Artisanat, produits du terroir et développement économique

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Le secteur de l’artisanat peut-il, maintenant qu’il rejoint le ministère du Tourisme depuis le remaniement ministériel du mois de mai dernier, faire valoir ses droits pour une prise en charge à la hauteur des défis auxquels il est confronté en ce début du XXIe siècle ? Tous les acteurs exerçant dans ce secteur ou à sa périphérie espèrent que la politique du surplace cède une vison innovante basée sur les immenses et variées potentialités nationales.

Ces dernières, ont fait l’objet de maintes louanges et d’infinis hosannas dans une littérature administrative qui n’a pas pu donner un prolongement concret et pratique à la réhabilitation et à la promotion des activités artisanales dans notre pays. L’on s’est plutôt contenté au cours d’un mois appelé mois du patrimoine et pendant la journée nationale de l’artisanat (9 novembre), à faire la fête autour d’un objet qui reste sans doute plus méconnu que jamais. Comme d’une Arlésienne, on en parle sans qu’on puisse en apercevoir la silhouette. Les quelques initiatives locales prises ici et là sont trop disparates et si peu cordonnées qu’elles ne peuvent servir d’exemple à suivre en la matière. Ainsi, des communes ont fourni à des familles nécessiteuses des machines à coudre sans que cette opération soit suivie de formation, encadrée sur le plan de la fourniture de la matière première ni sur l’étude du marché. C’est plus une formalité administrative que l’on cherche à enregistrer sur les tablettes d’une commune ou d’une direction de wilaya qu’un véritable acte À l’échelle internationale, toute action relevant du domaine de l’artisanat fait l’objet d’études pour la situer dans le contexte culturel de la région et lui donner la dimension historique qu’elle est censée véhiculer en dehors de sa valeur purement sociale ou commerciale. C’est ce qui a été tenté dans notre pays-avec un destin fort aléatoire- dans les projets de proximité de développement rural intégré. La composante artisanale des ces projets est supposée émaner des profondeurs historiques et des réalités culturelles, des localités ciblées. Le rythme infernal avec lequel sont montés les projets- pour répondre à une logique administrative de consommation de crédits- fait qu’aucune étude, aussi sommaire soit-elle, n’a été initiée dans ce sens. Réhabiliter la fabrication du tapis dans une région où il a perdu ses lettres de noblesse depuis longtemps pour des raisons objectives liées à une économie rentière peu soucieuse du génie de ses enfants, promouvoir l’orfèvrerie et la dinanderie dans des villages et des villes où les artisans sont obérés par les charges charriées par l’acquisition de la matière première et par la fiscalité toutes ces tâches et missions ainsi que d’autres axes encore inhérents à ces nobles métiers ne peuvent être menés ex nihilo, sans une politique claire, bien élaborée et ambitieuse en direction de ce segment particulier de l’économie nationale ; particulier, car exprimant les couleurs et les profondeurs de la culture nationale. Le volontarisme et l’approximation qui, un moment, peuvent donner l’illusion de suppléer à une politique globale en la matière, ne pourront, en revanche, jamais remplacer une véritable stratégie basée sur la culture de la permanence des actes de préservation et de promotion des produits artisanaux. Par-delà le symbolisme culturel et historique auquel elle renvoie, la politique de la promotion des activités artisanales et des produits du terroir équivaut à une entreprise de défense et de pérennisation de la mémoire collective, outre qu’elle sert à asseoir une matière première précieuse pour le secteur touristique.

À califourchon entre la culture et l’économie

Le secteur de l’artisanat ne cesse d’attirer l’attention des pouvoirs publics à travers la politique des petites et moyennes entreprises censées conduire et faire converger les efforts des différents acteurs agissant dans ce domaine, et particulièrement les artisans eux-mêmes qui, jusqu’à un passé récent, étaient les laissés-pour-compte de la relance économique basée essentiellement sur les grandes infrastructures et la stratégie industrielle. Le plan de développement de ce secteur aux horizons 2020 a vu ses objectifs définis l’année dernières à l’occasion des assises nationales. A cette échéance, d’après l’ancien ministre chargé du secteur, Mustapha Benbada, la production du secteur de l’artisanat atteindra un montant de 334 milliards de dinars alors que dans la phase actuelle cette production ne dépasse pas les 136 milliards de dinars. En matière d’emplois, le secteur de l’artisanat ambitionne de créer un million d’emploi à l’horizon 2020. Les ateliers tenus aux assises de l’artisanat ont été réservés aux thématiques de l’intégration économique de ce secteur, de la conception des programmes de formation idoines, de la promotion de la qualité des produits et du crucial problème du financement. Ce dernier devra être, selon Benbada, proposé à d’une autre alternative vu les réticences des banques à financer les ateliers artisanaux. Le nombre d’artisans détenteurs d’un registre de commerce est actuellement de 162 000. En 2002, il était estimé à 72 000 selon l’ancien ministre de tutelle. De même, la nomenclature des activités artisanales est passée de 244 métiers à 339 métiers. Au cours de l’année 2009, les présidents des chambres de l’artisanat et des métiers au niveau national ont présenté un ensemble de propositions pour l’ancien ministère de l’Artisanat et de la Petite et Moyenne entreprise pour donner corps à la stratégie nationale conçue pour ce secteur à partir de 2010 jusqu’à l’horizon 2025. A cette occasion, le président de la Chambre nationale de l’artisanat et des métiers, M. Messaoud Zaïd, a soutenu que ce secteur- dans le cas où des conditions matérielles, réglementaires et administratives lui sont garanties- pourra, à terme, générer quelque deux millions de postes d’emploi. A la tête de ces conditions administrative, le responsable de la Chambre nationale de l’artisanat, cite des décisions politiques qui devraient émaner de la présidence de la République. Les problèmes auxquels est confronté ce secteur de l’économie sont connus à peu près de tous les acteurs qui y interviennent et sont inventoriés comme étant de véritables freins à la véritable promotion de l’artisanat. La cherté de la matière première, à commencer par l’or et le cuivre, constitue un handicap majeur. Ensuite, il a été fait état du poids de la fiscalité et des tarifs douaniers qui grèvent de leur poids l’essor du secteur. Cela se répercute directement sur le coût de production et sur la commercialisation qui n’arrive pas encore à se frayer un chemin d’autant plus que, autre épine sur cette voie, le commerce informel pour ces produits est aujourd’hui florissant. Le président de la Chambre nationale de l’artisanat a proposé à cette occasion la restructuration du Fonds national de l’artisanat et la révision de son mode de gestion pour en faire un fonds de soutien et de crédit. Dans le même sillage, il demande à ce que soit crée un “pôle touristique” propre au secteur de l’artisanat dans chaque wilaya. Dans la foulée des propositions relatives à ce créneau délicat situé à califourchon entre la culture et l’économie, il a été aussi revendiqué une action d’information et de marketing de la part de nos représentations diplomatiques à l’étranger de façon à faire connaître et à promouvoir le produit du terroir algérien et son fabricant. C’est l’une des conditions essentielles pour pouvoir pénétrer les autres marchés du monde marqués par une féroce compétition commerciale.

Un contexte commercial défavorable

L’artisanat est un créneau qui, dans notre pays, tarde visiblement à se mettre au diapason des autres activités économiques. Il se trouve que les circuits administratifs, bancaires et commerciaux ne sont pas encore bien huilés pour s’ouvrir d’une façon franche à ce genre d’activité.

Dans sa relation quotidienne avec l’administration, la corporation des artisans est, le moins que l’on puisse dire, insatisfaite. Ses membres jugent qu’il y a encore trop de bureaucratie. Ils font état de la non-prise en considération par l’administration des propositions et recommandations du conseil national des Chambres d’artisanat et des métiers.

Avec la phase de la libéralisation du commerce extérieur et à l’accroissement des recettes pétrolières, de nouveaux filons-qui ne représentent pas des cas d’urgence ou d’extrême nécessité — ont été investis par les importateurs. Sur ce point précis, l’économie nationale ne s’est pas encore totalement remise des errements qui ont valu l’asphyxie de plusieurs métiers par la faute d’importations inconsidérées d’objets traditionnellement fabriqués ou produits chez nous. L’Accord d’association avec l’Union européenne et la future accession de l’Algérie à l’OMC ne sont pas faits pour aider à la réhabilitation des anciens métiers ruraux ou populaires qui font partie de l’identité algérienne et qui représentaient naguère une véritable richesse nationale incontestable. Le recul incessant de l’activité artisanale en Algérie a atteint un seuil effarant au point où des dizaines de métiers et des centaines de milliers d’emplois ont été perdus en l’espace de quarante années. C’est, du même coup, des pans entiers de la mémoire et de la culture nationales qui sont effacés ou escamotés par une “modernité” limitée à la seule “vertu” de l’importation permise par la rente pétrolière. Des produits artisanaux chinois ou de contrées moins connues garnissent depuis plus de dix ans les magasins les plus reculés du pays. Impuissants devant un tel déferlement, ceux qui restent parmi les anciens artisans algériens n’ont apparemment de choix que de se tourner vers une autre activité qui rapporterait mieux. Nos marchés, en ville ou à la campagne, regorgent de gadgets et autres joujoux décoratifs provenant de l’étranger. Il y a nécessairement ici matière à interrogations comme celle qui consiste à chercher pourquoi et comment des pays étrangers ont pu “imposer” leurs marchandise chez nous. Ou bien encore : est-il normal qu’il n’y ait presque rien d’algérien qui puisse être exhibé commercialisé et exporté dans le domaine de l’artisanat et du savoir-faire ancestral ? Sommes-nous démunis et perclus au point où nous sommes réduits — système rentier aidant — à de simples et dociles consommateurs de produits étrangers y compris dans le domaine de l’artisanat ? Il ne s’agit pas ici, loin s’en faut, de faire le procès de pièces culturelles venant de pays de grande civilisation, comme la Chine, ni d’incriminer l’esprit commercial qui anime leurs producteurs. Au contraire, c’est en estimant à sa juste valeur l’effort de création des peuples concernés, le système économique qui a permis ce genre de réussite et la culture ancestrale qui en constitue le substratum, que l’on ne peut que déplorer l’état dans lequel se trouve actuellement l’un des secteurs les plus symboliquement chargés de l’âme et de la personnalité algériennes, outre le fait qu’il est censé faire partie d’une des branches essentielles de l’économie. La jonction avec le secteur touristique est l’une des passerelles qui pourront permettre à l’artisanat et aux produits, du terroir de voir s’ouvrir devant eux de nouveaux horizons. Mais, elle n’est pas la seule car ce secteur ouvre des passerelles avec beaucoup d’autres domaines de la vie nationale : activité des musées, satisfaction de certains besoins nationaux en produits “fabriqués maison», comme la conservation traditionnelle des figues, la conservation semi-industrielle de certains autres produits (abricots) que l’on retrouve aujourd’hui sur les étals de nos supérettes importés de Turquie et d’autres produits encore dont il serait fastidieux de faire l’inventaire. Les abricots produits en cette saison même, et qui ont une durée de vie très limitée, meurent d’avoir trop mûri à N’Gaous du fait d’un déficit de prise en charge sur le plan de la conservation. Des mini-ateliers pouvant recevoir et traiter d’autres fruits encore peuvent bien être crées et financés par le fonds de l’artisanat. Il en est de même de la pierre taillée dont l’activité dangereuse pour la santé s’exerce d’une manière informelle un peu partout en Algérie. Une organisation de ses chantiers en petites unités artisanales pourra faire bénéficier ses ouvriers de dispoitifs techniques de protection contre les maladies pulmonaires comme celles qui sont en train de se propager à T’Kout (Batna).

Amar Naït Messaoud

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