Morosité estivale

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A ces deux éléments omniprésents, s’ajoute un phénomène que tout le monde qualifie d’original. Il s’agit de l’humidité trop envahissante pour une wilaya de l’intérieur située à 80% dans l’étage bioclimatique semi-aride. En effet, le taux hygrométrique de ces dernières semaines rappelle largement celui des régions côtières (Alger, Skikda, Mostaganem…) Certains n’hésitent pas à imputer cette situation au nouveau barrage de Tilesdit, dans la daïra de Bachloul, construit sur le versant sud du Djurdjura. Ce nouvel ouvrage hydraulique d’une capacité de 170 millions de m3 et dont la mise à eau graduelle remonte au printemps passé est d’ailleurs quotidiennement enveloppé de brumes matinales qui ne commencent à s’effilocher qu’à l’approche de midi. Il n’en demeure pas moins que c’est là un nouvel élément de décor qui s’ajoute au paysage verdoyant de la forêt des Azerou. Une seule ombre au tableau – mais qui paraît de taille – ce sont les incendies qui ravagent une partie du patrimoine forestier environnant depuis le mois de juillet passé, ce qui alourdit davantage le climat et assombrit l’atmosphère au grand malheur des asthmatiques et autres personnes atteintes d’autres maladies respiratoires.Pour se rendre à la mer, les jeunes de la wilaya de Bouira ont deux destinations privilégiées : la côte de Boumerdès et la plage de Bgayet. Pour cela, des fourgons sont sollicités en location pour une journée. De 400 à 600 DA, tel et en moyenne le tarif de transport. Cependant, cette façon de faire relève plutôt de la simple “débrouillardise” pour des jeunes qui n’ont pas les moyens de se permettre un véritable séjour au bord de mer. Connue pour sa station climatique sise à Tikjda, la wilaya de Bouira n’a pas en revanche mis les infrastructures nécessaires pour accueillir des populations des classes modestes. Rien que pour le transport, aucune navette n’est assurée vers les lieux si ce n’est les courses effectuées par les fraudeurs à des prix exorbitants. A un certain moment, les espoirs étaient fondés sur la réhabilitation de la station thermale de Hammam Ksenna, naguère sollicité par des touristes et des curistes de toutes les wilayas du centre. La déception s’est vite installée dans les cœurs suite à l’arrêt du projet pour des considérations bureaucratiques.Pour oublier la chaleur torride des longues journées de juillet et août, des adolescents et des adultes n’hésitent pas à s’adonner à des séances de pêche sur les bords limoneux du barrage de Oued Lakhal, situé à mi-chemin, entre El Hachimia et Aïn Bessem. Abdelaziz, un habitué des lieux, nous avoue qu’il ne quitte les lieux qu’après minuit. Il y profite de la fraîcheur nocturne et du silence que ne viennent “titiller” que de faibles vagues du lac ou des fins mouvements de brises qui fouettent doucement les arbrisseaux de pin d’Alep plantés au bas de la digue. Les sorties nocturnes dans la ville de Bouira seraient de l’avis de beaucoup de citoyens sans objet précis, si ce n’est cette petite curiosité d’un nouveau jet d’eau placé au carrefour Harkat qui arrive à “mobiliser” de petits groupuscules de jeunes et d’enfants pendant quelques minutes.Le peu d’animation qui marque les week-ends, ce sont certainement les bruits des fêtes de mariage ou de circoncision. Mais, à part le dérangement acoustique sous d’autres cieux on parle de nuisance sonore, ces fêtes sont strictement familiales. Même à ce niveau, il n’y a plus d’esprit de fête au sens qu’on lui connaissait jadis. L’ostentation, le recours aux salles publiques pour recevoir les invités, la disparition des chants et cérémonies d’autrefois, au profit du disc-jokey et de la caméra, font perdre à ces fêtes leurs cachet authentique de convivialités et de retrouvailles. Sur le plan culturel, c’est véritablement le grand désert. Depuis la dernière prestation d’Aït Menguellet à la salle Errich, aucune activité d’envergure n’est venue casser la monotonie qui gagne le territoire de la wilaya de l’est à l’ouest et du sud au nord.Pour des jeunes comme Hamid, il reste le refuge du cybercafé, dont il est devenu un amateur invétéré. Qu’y cherche-t-il exactement ? La première curiosité l’a porté sur la recherche d’une connaissance féminine de l’autre côté de la Méditerranée. “J’avais trouvé sur le net une âme sœur au début du printemps. Il s’avère que c’est une vieille fille, en tout cas volontairement célibataire et quelque peu artiste sur les bords. L’échange de correspondances m’a coûté une fortune. Mais, les choses ont évolué pour moi. J’ai abandonné l’idée de mariage et suis actuellement habité, peut-être même obsédé, par l’idée de sortir carrément de ce bled. Vous voyez ce tas de photocopies ? Ce sont les imprimés et documents que j’ai tirés du cyber pour constituer un dossier d’émigration au Canada. J’ai été arnaqué une première fois par une agence d’émigration. J’y ai laissé cent vingt mille dinars pour rien.Maintenant, j’opte pour le contact direct avec le ministère de la Citoyenneté et de l’emigration du Canada. Un ami, par ce canal, est parvenu au stade de la visite médicale qu’il vient de subir à Tunis. Je suis à peu près sûr que mon étoile brillera un jour. Ils ont besoin d’informaticiens la-bas, au Canada”. Hamid fulmine contre les gérants de salons Internet qui n’ouvrent généralement qu’à partir de dix heures. “Lorsque je pointe à neuf heures, on me répond qu’on ne peut pas effectuer la connexion pour une ou deux personnes, ils sont vraiment très égoïstes”.Ils sont nombreux ceux qui, comme Hamid, habitant les villages de la montagne, à vouloir s’envoler vers d’autres cieux. Des amis et copains sont déjà partis. Allemagne, France, Canada, et même la Turquie, la Syrie et les Emirats arabes unis. Diplômés sans avenir professionnel, ceux d’un niveau scolaire plus modeste et même ceux qui viennent de bénéficier de la retraite anticipée, veulent quitter le ciel “inclément” de Bouira pour des terres mythiques où, du moins le croit-on, l’on peut réaliser ses rêves.L’été à Bouira, ce sont ces rêves insensés, cette monotonie stressante, ces moyens inexistants pour oublier un tant soi tpeu l’âpreté d’un quotidien qui s’étale sur les douze mois de l’année.

Amar Naït Messaoud

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