Après des velléités de reconquérir leurs prérogatives en matière de contrôle de l’utilisation de l’argent public, les députés de l’Assemblée populaire nationale viennent, par le truchement d’une requête déposée par 25 députés au niveau du bureau de l’Assemblée, bousculer la monotonie dans laquelle est plongée l’APN depuis des mois, voire des années.
Ce groupe de députés demande la constitution d’une commission d’enquête parlementaire ayant pour mission d’enquêter sur les affaires de corruption entachant les actes de la gestion publique.
La demande des députés déposée par l’ex-élu du RCD, Ali Brahimi, ne cible pas les affaires en cours prises en charge par la justice, mais les modes de gestion qui ont rendu les cas de corruption possibles, voire généralisés. C’est pourquoi la lettre insiste sur la procédure de marchés de gré à gré le suspectant comme étant la source principale de dérives contractuelles qui aboutissent à la corruption.
Même si une partie de la presse estime, dans ses commentaires, que l’APN vient d’être “acculée’’ par l’initiation d’une procédure légale réunissant le quorum exigé par le règlement de l’Assemblée, il n’y a pas lieu de se faire trop d’illusions sur une telle initiative, et cela pour plusieurs raisons dont on ne citera que deux : celles que la légalité et la pratique mettent en avant. Cependant, les raisons liées aux manœuvres de dissuasion venant d’autres cercles du pouvoir et à l’équilibre général du système politique qui ne peut tolérer que des “chahuts de gamins’’ sans portée pratique peuvent faire l’objet d’un… livre où des chapitres entiers du Prince de Machiavel et de la Muqaddima d’Ibn Khaldoun trouveraient aisément leur place à côté des chansons engagées d’Aït Menguellet et de Matoub.
La raison la plus évidente, qui concourt à l’inanité d’une telle démarche parlementaire est contenue dans l’objet même de la requête. En effet, en se démarquant des affaires qui sont pendantes devant la justice ou en cours d’instruction judiciaire, les signataires désignent le “non-objet’’ de leur mission. Les affaires de corruption non encore prises en charge par la justice ne sont généralement pas encore connues. A peine si une rumeur commence à entacher une structure quelconque (administration ou entreprise publique). La commission de l’APN se permettra-t-elle de travailler sur la base de la rumeur ?
Le deuxième motif qui réduit considérablement les espoirs d’un travail abouti, ayant valeur d’expertise, est cet autre scrupule annoncé dans le corps même de la lettre des députés : les représentants de la Nation ne vont pas se substituer aux organes de contrôle réglementairement constitués (Inspection générale des finances, Cour des comptes,…).
N’est-ce pas que les limites de l’initiative parlementaire sont assignées par les initiateurs eux-mêmes à cette entreprise censée être de salubrité publique ? Pour des raisons non avouables-certainement liées au maintien des grands équilibres politiques qui permettent un statu quo qui, apparemment, profite à tout le monde sauf aux électeurs du 17 mai 2007-, l’initiative parlementaire est livrée à l’opinion algérienne, et sans doute aussi étrangère, dans une camisole de force bien sanglée.
Marché de dupes ?
L’opinion nationale, bien avant que les derniers scandales de corruption soient portées à sa connaissance, était en attente d’une action d’envergure, pleine de maturité et de courage politique de la part des députés de la Nation des deux Chambres pour se pencher sur la gestion des deniers publics, à commencer par le vote réfléchi et rationnel de la loi de finances annuelle jusqu’à la réalisation de la dépense publique par l’administration et les Collectivités locales.
Pour ne pas tomber dans la trappe que les députés pétitionnaires viennent de creuser par leurs propres mains- à savoir éviter de faire double emploi avec des organes constitutionnellement habilités à contrôler l’argent public-, il aurait fallu que l’Assemblée se donnât les moyens réglementaires de sa politique. L’APN est censée en trouver la formule par l’introduction d’une saisine au niveau gouvernemental de façon à constituer des commissions de suivi et de contrôle du budget de la Nation.
Sur un autre plan, certaines failles du Code des marchés publics (procédures de gré à gré démarche et critères d’évaluation,…) n’ont pas besoin d’une commission d’enquête sur le terrain pour les mettre sur la table. Il suffit de faire l’effort nécessaire pour imposer le sujet dans un débat parlementaire en vue de mettre le gouvernement devant ses responsabilités.
Au vu des limités évidentes que porte intrinsèquement l’initiative parlementaire de constituer une commission d’enquête sur le phénomène de la corruption en Algérie, on a l’impression d’assister à un marché de dupes où l’opinion est presque toujours suspectée de jobardise et de crédulité maladive. Or, les populations, malmenées par la gestion chaotique des services publics qui lui sont théoriquement destinés et éreintées par une marginalisation qui ne voit pas sa fin se profiler à l’horizon, distinguent rarement le monde avili par la corruption dans les circuits de l’administration et des entreprises du reste des acteurs qui se piquent tardivement d’un “honneur à sauver’’.
La transparence dans la gestion de l’argent de la collectivité et la lutte contre la corruption sont considérés comme une exigence démocratique dont le processus de reconstruction nationale ne peut faire l’économie. Elle l’est d’autant plus que les plans de développement mis en œuvre depuis 1999 sont dotés d’enveloppes financières peu communes dans l’histoire récente de l’économie algérienne.
Lorsque la volonté politique existe réellement à tous les niveaux (gouvernement, parlement, partis politiques, société civile), les procédures et les structures de lutte contre la corruption peuvent être installées et seront à même d’agir avec le maximum d’efficacité.
L’effort de transparence et de régularité dans la gestion de l’argent public participe indubitablement de la bonne gouvernance économique et politique tant réclamée par la société. Il s’agit de gagner en priorité l’opinion publique algérienne par cette grande tâche de salubrité publique avant de donner des gages de gestion démocratique du pays aux organisations internationales qui classent notre pays dans le peloton des pays les moins transparents. C’est là une entreprise de salubrité publique sans laquelle les autres actions et gestes du pouvoir politique risqueraient de manquer terriblement de confiance et de crédibilité auprès des Algériens.
Amar Naït Messaoud