Désespérément vôtre !

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Par Anouar Rouchi

Moumouh est un cadre moyen qui frise la quarantaine. Au début des années 1990 il avait un travail relativement bien rémunéré à Larbaâ où il occupait un appartement spacieux et confortable avec son épouse et ses deux enfants. Sous la menace terroriste, il vend son logement pour une bouchée de pain afin de fuir le triangle de la mort et s’est installé dans un minuscule deux pièces quelque part dans la proche banlieue d’Alger. Depuis, les déboires se sont multipliés. Son nouveau boulot, qu’il a eu de la peine à obtenir,est moins bien payé, sa situation se dégrade à vue d’œil et les enfants grandissent en même temps que leurs besoins. Sans compter une épouse aigrie qui devient irrascible et qui, bien des soirs, devant une table où les macaronis sont indécrottables, le traite d’incapable de manière à peine voilée. Plus de voiture, plus de vacances, une nourriture indigeste, un gîte minuscule froid et humide en hiver et qui se transforme en fournaise l’été venu… Moumouh est philosophe. Il sait qu’il ne vit ni mieux ni plus mal que l’écrasante majorité de ces Algériens qui jadis constituaient la classe moyenne et pouvaient prétendre sinon à une situation aisée, du moins à une vie décente.Il a deux passions : le football et la politique. Mais il n’a jamais pratiqué ni l’une ni l’autre. C’est par petit écran et presse interposés qu’il s’adonne à sa double passion.En ce moment, il n’y en a que pour la réconciliation nationale et le projet de charte qui sera soumis à référendum le 29 septembre. Moumouh a décortiqué le texte et le trouve conforme à la démarche globale du Président pour lequel il ne cache pas ses sympathies sans pour autant franchir le pas de s’inscrire parmi ces soutiens tapageurs si nombreux et si peu sincères.De plus, Moumouh est d’une timidité maladive et l’activité publique ne l’attire guère. Il s’étonne de la multiplicité des soutiens qui s’expriment et de leur nature. Il ne comprend pas que Madani Mezrag fasse campagne en faveur d’un projet qui lui interdit l’activité politique et comprend encore moins que les autorités le lui permettent. Mais, dans un pays où la contradiction et le paradoxe sont la règle, faut-il s’en offusquer ? Et puis le Président lui-même reconnaît que la réconciliation nationale ne réglera pas tout…Moumouh se dit : “Et si j’écrivais au Président pour lui dire ce que j’en pense ?”, Sitôt dit, sitôt fait.Monsieur le Président…La réconciliation nationale c’est bien. Je suis personnellement d’accord. Mais est-ce tout ? Que faire pour réconcilier :- des millions de chômeurs avec le travail- des millions d’élèves avec les livres- les conducteurs avec le code de la route- les fonctionnaires avec leurs attributions- les commerçants avec les impôts- les voyous et autres bandits avec les forces de police- l’équipe nationale de football avec le succès- Saïd Allik et Moh Chérif Hannachi- les mosquées avec une pratique religieuse saine- les politiques et la société- les journalistes et l’investigation- les robinets et l’eau courante- mon voisin de palier et l’hygiène- les trabendistes et la douane- les avions et la ponctualité- ma femme et moi, etc.La tâche, monsieur le Président, est ardue. Ardue à désespérer. Aussi combien de mandats sinon de vies vous faudra-t-il pour espérer la mener à bien ?

A. R.

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