La fiction est inspirée d’une histoire vraie. Pierre, nous raconte Beaujard, est fils d’un père gendarme, autoritaire et brutal, qui le plaça très jeune à l’École des Enfants de Troupe. Il a pu prendre ses distances vis-à-vis de l’éducation militaire subie et sauver sa personnalité du naufrage. Le voile levé avec délicatesse laisse entrevoir des réponses sans occulter la souffrance, jamais manifestée mais toujours présente.
Refusant l’armée et quittant le «noeud de vipères» familial. C’est en Kabylie que ce jeune homme ira servir comme instituteur ; et ceci, en pleine lutte de l’Algérie pour son indépendance. Là il s’épanouit dans un village qui l’adopte. Pierre, à peine sorti de l’adolescence, devient un homme, trouvant dans ses relations avec la société kabyle qui l’entoure, la volonté d’agir et d’enseigner aux enfants la connaissance venue de l’Occident, omniprésente, tout en respectant celle qui fleurit dans la culture kabyle. Roman, et, plus encore, témoignage, ce livre invite le lecteur à trouver dans la culture d’autrui, des éléments indispensables à la sienne. Pierre devra pourtant quitter la Kabylie dans des circonstances dramatiques. Guy Beaujard a fait ses études secondaires à l’école militaire des Enfants de Troupe, aux Andelys, en Normandie. Refusant d’opter pour la carrière des armes, il sera volontaire pour aller enseigner en Algérie et sera affecté à Tirit-Naït-Oumaleck, en haute Kabylie, de 1959 à 1962. Autodidacte, géomètre topographe, il devient ingénieur régional de l’Equipement en Franche-Comté. Son plus beau titre est celui de témoin non silencieux de son temps. Cette belle œuvre littéraire est un témoignage émouvant d’un humaniste qui a l’art de bien apprécier les choses simples de la vie. «C’était un jour ordinaire, un jour sans mouvement, sans bruit, sans couleur, sans odeur, immobilisé dans ses voiles humides de lumières et d’ombres. De génération en génération, les choses de la vie, avec résignation, d’un pas lourd et régulier, poussaient les saisons aux quatre coins du village, sans heurt, le plus normalement du monde. Le village était entré au premier hiver des années quarante, dans un crépuscule permanent. A la fin de la guerre, les habitants n’avaient jamais trop su si «le boche» avait été bouté hors des frontières et à qui pouvaient bien encore appartenir l’Alsace et la Lorraine. Courbés au sol, entre levant et couchant, pour y glaner leur pitance, ils n’avaient jamais eu le temps de relever l’échine pour explorer ce qui pouvait bien se passer au-delà de la contrée même à l’heure de l’angélus. Plus d’un demi-siècle après, ils continuaient à gratter en surface la glèbe, casseurs de pierre, au rythme de la charrue tirée par des juments comtoises.», écrit le romancier. Les couleurs du temps est un roman très captivant qui nous invite à faire un voyage dans le temps. Un voyage au cœur de la Kabylie colonisée.
Ali Remzi
