Le fil tendu de l’équilibre budgétaire

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Les raisons à ce nouvel intérêt sont multiples. En effet, hormis la dette extérieure, dont une grande partie est réglée par anticipation à partir de l’année 2006, les grands agrégats de l’économie nationale, supposés stabilisés durablement depuis la fin des conditionnalités liées au Plan d’ajustement structurel, sont en train d’être soumis à un nouveau regard critique aussi bien par les analystes nationaux que par des institutions internationales. En effet, tout au long de l’année 2009, les aléas pesant sur la croissance, l’emploi et l’équilibre budgétaire n’ont pas été de simples virtualités. Ce qui était considéré depuis des années comme étant des acquis issus des ajustements douloureux de l’économie nationale opérés pendant les années 1990 commence à montrer sa part de fragilité et à faire admettre une certaine marge d’incertitude.

La FMI a exprimé il y a quelques mois, son “inquiétude’’ face au taux de chômage chez les jeunes estimé à 25%. Cette institution financière internationale prend note de la baisse du taux de chômage global qui est passé de 25% en 2003 à

11% en 2008, mais, le taux spécifique aux jeunes est jugé socialement intolérable. Il est même un danger qui menace la cohésion sociale et la sécurité des biens et des personnes. “La lutte contre le chômage des jeunes est l’un des défis majeurs de l’Algérie”, dira un des responsables du Fonds au cours de sa visite à Alger à la fin de l’année dernière. Pour mieux exprimer son ingérence dans la gestion de l’économie algérienne, le FMI s’est permis, la semaine passée, de demander à l’Algérie de lever le gel sur les crédits automobiles décidé par le gouvernement au milieu de l’année 2009.

Tout en exprimant une préoccupation majeure du pouvoir politique, les dernières mesures gouvernementales tendant à renforcer les mécanismes de l’emploi et à rabaisser le niveau de chômage à des proportions socialement et politiquement gérables ne sont pas nécessairement destinées à avoir un sort florissant du fait qu’un problème structurel appelle des solutions de fond qui ne peuvent venir que d’un surcroît d’investissements créateurs d’emplois et de richesses, particulièrement dans le domaine des PME/MI. Les dispositifs sociaux, de l’avis même de certains officiels, ne constituent nullement une solution définitive au chômage des jeunes et particulièrement des diplômés universitaires.

Pour des politiques publiques évaluables

Les politiques publiques orientées vers la création d’emplois demeurent incontestablement celles sur laquelle les institutions de l’Etat sont censées être évaluées à échéances régulières, particulièrement lors des élections locales, législatives ou présidentielles. Si, en Algérie, ce genre de compte n’est pas encore correctement intériorisé, cela revient surtout à des facteurs politiques et culturels, qui fondent le processus de démocratisation de la société qui peine à gagner en maturité. Facteur de cohésion sociale et de dignité individuelle, le travail constitue la seule source de richesse des nations et des peuples. Cet aspect des choses -que nos ancêtres ont intériorisé y compris sous le règne de l’injustice coloniale- commence difficilement à avoir droit de cité dans un pays qui n’a pas encore totalement intégré les notions de compétition, de compétence et de marché du travail. Ces termes faisaient partie, il y a quelques années, d’un lexique inaccessible, voire hérétique, tant étaient ancrés dans les esprits l’égalitarisme de mauvais aloi, l’esprit d’assistanat et la mentalité rentière. Cette “générosité’’ de l’Etat-providence, fondée sur des calculs démagogiques tendant à acquérir sans coup férir les suffrages de la société, a volé en éclat dès l’apparition des premières lézardes dans l’appareil économique et dans l’organisation politico-administrative du pays.

L’austérité budgétaire instaurée pendant la phase du réajustement structurel avait abouti à la maîtrise des grands agrégats macroéconomiques dont l’inflation, l’endettement extérieur, la croissance du PIB et l’équilibre budgétaire.

S’agissant de la gestion du budget de l’Etat, le FMI a fait mention d’un déficit (dépenses publiques par rapport aux recettes fiscales prévisionnelles) de 8,4%. Le recul des recettes pétrolières depuis octobre 2008 et le programme de dépense établi par le gouvernement ont créé cette situation de déficit budgétaire, la première depuis presque une décennie. La croissance globale du produit intérieur brut s’établit à 2%, tandis que la croissance hors hydrocarbures s’élève à 9% grâce principalement à la production céréalière soutenue par une pluviométrie exceptionnellement généreuse.

Sur le plan des revenus des familles, du niveau de vie et du développement humain, ce que les ménages et les pères de famille subissent depuis plusieurs mois comme cherté de la vie et incapacité à faire face à certaines dépenses pourtant jugées incompressibles, est reconnu officiellement par les institutions publiques. Le taux d’inflation annuel (août 2008-juillet 2009) a subi une nette augmentation, soit 5,4% selon l’Office national des statistiques. Le FMI situe la taux d’inflation global actuel à 5,8%. Si on fait abstraction des produits alimentaire frais, ce taux descend à 1,4%. Donc le taux d’inflation global est engendré essentiellement par la hausse des prix des produits agricoles frais.

Le rehaussement des prix des produits alimentaires est un phénomène qui a pris depuis l’année 2008 des proportions mondiales. Cela est vérifiable aussi bien dans les pays pauvres ou en voie de développement que dans les pays développés.

En tout cas, les forts dérèglements des prix des produits agricoles -auxquels sont venues s’ajouter depuis quelques mois d’autres flambées des prix touchant un éventail encore plus large de produits- ne sont pas sans soulever de sérieuses interrogations sur le niveau de vie et l’intensité des désordres sociaux, qui pourront en découler. La tripartite de décembre 2009 ne semble pas avoir réglé d’une manière satisfaisante le problème des salaires. La preuve est que différents secteurs et corporations continuent à subir les remous des grèves, sit-in et autres dérèglements visant, par ces moyens de pression, à obtenir d’autres augmentations salariales ou primes liées à leurs fonctions respectives.

Politique des revenus : une pesante injustice

Depuis la rentrée sociale de 2009, différentes organisations syndicales ou professionnelles sont montées au front pour interpeller le gouvernement sur un certain nombre de questions liées aux conditions de travail, au niveau des salaires, aux régimes indemnitaires, à la promotion dans la fonction ou le grade et à d’autres préoccupations comme le logement et le transport. Presque aucune branche des secteurs économiques et de l’administration n’a fait son entrée sociale dans la paix. Cette impatience- qui évolue parfois en fougue rageuse- est aussi nourrie par les injustices sociales, les discriminations et les différentes exclusions. On est vraiment loin d’une pauvreté généralisée ou d’un destin collectif qui écraserait l’ensemble des franges de la population. Des richesses, insolentes avec leurs signes extérieures, s’affichent chaque jour davantage pour jeter dans le désespoir le reste de la population. Ce sentiment de laissé-pour-compte accroit inexorablement les distorsions et les tensions sociales.

Au vu des mouvements sociaux qui ont prix en otage certaines structures économiques, universitaires ou administratives depuis le printemps dernier, et au vu également des grèves et actions qui se profilent pour les prochaines semaines, l’instance de dialogue social connue sous le nom de tripartite risque de voir ses efforts se volatiliser et sa marge de manœuvre future se réduire en peu de chagrin. Recul du pouvoir d’achat, licenciements, rythmes très lents d’absorption du chômage et d’autres contre-performances ne manqueront pas de peser d’un poids insoutenable dans le dialogue pour espérer désamorcer les crises actuelles ou les conflits en maturation.

Recentrage ?

Le fait est que le cadre des missions de la tripartite est réduit presque exclusivement à la question des salaires. Ces derniers ne peuvent, cependant, pas acquérir une expression autonome en dehors de la productivité économique. Si l’État se charge de veiller sur la régularité des recrutements (déclarations sociales) et sur l’obligation d’un salaire minimum, il ne peut en revanche intervenir dans le niveau des salaires que pour ses propres fonctionnaires. Le reste étant régi par les lois relatives au travail et par le niveau de productivité des entreprises. Même les augmentations que le secrétaire général de l’UGTA a annoncé la semaine dernière pour les trois prochains mois dans les entreprises publiques ne sont pas tout à fait acquises. Car, une incertitude de taille plane toujours sur les entreprises destrcuturées qui n’ont pas la capacités de mobiliser de nouvelles augmentations salariales sauf par le moyen d’une nouvelle intervention du Trésor public via des opérations d’assainissement.

Une des conditions impératives de la relance économique- et, partant, de la réussite d’un pacte social- est incontestablement la maîtrise de la masse monétaire en circulation. Il se trouve qu’une partie de l’inflation qui pénalise les aujourd’hui les ménages algériens est générée par les transferts sociaux lorsque les performances économiques (productivité et croissance) n’ont pas encore atteint le rythme soutenu.

Aujourd’hui, l’inflation qui affecte l’économie algérienne n’est pas faite pour arranger les choses d’autant plus que les exportations de l’année 2009 ont connu une baisse drastique en terme monétaire et, ce, suite au recul des prix du pétrole depuis l’automne 2008. Cela fait partie évidemment des conséquences imparables des premières signes de la récession mondiale auxquels le gouvernement Ouyahia tente d’apporter des éléments de réponse dans ses répercussions sur l’Algérie et, ce, par un développement autocentré comptant sur les ressources propres du pays.. Les mesures prises pour fiscaliser les dividendes des bénéfices des sociétés étrangères, l’obligation de la participation d’une partie algérienne dans le capital des sociétés étrangères voulant exercer en Algérie, la nouvelle procédure de facturation des importations (crédit documentaire) et l’encadrement de la politique des crédits destinés au ménages constitue une autre approche de l’ouverture de l’économie nationale sur le partenaire étranger, approche censée refonder, dans le pragmatisme et le principe de gagnant-gagnant, notre relation avec l’économie mondiale.

Malgré la stabilité macroéconomique, acquise au prix d’un sacrifice social considérable, et nonobstant des niveaux historiques des prix du baril de pétrole enregistrés depuis le début de la décennie en cours, la paix sociale se négocie plutôt dans une équitable distribution des richesses, un rythme soutenu de création d’emplois et une lutte sans merci contre la corruption, la fraude fiscale et l’économie informelle.

Amar Naït Messaoud

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