La Depêche de Kabylie : Votre groupe s’est constitué en 1986 et après seulement un album, vous avez décidé d’arrêter, peut-on connaître les raisons ?
Le groupe s’est constitué effectivement en 1986. Malgré le fait que nous n’avons pas pu commercialiser notre premier produit enregistré en1989 à cause de la disparition de notre éditeur, nous étions toujours présents lors de manifestations culturelles ou politiques à chaque fois que la raison et le devoir nous appellent. Naturellement, il n’a jamais été question pour nous d’arrêter le chant et l’expression culturelle que nous avons toujours considérés comme notre contribution à la pérennité du combat identitaire. La bande originale a malheureusement disparu avec le décès regrettable de notre éditeur.
La dislocation est une fin inévitable pour plusieurs groupes artistiques, selon vous qu’elles en sont les raisons ?
Il n’y pas eu de dislocation dans notre groupe. En dépit des circonstances et des aléas, nous sommes restés unis et productifs. Notre groupe est composé de membres issus d’un même village et soudés par un idéal partagé que les conjonctures ne peuvent altérer. Notre présence n’a jamais failli. Nous avons toujours été là où il le fallait. Les Kabyles, sevrés de culture ont été en attente d’un autre message. Nous souhaitons avoir exaucé cette demande.
Vingt ans après, votre groupe renaît de ses cendres, et encore une fois, quelles sont les raisons de ces retrouvailles avec la scène artistique ?
Comme je l’ai dit tantôt, le groupe n’a pas disparu pour renaître. Même si nous n’avions pas enregistré de produit, nous répondions à chaque sollicitation émanant de la communauté universitaire ou lors de commémorations culturelles populaires auxquelles nous étions conviés. Et parallèlement à ça, nous nous réunissions périodiquement entre nous et en compagnie de comités d’amis restreints pour garder l’entrain et la motivation.
D’un autre côté, des amis très proches nous ont régulièrement invités à passer le cap de l’enregistrement. Leurs conseils et leurs encouragements ont été des facteurs déterminants qui ont facilité notre immersion dans la production enregistrée.
Il est évident que quand ceux qui nous encourageaient de manière assidue sont de la trempe de Ferhat Imazighen Imula, Farid Ferragui, Yusef Aqvu, Azru Loukad ou Muh At Vurenna, on s’est senti dans la position de ceux auxquels on faisait « une proposition que nous ne pouvions refuser », si je peux me permettre l’expression. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour les remercier profondément de leur sollicitude à notre égard.
Votre style n’est pas commun à tous les artistes, vous avez choisi la chanson engagée. Pourquoi ce choix ?
La chanson engagée s’est imposée à nous depuis le tout début de notre apprentissage artistique. Comme chacun le sait, tout artiste, individuellement ou collectivement quand il s’agit d’un groupe tend à s’identifier à des aînés qu’il affectionne particulièrement. Pour notre part, nous avions grandi dans l’ambiance de grands chanteurs kabyles qui ont bercé notre jeunesse et façonné notre prise de conscience identitaire. Nous nous sommes naturellement lancés dans leur lignée. Ainsi, Slimane Azem, Chérif Kheddam, Ferhat Imazighen Imula, Matoub Lwennas, Ideflawen, Farid Ferragui, Farid Ali, Idir, Aït Menguellat et de bien d’autres qu’il est impossible d’énumérer tous, ont, chacun à sa manière, contribué à asseoir notre inspiration mais sans aucun mimétisme, car il est clair que chaque artiste ou groupe se doit de développer son propre style et ses propres référents. Honnêtement, je pense que nous avons réussi ce mariage entre notre propre créativité et le ressourcement du patrimoine musical commun de Kabylie.
Quels sont les sujets qui vous tiennent vraiment à cœur ?
Tous les sujets sociaux nous interpellent et nous y répondons avec nos moyens. Mais naturellement, le combat identitaire et la démocratie en Algérie sont nos thèmes de prédilection. Dans la conjoncture qui prévaut dans notre pays, il est difficile de faire l’impasse sur ces thèmes que les responsables en charge de la culture escamotent à l’envi, avec quelquefois l’acquiescement volontaire de certains chanteurs.
Vous êtes trois membres, donc, un parolier, un musicien et un interprète, comment travaillez- vous ?
C’est un travail collectif. À chaque production, nous nous efforçons de rallier l’adhésion de l’ensemble. Mais fondamentalement, le travail se répartit entre Fawzi Ould Mohand, l’interprète, Rachid Ali Mamer, le responsable de la musique et moi-même qui suis le parolier. Je précise que nous ne rencontrons pas de difficultés majeures pour affiner le produit.
Quelles que soient les différences de points de vue, nous arrivons toujours et rapidement à aplanir les divergences.
J’ajoute que dans un groupe qui a vécu tant d’années dans une symbiose presque parfaite, il y a des automatismes et des complicités qui favorisent une mutuelle compréhension, voire presque une unité de pensée qui est un puissant…
Quel regard portez-vous sur la chanson kabyle d’aujourd’hui ?
Grâce aux innovations technologiques, la musique instrumentale a fait de grandes avancées. Cependant, la thématique et les paroles sont restées en rade. Nous sommes loin des chants et des dires des anciens qui nous interpellent.
Bien sûr, il y a encore des artistes émérites qui maintiennent le cap et c’est tant mieux.
Au milieu d’un espace musical dominé par un non stop, Izenzaren vient apporter un style différent. Comment faites-vous pour vous adapter ?
Le non stop n’a jamais dominé le milieu musical et en particulier la chanson kabyle.
Le talent est immortel.
9-Un mot de la fin ?
Merci à vous et à votre journal. Je salue la Kabylie libre, démocratique et autonome.
Entretien réalisé par M. Mouloudj