La domination est un phénomène aussi vieux que le monde. Lorsqu’il s’applique à une échelle collective, il prend la forme d’une abjecte colonisation, aux conséquences désastreuses pour les dominés et, à contrario, avantageuses pour les colons. Qui mieux qu’un homme de terrain, enrichi d’une longue expérience, peut en parler avec justesse et profondeur ? François-Jules Harmand l’a fait avec toute la perspicacité que lui octroie son rang de médecin militaire, d’explorateur passionné et de diplomate Français.
Ce natif de Saumur en 1845 et mort à Poitiers en 1921, est-il un has been pour autant ? Que nenni, est-on tenté de dire ! La vie de Harmand coïncide avec une période charnière, où le colonialisme a atteint des sommités de barbarie, ce qui confère à son travail une touche de “crédibilité savante», allant dans le sens d’un déterrement subtil des démons instinctifs érigés en règles d’or pour régenter le monde d’hier et d’aujourd’hui.
Fruit mûr de son expérience et de ses observations, l’essai Colonisation ; réflexions et analyses publié par les éditions Lumières Libres, est un document encore inédit en Algérie, dans lequel l’auteur brasse un florilège non négligeable de secrets inhérents à la nature humaine et, par translation, transposable à l’étude et la compréhension d’un phénomène planétaire.
“Le besoin d’expansion se rencontre partout dans la nature. Il se montre si intimement lié aux instincts départis à tous les êtres, que l’on peut y voir l’une des manifestations essentielles de la vie», note-t-il d’emblée avant de répartir cette expansion en plusieurs points ; corollaires les uns par rapport aux autres, et dont le dénominateur commun se baptise, “La Force”. Pour les besoins de la cause, cette force se mue et se propage telle une vertu : “Le droit, c’est la force qui dure», analyse encore le médecin en citant Gustave le Bon.
Ainsi, par ricochet, cette pulsion entourée des lauriers du droit exhorte les peuples vers une expansion active, énergique, donc utile. Et, il n’en fallait pas davantage pour parler de conquêtes à desseins !
Plus loin, l’audacieux diplomate français ose cette synthèse : « Ces expéditions sont une preuve de la faiblesse des nations qui les effectuent ; c’est qu’elles ne sont pas encore sûres de leur puissance et de son lendemain pour oser s’installer à poste fixe sur les territoires militairement occupés et pour tenter d’en tirer un profit prolongé. »
Cette synthèse a, au moins, le mérite de montrer le complexe qui étrangle le puissant !
Colonisation ; réflexions et analyses se veut une opération chirurgicale socio-psychologique sur le corps d’un monstre qui ne meurt jamais, ou chacune de ses léthargies n’est qu’un intermède pour reprendre des forces et trouver d’autres moyens d’expressions.
Alors, Harmand fait-il l’apologie du colonialisme ? Il écrit en page 42 : « Les psychologues font remarquer qu’aucune de nos manifestations intellectuelles ou morales, qu’aucun art, qu’aucune religion n’est exactement transportable d’un milieu dans un autre. »
Allant, pour ainsi dire, sur les pas d’une pensée chère à Montesquieu : “Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des hommes, mais il faut être avec eux”. Autrement dit, les chef-d’oeuvres de l’humanité n’éclosent qu’à la force de la coopération ; ce dernier concept est hélas aux antipodes de l’abécédaire du colonialisme.
Bref, si la colonisation est une fatalité à grande échelle, sa mécanique, elle, est en perpétuelle évolution ; elle reflète néanmoins le combat permanent entre le puissant et le faible où, les points d’équilibre laborieusement recherchés s’usent inexorablement.
La justice est fragile et le droit est menacé ; autant de frilosités placent constamment l’humanité en position de prédation, entourée d’un qui-vive ardent !
Tarik Djerroud
