En soufflant, ce 13 juin, sa huitième bougie, la Dépêche de Kabylie peut se donner le droit de jeter un regard sur son propre parcours d’organe de proximité qui s’adresse à la Kabylie, à l’Algérie et à la diaspora dans tous les coins du monde depuis maintenant presque une décennie.
L’audience du journal a paradoxalement été mise relief lors de menus incidents techniques qui ont perturbé sa distribution et virusé son site web au début de l’année en cours. D’Oran, de Béjaïa, de Hassi Messaoud, de Montréal, de Paris et de Sydney, nos lecteurs désemparés adressaient leurs inquiétudes à l’adresse électronique du journal, et à celle de certains de nos journalistes. Ils disent tous, suivre sur notre journal l’actualité algérienne et kabyle, celle des villages et bourgades de la montagne, les infos de proximité la production culturelle et les activités sportives.
Cette petite mise à l’épreuve nous rappelle une vérité que certains ont tendance à ignorer ou à massacrer : c’est que, un journal, dès qu’il se fait une audience, aussi bien sur support papier que sur support électronique, n’est plus la propriété exclusive de ses fondateurs. Moralement, il appartient aussi à ses lecteurs qui en ont fait leur moyen d’information préféré.
En huit années d’exercice, on a eu même le loisir de vérifier que les grands détracteurs de la Dépêche de Kabylie- car, ils existent et sont politiquement positionnés- et qui déclarent ne pas lire notre journal, sont des lecteurs réguliers et assidus de nos pages.
Qu’un journal en arrive à déranger devrait être vu comme une bonne chose et même un signe de bonne santé et du journal et du lecteur, pourvu que l’éthique, la morale et la déontologie soient préservées. Si ces valeurs sont défendues et respectées, à quoi peut rimer le “dérangement” ? Déranger l’unicité de pensée, la médiocrité la fausse quiétude ambiante, les partis pris et d’autres travers qu’une fausse conception de la liberté d’expression voudrait implanter comme nouvelle culture politique dans notre pays ; déranger ces tenaces certitudes, disions-nous, peut bien être une entreprise de salubrité publique. Comme disait le grand journaliste Jean-Paul Marat, fondateur de L’Ami du Peuple, assassiné en 1793 : Je suis l’œil du peuple ; j’attaquerai les fripons, je démasquerai les hypocrites, dénoncerai les traîtres.
Né dans un contexte particulièrement douloureux — Printemps noir de Kabylie — et dans un moment où le ciel d’Algérie était chargé de mille incertitudes, la Dépêche de Kabylie a pu établir une relation dialectique avec la société et particulièrement la frange juvénile, dont il accompagne la marche et laquelle société à son tour, lui donne l’air, le souffle et la matière nécessaire à sa promotion et son développement.
Investissant la scène médiatique douze ans après la promulgation de la loi autorisant les publications privées, notre journal était venu à point nommé dans un moment déterminant et crucial de la vie de l’Algérie en général et de la Kabylie en particulier. Précarisation de la démocratie, ‘’lissage’’ de la vie politique, montée d’une kyrielle de périls et résurgences, de grandes et lourdes interrogations formaient le tableau de maître de cette situation peu reluisante. Face à des destins aussi retors, un journal algérien, destiné à la Kabylie en premier lieu, et s’adressant aussi à toutes les forces vives de ce pays, n’était pas de trop.
Ecouter, accompagner et servir la société
La Dépêche de Kabylie se trouve aujourd’hui incontestablement à un moment crucial dans la marche de la société kabyle, marche semée d’interrogations, de pertes de repères et de faillite de la classe politique. Un “nœud de vipères’’ se tisse autour des ambitions de cette région pour sortir de son isolement et de son sous-développement. Éternelle sacrifiée sur l’autel de la revendication démocratique, elle se voit, après des mois et des années de glaciation, invitée à se “redéfinir’’ politiquement dans un brouillard idéologique sans précédent. Mais quels efforts sont déployés pour faire profiter la Kabylie de l’argent destiné au développement national et pour canaliser les énergies et les bons choix de sorte à désenclaver la région sur le plan des infrastructures et équipements ? Le temps n’est plus aux généralités brouillonnes. Ce sont des questions concrètes qui interpellent la société civile et le personnel politique digne de ce nom. Les obstacles-oppositions foncières intempestives- qui retardent la connexion au gaz de ville des villages et hameaux de la Haute Kabylie, la gestion des décharges publiques qui ternissent l’esthétique paysagère et constituent un danger de santé publique, la protection du barrage de Taksebt contre la pollution et l’envasement, ainsi que d’autres défis aussi importants les uns que les autres, ont besoin de la bonne volonté et de l’engagement de tout le monde – élus, administration locale, associations et comités de villages – pour qu’ils soient relevés d’autant plus qu’une grande partie de ces problèmes réclament des solutions se trouvant localement, à leur portée. D’autre part, les lourds investissements publics actuellement en projet ou à l’état de réalisation (raccordement à l’autoroute Est-Ouest, modernisation des chemins de fer, nouveaux barrages hydrauliques, transferts d’eau…) ont besoin d’un accompagnement efficace pour qu’ils soient bien rentabilisés. Il serait, bien entendu, présomptueux de penser qu’un simple journal pourrait combler le vide que créerait l’absence de la société civile ou des élus sur le terrain. Ce serait une vocation démesurée. Cependant, cet instrument peut servir à rapporter les problèmes, à amener les parties en cause à une confrontation loyale et enfin à contribuer modestement aux solutions. La jeunesse qui n’a pas vécu les grands événements de la région, qui n’a pas eu l’occasion de suivre les mélodies et les poèmes les plus authentiques, qui n’a pas pu lire les meilleurs ouvrages littéraire d’auteurs algériens ou étrangers, cette jeunesse là a une soif terrible d’apprendre, de goûter et d’être éclairée sans tutelle ni paternalisme, mais avec la pédagogie et la clarté que peut offrir le journal. L’introduction depuis une année d’un cahier central hebdomadaire en tamazight constitue un avancée inestimable pour le journal et pour la cause de Tamazight. Cette dernière n’a besoin ni de démagogues qui s’égosilleraient hypocritement sur son sort, ni d’un quelconque paternalisme qui a fait tant de ravages dans les causes les plus nobles. Notre langue a besoin de producteurs pour donner consistance à son fonds historique, pour donner de la matière aux lecteurs qui commencent à devenir nombreux et pour offrir des textes actuels et d’actualité aux milliers d’élèves qui reçoivent l’enseignement en tamazight dans les écoles algériennes. Avec ce modeste cahier du lundi, la DDK compte apporter sa pierre à un édifice qui réclame la participation de tout le monde (écrivains, journalistes, cinéastes, dramaturges…). Avec l’ensemble de son collectif, la Dépêche de Kabylie continuera son travail d’information et de pédagogie pour accompagner les élans les plus sains de la société comme elle continuera à guerroyer contre toute forme de bêtise et de perversion des valeurs de l’éthique et du professionnalisme.
Amar Naït Messaoud