Né en 1957, dans le village Mezouara, sur les hauteurs de l’Akfadou, dans la wilaya de Béjaïa, Khelaf Mezouani est un artiste prolifique. Il est poète, scénariste et dramaturge. Ses créations artistiques, bien élaborées et captivantes, font de lui un artiste hors pair, même s’il a toujours travaillé dans l’ombre, loin des projecteurs de la célébrité. C’est avec une grande joie qu’il a accepté de répondre à nos questions en exclusivité. C’est la première fois que cet homme, si talentueux, si modeste, accorde une interview
à un journal.
La Dépêche de Kabylie : Comment êtes-vous venu au monde artistique ?
Khelaf Mezouani : Depuis mon très jeune âge, j’aime tout ce qui est beau. J’étais très sensible. En écoutant les poèmes du grand poète Kabyle Si Muhend Umhend, le besoin d’écrire des poèmes grandissait sans cesse. Au village, je ne rate aucune occasion pour savourer ces merveilles de notre culture orale. Apprendre ces textes, d’une rare beauté et les réciter, était presque une obsession pour moi. Je pense que c’était le déclic qui a fait de moi un poète. Et c’était le début d’une longue aventure.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Ce n’est pas facile de répondre à une telle question. Le moment de la création est un moment très singulier. Cependant, je pense que c’est les tourments de la vie qui m’inspirent le plus. Mes problèmes et mes souffrances personnelles me dictent mes œuvres. La poésie est mon unique arme devant l’absurdité de la vie. La création artistique m’aide à mieux voir la vie. C’est une autodéfense contre les entraves. En outre, j’ai d’autres sources d’inspiration : la beauté la nature, le vécu des autres…
Quels sont vos moments préférés pour la création?
Comme j’ai travaillé au sud du pays et beaucoup voyagé je préfère les longs trajets pour créer. Ces moments singuliers me permettent d’aller vers mon subconscient et revoir mes pensées, mes sentiments et tous les fragments de ma mémoire.
Vous êtes l’un des fondateurs du groupe musical Tafrara. Parlez-nous de cette expérience.
Oui, effectivement, avec deux amis de mon village, on a donné naissance au groupe Tafrara. J’étais le parolier du groupe. On a enregistré une cassette en 1986. Malheureusement, notre projet commun n’a pas fait long feu. Parfois, certaines contraintes de la vie nous empêchent de réaliser nos ambitions.
Vous avez composé des paroles pour beaucoup de chanteurs connus, même si votre nom ne figure pas toujours sur ces œuvres. Que pouvez-vous nous dire dessus?
Je crée avec passion et je n’ai jamais cherché l’argent ou la célébrité. L’art n’est pas un gagne-pain pour moi, mais une réjouissance à partager avec les autres, sans calculs. J’ai composé des paroles pour nombre d’artistes, dont Djellil Zidane, Bousaïd et le regretté Hamid Aâibane (que Dieu l’Accueille dans Son Vaste Paradis), Mourad Massi, Smaïl Ouroufal et bien d’autres.
Vous êtes membre fondateur du club des poètes de Béjaïa, comme vous marquez votre présence dans plusieurs rencontres poétiques. Quelles sont les haltes qui vous marquent encore aujourd’hui ?
Je suis l’un des fondateurs du club des poètes de Bgayet, qui fait son travail contre vents et marées…Pour les rencontres poétiques, elles sont gravées dans ma mémoire, car, non seulement, c’est une opportunité pour présenter les textes mais aussi une occasion pour connaître d’autres créateurs, échanger des idées et, tout ça, fait mûrir le travail artistique. Parmi ces rendez-vous je peux citer les 12e «Poésiades» de Béjaïa en 2000, organisées par l’association Soummam, les Rencontres de Si Muhand Umhand et Youcef Oukaci de Tizi-Ouzou en 2003, les Rencontres de Timizert en 2009 et les rencontres du club des poètes de Béjaïa, également en 2009.
Vous êtes aussi dramaturge, le théâtre vous ouvre-t-il d’autres espaces d’expression artistique plus larges ?
Bien sûr, le théâtre vous permet d’être en contact direct avec le public et de passer plus de messages, surtout que notre société a du mal à passer de l’oralité à l’écrit. J’ai récemment réalisé une pièce théâtrale sur l’ingratitude, j’espère la mettre bientôt en scène.
A votre avis, quelle est la place de la culture en Algérie ?
Il y a des choses concrétisées mais beaucoup reste à faire. Il faut encourager tout ce qui est culturel et instaurer de nouvelles habitudes comme la lecture, qui manque énormément chez nous.
Vous êtes un artiste prolifique. Après la poésie et le théâtre vous venez de mettre vos premiers pas dans le septième art avec votre scénario captivant : «L’erreur d’un village». De quoi parle votre scénario ?
Vous me flattez (rires), je suis juste un homme sensible qui tente de s’exprimer différemment. Mon scénario «Taddart ur nugad Rebbi», ou l’erreur d’un village, est écrit en Kabyle. C’est une œuvre inspirée d’une histoire vraie. Dans la Kabylie des années 1960, un homme a été sauvagement assassiné par les membres de son village. Smaïl, cette victime de la barbarie humaine, n’est autre qu’un simple paysan vivant en ermite, à deux kilomètres de son village natal. Solitaire et réservé cet homme ne pouvait faire de mal à une mouche. Absurde fut son sort, il a été torturé jusqu’à la mort, sans avoir commis crime ou faute grave. Les «sages» de son village avaient décidé de le tuer après avoir brûlé sa maison.
Par le truchement de mon travail artistique, je veux rendre un hommage à cet homme trépassé arbitrairement. Je suis contre toutes les formes d’injustice. Je souhaite mettre sur le grand écran cette histoire véridique pour réaliser un film qui sera une sorte de date anniversaire, rappelant une mort abominable. Comme je tiens à préciser que dans notre pays, et spécifiquement en Kabylie, nous avons de belles traditions mais aussi, parfois, des pratiques condamnables comme l’injustice infligée aux faibles, à tous ceux qui n’ont pas un bon statut social. Je profite de cette tribune d’expression pour lancer un appel aux réalisateurs qui voudraient travailler avec moi pour concrétiser ce projet de film.
Quels sont vos projets artistiques ?
Je souhaite faire beaucoup de choses. La création artistique est une raison de vivre pour moi. Parmi mes projets y a la réalisation d’un CD audio, regroupant certains de mes poèmes. Et pour conclure, j’aimerais remercier votre journal qui m’a donné la chance de sortir un peu de l’ombre. Espérant que ce ne sera pas la dernière fois.
Entretien réalisé par Ali Remzi