui fonde en 1921, la République berbère du Rif après une terrible guerre qu’il livra à l’empire espagnol. Amar Imache, dira Abdennour Abdesselam, avait une vision et une dimension politique régionale Nord Africaine et africaine de la décolonisation.

C’est pour cette raison qu’il réunit à Paris le 7 décembre 1924 plus de 100 000 travailleurs et fonde le Congrès des Ouvriers Nord Africains, le C.O.N.A. L’idéologue colonialiste Octave Depont alerte alors les autorités françaises sur les actions et démarches politiques d’Amar Imache qu’il qualifie de menaces et de risques pouvant entraver la présence française en Algérie. Depuis, il fait l’objet d’une surveillance accrue.

Après la destruction de la République berbère du Rif en 1926, par l’alliance franco–espagnole, le Congrès des Ouvriers Nord Africains se transforme, la même année, en Etoile Nord Africaine (E.N.A.) dont l’objectif principal est l’Indépendance de l’Afrique du Nord. La réunion constitutive de cette nouvelle organisation regroupera huit fondateurs dont cinq étaient des Kabyles : Amar Imache, Hadj Ali Abdelkader. Si Djilani, Radjef Belkacem et Ahmed Yahyaoui.

L’historien Roger Letourneau faisait remarquer qu’il aurait mieux valu l’appeler plus tôt : l’Etoile Kabyle. C’est dans le souci d’unification régionale qu’ils élisent un ouvrier tlémcenien à la tête de leur nouveau mouvement, en l’occurrence, Messali Hadj.

Pour contrer ce mouvement politique en évolution, dira encore Abdennour Abdesselam, la France coloniale crée le 27 juin 1927, la Fédération des Elus Musulmans d’Algérie (aucun Kabyle ne fait partie) et qui revendique l’assimilation à la France au même titre que la création de l’Association des Oulémas généreusement financée par les autorités coloniales.

Selon les références de Abdesselam Abdennour une rencontre secrète a eu lieu en Suisse entre Messali Hadj et le leader Syrien du monde arabe Chekib Arslan, défenseur du projet panarabo-islamique.

Celui-ci enjoint à Messali d’orienter la lutte politique de l’Etoile Nord Africaine sur l’idéologie arabo-islamique pendant que Amar Imache, soutenu par les autres responsables kabyles, persistent à définir la mission politique de l’ENA sur les valeurs universelles républicaines avec comme base d’organisation, le modèle en cours en Kabylie formé par la chaîne naturelle du village à la fédération et la confédération générale (Taddart, Laârch et Laârac) déjà considéré par l’idéologue Karl Marx qui a séjourné en Kabylie, comme étant le modèle parfait et idéal d’organisation sociale, politique et économique alliant modernité, tradition et démocratie.

Abdennour Abdesselam se pose la question de savoir pourquoi l’Etoile Nord Africaine a subie une série de dissolutions ainsi rapportée par l’historien Amar Ouerdane par les autorités française emprisonnant chaque fois, les mêmes acteurs à savoir Imache Amar, Djilani et Radjef. Messali ayant été arrêté une seule fois.

Le conférencier lie cette énigmatique question au fait que Amar Imache se soit opposé fermement à Messali qui voulait envoyer en Espagne des brigades internationales composées d’Algériens lors de la guerre civile pour prêter main forte à l’alliance formée par la France et le Front Populaire Espagnol (FPE). Amar Imache ne pouvait soutenir cette alliance car le Front espagnol s’est opposé, auparavant, à l’avènement de la République berbère du Rif, œuvre de Abdelkrim qui sera détruite par la suite par ce même FPE. Il refuse ainsi que les Algériens viennent à soutenir l’ennemi de leurs frères berbères marocains. Lors de l’occupation de l’Ethiopie par l’Italie en 1935, Amar Imache fait une déclaration le 22-Août de la même année dans laquelle il déclare que « …Tous les Africains doivent s’unir pour combattre l’impérialisme en Afrique”. Cette dimension régionale et continentale de la vision politique qui animait l’analyse de Amar Imache n’était certainement pas du goût de la France coloniale, de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie.

C’est principalement à partir de ces événements que s’ouvre alors le curieux conflit entre Amar Imache et Messali Hadj. Ne pouvant imposer au sein de l’ENA, l’option arabiste et islamiste et après la deuxième guerre mondiale dira Abdennour Abdesselam, Messali Hadj réduit étrangement la portée politique régionale de l’Etoile Nord Africaine en créant à Alger, avec ses amis Lahouel entre autres, et sans informer les dirigeants de l’ENA, le PPA (Parti du Peuple Algérien) d’où seront exclus systématiquement les Marocains et les Tunisiens.

Cette limitation de l’action politique, dont la complicité de l’alliance du Parti Communiste Français, le FPE et celle de Chekib Arslan ne sont pas à exclure. Elle peut s’expliquer par le souci d’un meilleur contrôle des activités de la nouvelle organisation directement et seulement par Messali. Bizarrement, il s’alliera lors d’une réunion tenue à Constantine avec l’Association des Oulémas alors alliée de la France coloniale. Dès lors, Messali abandonne la revendication de l’indépendance de l’Algérie au profit d’une intégration assimilationniste chère à la France et mot d’ordre des Oulémas.

Constatant l’échec programmé du projet de l’Etoile Nord Africaine et pour empêcher que les idées assimilationnistes prônées par le trio Messali, la Fédération des Elus Musulmans d’Algérie et l’Association des Oulémas ne prennent pas racine dans la conscience collective algérienne, Amar Imache crée en avril 1947, avec Si Djillani, Radjef et Yahyaoui, le Parti de l’Unité Algérienne (P.U.A).

Inlassablement pourchassés et arrêtés, démunis de tous moyens financiers et matériels, le PUA n’a pas pu se développer. A partir de 1946 dira le conférencier, de nouveaux jeunes Kabyles, sans expérience et n’ayant pas connu ni subi encore le phénomène regrettable de la chasse aux cadres kabyles, conditionnés par le culte de la personnalité savamment entretenu autour de la personne de Messali et en toute bonne foi, adhérent spontanément au PPA/MTLD. Ils connaîtront à leur tour le sort réservé à leurs aînés à partir de 1949. La crise antiberbère, orchestrée par des alliances contre-nature achèvera le rêve de la lutte pour une Algérie Algérienne fondée sur la modernité. Pendant que Amar Imache, de retour au pays, crée l’Association « Tiwizi i Tmazight » en 1945, qui a fourni un fort contingent de militants pour le FLN combattant, Messali Hadj crée le M.N.A, financé et armé par la France coloniale et qui n’a été autre qu’un flagrant contre maquis qui a assassiné plusieurs moudjahidine et a trahi la révolution de la glorieuse Armée de Libération Nationale A.L.N. En guise de conclusion, Abdennour Abdesselam propose à l’instance du village d’Aït Mesbah d’engager un mouvement de revendication auprès de l’Etat Algérien pour la reconnaissance à Amar Imache et à ses compagnons, le statut de Cadres de la Nation.

Bonne note est donc prise pour faire avancer cette pétition légitime.

Il a, en outre, conseillé avec insistance à lire ou à relire pour certains, l’ouvrage de Amar Ouerdane portant sur la question berbère dans le Mouvement National Algérien 1926 – 1980.

B.T.

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