Arnaque à coups de détritus

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Le commun des citoyens ne peut s’amuser ici et là, à compter ces décharges autorisées ou sauvages. Mais elles existent, signale-t-on, par milliers. Et chaque jour on en enregistre de nouvelles naissances.“Je pollue donc je nuis”. Ce drôle de cogita semble s’imposer maintenant, partout, pas seulement dans les quartiers pauvres des bas-fonds des villes où le civisme n’est guère de rigueur. L’arnaque s’échange ici et là, en bord de mer ou dans les squares, à coups de détritus jetés sur la tête ou au pied des voisins. On ne parlera pas uniquement de ces bidonvilles de Haï El Kerrouche polluant l’espace vital de Reghaïa. Des fosses sceptiques à ciel ouvert déversent à travers Oued Djakane les saletés en ville et dans les forêts voisines. Ce spectacle hideux ne peut assurément rendre le sourire aux petits enfants vivant dans ces gourbis.La dégradation de l’environnement atteint les nouvelles cités, réalisées pourtant à coups de milliards. “Vous avez là, un article tout fait”, commente un universitaire en nous montrant du doigt des décharges sauvages à quelques mètres du centre-ville de Boumerdès. Les services de voirie ne passent dans les quartiers que rarement. Et les poubelles alors s’agrandissent, s’élargissent jusqu’à susciter la curiosité de nuées d’enfants qui espèrent y trouver des jouets ou quelque chose à consommer.Il n’y a, en réalité, que des saletés, des sachets en plastique, des verres cassés, des épluchures variées auxquelles s’ajoutent parfois des seringues usées donc dangereusement infectées.“On a beau implorer nos enfants de s’éloigner de cette niche à ordures, rien n’y fait”, s’inquiète une dame à la cité du 20-Août, toujours au centre-ville de Boumerdès. Personne ne vient vider et nettoyer cette décharge. Des sangliers y prolifèrent, la nuit, attirés par l’odeur des ordures jetées ça et là lorsque la poubelle est débordée, a-t-elle indiqué sur un ton d’irritation.Rarement contrôlé ou nettoyé, l’entassement des rejets ménagers représente des foyers par excellence d’animaux qui constituent un facteur de contamination, comme les rats, les moustiques, les chats et les chiens. A cela s’joute la pollution industrielle dont les produits toxiques, solides ou liquides, sont acheminés en l’absence d’un traitement préalable à la périphérique des centres urbains.La rive d’Oued Djemaâ, non loin des Issers, reçoit à titre d’exemple, depuis quelques années, les déchets des communes avoisinantes de Si Mustapha et Bordj Ménaïel.Les autorités locales sont souvent sollicitées pour brûler ces tas d’immondices qui s’infiltrent dans les eaux de l’oued et menaçant les nappes phréatiques. Mais un tel procédé a eu des conséquences fâcheuses sur la santé des riverains. “Nos bébés ont failli mourir, étouffés à chaque fois que l’on incinérait les produits toxiques rassemblés”, raconte un villageois. Sous la pression de plusieurs comités de la ville, les responsables ont dû mettre fin, il y quelques mois, à cette pratique.Presque chaque commune a ses décharges sauvages suscitant aujourd’hui l’indignation des citoyens.Tout près de la cité HLM à Thénia, non loin des oueds jouxtant des habitations à Reghaïa et Boudouaou, au centre-ville de Bordj Ménaël, à quelques mètres de la gare ferroviaire de Dar El- Beïda, les immondices prennent l’allure de monuments. Différents quartiers sont en proie aux saletés, écopent aussi de rejets d’hôpitaux. Où sont donc passés les services de voirie, se demandent des citoyens, affirmant qu’ils respectent, eux, les consignes de dépôt d’ordures, à l’heure du ramassage prévu par la municipalité. Celui-ci s’absente. Et “il y aura un trop-plein de rejets qui s’éparpille forcément au moindre souffle du vent”, explique un correspondant de presse à Réghaïa.Ici et là, certains réclament des décharges modèles. Mais l’on pense qu’elles coûtent cher, en faisant fi de la santé publique. D’autres pensent à ces zones qu’on pourrait utiliser comme dépotoir, mais se heurtent au problème de l’insécurité. A Baghlia et Thénia, à titre d’exemple, des agents communaux de voirie ont été assassinés par des terroristes, il y a quelques années, dès qu’ils s’éloignèrent de l’agglomération.Mais qui détient la solution ? Il faut rappeler qu’un pas avait été franchi, il y a plus de six ans, avec la dotation des communes en moyens matériels pour la collecte des ordures. Dans le même temps, on lançait des travaux de réalisation de station d’épuration des eaux usées. Mais de nombreuses villes côtières, à l’instar de Dellys ou Boudouaou El Bahri, n’ont pas encore bénéficié d’une tel projet.Il était aussi question de doter les différentes structures sanitaires de moyens d’incinération, de sauvegarder les espaces verts. Dans la réalité, on n’a recours qu’au procédé classique, celui de brûler les ordures non recommandé pourtant à proximité des agglomérations.Les jardins, eux, se sont transformés en terrain vague jonché de tessons de bouteilles de bière et autres objets hétéroclites. On voit ça à l’œil nu dans les allées du jardin jouxtant la maison de la culture Rachid-Mimouni au chef-lieu de wilaya. On prévoyait aussi des lois pour châtier les contrevenants. Mais rien n’a été fait, se désole-t-on encore.Les rues regorgent d’immondices. Et à la moindre intempérie, les routes sont bloquées. Un coup d’œil sur ces plages polluées jusqu’à l’extrême et sur cette extraction sauvage du sable des oueds et des rivages de la grande bleue renseigne bien sur l’engagement frileux des associations écologiques locales. Des dizaines de sites de chalets ont été réalisés, enfin, tout le long du littoral de Boumerdès sans aucun plan de traitement des eaux usées qui se déversent sur les plages. Pouvoirs publics et société civile doivent s’unir pour préserver l’environnement. Oublier cette évidence, c’est faire preuve de démission et d’ignorance.Un citoyen de Tidjelabine, au moment où il tentait de sensibiliser ses voisins sur la nécessité d’organiser une campagne de nettoyage de la cité, a reçu un sachet d’ordures sur la tête.

Salim Haddou

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