Dernière semaine de célibat

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Luin Hamid, un vieux garçon de quarante ans que, jusque-là, rien que l’idée de la vie en “ménage légal” pétrifiait, s’apprête enfin à convoler en justes noces. Il avait toujours rétorquaé aux esprits qu’il jugeait carrés et trop collés aux rails de I’ordre établi que “le mariage est une institution qui permet de savourer les instincts sexuels dans la légalité”. Sans plus. Fonder un foyer, en finir avec la solitude, partager autre chose que le lit sont des considérations qui ne lui ont jamais effleuré l’esprit. Cependant, il a fini par céder sous la pression de sa mère, ses cousin(es), ses amis… bref, I’ordre social. Hamid est un cadre moyen dans une entreprise publique. Il vit dans un F4 avec sa mère et sa petite sœur. Ce sont les deux seules femmes avec lesquelles il partage le plus de choses. Il y a bien sûr aussi Kahina, son ex-copine et future épouse. Ils travaillent dans la même boîte.

Ellen Kahina a 30 ans pile. Elle parait plus jeune. Elle est diplômée en sciences de la communication. Sa famille ne comprenait pas pourquoi elle refusait tous les prétendants qui venaient demander sa main.Dans un premier temps, ses parents avaient pensé qu’elle entretenait une relation avec un jeune homme qu’il ne connaissait pas encore.Ce n’était pas le cas. En fait, et contrairement aux jeunes filles de son âge, elle ne faisait pas grand cas du mariage. Kahina tenait beaucoup à sa “liberté” et à son indépendance.Chose difficile dans un environnement masculin pluriel.C’est pourquoi son seul souci était de réussir sa vie professionnelle. Ce n’est que comme cela qu’elle pourra se passer, pensait-elle, « d’un mari à tout prix »Elle et luin Elle avait rencontré Hamid le premier jour où elle s’était présentée à l’entreprise avec un dossier et une demande d’emploi. C’était d’ailleurs lui qui l’avait accueillie avant de l’inviter à le suivre dans le bureau du directeur. Ce jour-là, il la trouvait mignonne. Sans plus. Elle le trouvait gentil. Elle le lui dit tout de suite.Une semaine après, ils se retrouvent dans le même bureau. Quelques semaines passent. Leur relation ne va pas au-delà des limites professionnelles. De temps en temps, quand ils ont beaucoup de travail à rattraper, ils déjeunent ensemble. Elle et lui appréciaient ces instants « d’intimité”. Mais ils ne l’avouaient jamais. Le temps passe.Kahina et Hamid déjeunaient de plus en plus ensemble. Ils trouvaient toujours un prétextepour se retrouver dans la pizzeria d’en face. Ils finirent par carrément sortir ensemble.Leur relation était adulte et clandestine. Ils avaient toujours évacué de leur discussion lessujets trop sérieux. L’amour ? Le mot n’a jamais été lâché ni par l’un ni par l’autre. Cela dit, ils s’appréciaient, ils se respectaient sur tout. Leurs collègues de travail trouvaient que les deux célibataires allaient bien ensemble. Eux aussi le pensaient. Mais, ils n’étaient pas sûrs.Elle et lui se préparentn Nous sommes samedi. Tameghra (fête) est prévue pour la fin de la semaine.Après près d’une demi-journée de concertation et de patience, Hamid est enfin arrivé àfinir l’assemblage des éléments de sa nouvelle chambre à coucher. Il faut dire que lebricolage n’est pas son fort. Il regarde sa chambre et il a l’impression de la découvrirpour la première fois. Avant, il y entrait comme dans une chambre d’hôtel. Les seuls éléments qu’il avait apprivoisés étaient son matelas, son oreiller et les draps que sa mère réussissait à changer quand Hamid oubliait de fermer à clé.Il se sent tout bizarre dans sa chambre relookée. Il a la certitude que désormais sa nouvelle piaule va chambouler sa vie. C’est terrible comme quelques meubles et un coup de peinture peuvent changer le cours d’une existence, pensait-il. Le mobilier lui a coûté la coquette somme de dix millions de centimes, une somme qu’il a réussi à “dénicher” par la grâce de la formule crédit de consommation.Son mariage avec Kahina est là pour la fin de la semaine. Il est de plus en plus tendu. Il lui reste encore à se débarrasser du problème que pose la parure. Un bijoutier qu’il connaît lui propose un échéancier. D’autres “détails” qui semblaient sans grande importance tracassent Hamid : se procurer une guitoune, des tables, des chaises, des couverts…De son côté, Kahina, entourée de ses cousines et amies, essaye pour la énième fois la énième robe qu’on lui sort de la valise. Et qu’elle sait qu’elle ne portera jamais. Elle était agacée, mais souriait quand même. Sa grand-mère lui colle comme une ombre. Nna Malha, la grand-mère en question, ne se séparait pas depuis une semaine, d’un verre d’eau. L’eau, expliquait-t-elle à Kahina, conjure le mauvais sort. “Aman d laman a yelli” (l’eau est sécurité ma fille !), répétait-elle à chaque fois que Kahina essayait une nouvelle robe.La dernière nuit est la plus stressante pour Kahina. C’est cette nuit qu’elle a mesuré et compris à quel point ses parents, cette maison que demain elle va quitter comptent pour elle. Cette nuit, elle a pris conscience qu’elle va définitivement se séparer de petits détails qui, jusque-là avait meublé son quotidien.Le moment le plus bouleversant est lorsque aux environs de 23h, ses futurs beaux-parents s’approchent de son “trône” pour sceller avec du henné son enlèvement. La grand-mère était là. Elle ne faisait confiance à personne. Tout passe par elle. C’est au moment du henné, estime-t-elle, que sa petite Kahina est le plus vulnérable aux “ihechkulen” (ensorcellement). Kahina, elle, est loin de toutes ces considérations de grand-mère. Elle vit intensément les dernières heures de vérité, de basculement vers un environnement dont elle vient de se rendre compte qu’il lui est étranger. Le cérémonial du henné fini, les youyous fusent de partout. Pendant ce temp, une larme coule long de la joue de Kahina.Ils n’ont pas que le lit à s’offrir en partageJeudi 22h. Kahina découvre sa nouvelle chambre. Elle reconnaît une partie des goûts de Hamid. Des grillades et des friandises sont déposées sur la commode. Elle ne touche à rien : elle attend son mari. 23h 30. Tout souriant, Hamid rejoint Kahina. Il prend une chaise, tire la commode et s’asseoit en face de son épouse. Tout en l’invitant à toucher aux grillades, il lui demande comment elle trouve sa nouvelle chambre. “La peinture ne me plaît pas trop”, lui répondait-elle. “Moi non plus”, rétorqua Hamid en ne se départant pas une minute de son sourire. Il était heureux. cela se voyait sur son visage. Kahina aussi. 2h du matin. Les tourtereaux ne sont toujours pas couchés. Dehors on les attend. mais ce qui se passe dehors ne les intéresse pas. 4h du matin. Ils se laissent tomber sur le lit. S’ensuivra le détail important. Détail, parce que ces deux-là n’ont pas que le lit à s’offrir. Important, parce que le lit consolide l’amour.

T. Ould Amar

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